Février 2002, dans une suite de l’hôtel Bristol. Lasse Hallström, visiblement fatigué par le marathon médiatique auquel il se livre pour défendre Terre-Neuve, son nouveau film, se livre à l’exercice du press junket avec la presse française, un exercice difficile car très court.
Les nominations aux Oscars sont tombées la veille, et le film n’en a aucune. Contrairement à ses deux précédents opus. Pourtant, Terre-Neuve a de bons atouts : le film est adapté de Nœuds et dénouements, d’Annie Proulx, qui obtint le Prix Pulitzer, le casting est fort, à la hauteur, et le réalisateur est plus qu’expérimenté. Entretien.
Comment avez-vous découvert le cinéma, et qu’est-ce qui vous a poussé à en faire votre métier ?
J’ai découvert le septième art à la maison, quand j’étais enfant, à travers les films de Charlie Chaplin, et ceux de mon père, qui réalisait des documentaires. C’est incontestablement lui qui m’a influencé. J’ai alors pris sa caméra et commencé à tourner !
À vos débuts, vous écriviez, réalisiez et montiez vos films. Pourquoi ne vous consacrez-vous aujourd’hui qu’à la réalisation ?
C’est une bonne question, à laquelle je n’ai que de mauvaises réponses. Je souhaite recommencer à écrire. C’est principalement une question de temps, et aussi de système. Il y a des scénaristes pour écrire les scénarios, et à Hollywood, il n’est pas toujours simple de sortir de ce système.
Pourquoi avoir décidé de partir à Hollywood ?
C’était une véritable aventure ! On me l’a proposé après Ma vie de chien, j’ai eu plusieurs propositions, et j’ai fini par dire oui ! Mais maintenant je souhaite retourner à Stockholm, pour y faire des films internationaux.
Vous n’êtes ni totalement européen, ni franchement hollywoodien. Comment situeriez-vous votre travail ?
J’ai toujours été attiré par le mode de vie européen, mais je suis profondément suédois. J’ai toujours cherché à conserver mon style cinématographique, même en travaillant aux Etats-Unis. J’espère être toujours européen !
Puisque nous parlons d’Hollywood et de l’Europe, que pensez-vous de l’industrie cinématographique en général ?
Le cinéma est devenu une économie globale, et totalement internationale. Il est de plus en plus difficile de définir la nationalité d’un film, parce que les financements et les participants viennent de partout dans le monde. Dans un sens, c’est positif. Regardez mon précédent film, Le Chocolat : il dispose de financements internationaux, tout comme le casting. À côté de ça, le cinéma est devenu un marché énorme, et qui grossit sans cesse.
Comment avez-vous été impliqué dans le projet The Shipping News (Terre-Neuve) ?
Le script est passé de studio en studio. Deux autres réalisateurs l’ont rejeté, puis il est arrivé chez Miramax qui me l’a proposé. C’était il y a deux ans. J’ai passé beaucoup de temps dessus, parce que c’était un challenge passionnant, et un véritable défi que d’adapter ce roman. Non seulement parce qu’il avait obtenu le Prix Pulitzer, mais aussi parce qu’il comprenait de très nombreux éléments, à la fois comiques, dramatiques, et mystérieux. Ce ne fut pas ce que j’appelle une adaptation facile !
Le film recoupe certains de vos thèmes de prédilection, comme la famille, et l’adoption d’un traitement psychologique de l’histoire.
Je suis très attiré par les histoires dirigées par les personnages, les histoires un peu différentes de ce que nous avons coutume de voir à l’écran. Quand j’ai lu le livre, j’y ai vu l’opportunité de raconter une histoire de personnes, des étrangers, recelant quelques éléments bizarres au plus profond d’eux-mêmes. Je ne suis vraiment pas attiré par les scénarios mettant en lumière des personnages aux standards hollywoodiens, plutôt héroïques. Pour moi, les personnages sont des êtres vivants, emprunts d’émotions et de tragédie, que font vivre les acteurs.
Pourquoi avoir choisi Kévin Spacey, Julianne Moore, Judy Dench ?
Kévin est un grand acteur, tout en nuances. Il voulait relever le challenge, tant pour le film que pour lui-même, parce que c’est un rôle très différent de ce qu’il est. Il a lu le livre, et cela lui a parlé. Pour le reste du casting, j’ai simplement pris des gens avec qui j’avais envie de travailler, comme Julianne Moore ou Rhys Ifans.
Objectif Cinéma : Et maintenant, avec qui souhaiteriez-vous travailler ?
Je ressens le besoin de tourner avec ma femme, Lena Olin. Nous avons déjà travaillé ensemble il y a deux ans [ndlr pour Le Chocolat] et nous allons recommencer. Je veux écrire quelque chose pour elle. Dici là, mon prochain film sera Conspiracy Paper, qui se tournera à Londres.
Vous aviez besoin de tourner à nouveau très vite ?
Oui, même si j’ai aussi besoin d’un break: j’ai fait trois films en trois ans. Mais je ne peux pas attendre trop longtemps avant de me mettre au travail.
Par certains aspects, j’ai trouvé le film très proche du documentaire, un genre dans lequel vous avez débuté quand vous étiez jeune. Avez-vous voulu donner cet aspect au film, ou était-ce inconscient ?
J’apprécie ce commentaire. J’ai effectivement commencé par le documentaire, et j’ai toujours l’ambition de présenter le côté réel des histoires. Je n’aime pas les scénarios trop stylisés, je préfère souligner le mélange du réel et du mystère. Cela donne un ton plutôt différent.
Pourquoi avoir tenu à tourner à Terre-Neuve ? Cela vous a tout de même coûté la défection de John Travolta, qui souhaitait rester sur le continent.
L’île étant l’un des personnages clé de l’histoire, je ne pouvais concevoir de tourner ailleurs.
*Article écrit pour Objectif Cinéma et publié à cette adresse