Samedi 2 avril, sur le plateau de 100% politique, la chaîne infos LCI se fait l’écho d’un sondage évoquant les raisons pour lesquels les électeurs du Non ont choisi cette option.
En première position, et avec plus de la moitié des suffrages : l’opposition à l’entrée de la Turquie en Europe. C’est à peine croyable qu’autant de français puissent encore avoir peur de la Turquie après quatre mois de campagne et autant d’explications claires sur cette question. Il est donc temps de remettre une nouvelle fois les pendules à l’heure.
Premier point, et non des moindres, la question de l’entrée de la Turquie n’a rien à voir avec l’adoption de la Constitution européenne. La Turquie n’est pas prête aujourd’hui à intégrer l’Union Européenne : elle ne remplit pas aujourd’hui les conditions nécessaires, et ne les remplira probablement pas avant 10 ou 15 ans. Cette question n’est donc pas à l’ordre du jour. Pourquoi s’obstiner à lier les deux questions ?
Juridiquement, c’est absurde : le projet de Constitution Européenne ne comporte aucune facilité particulière relative à l’intégration de la Turquie. En effet, l’entrée de la Turquie est incompatible avec la construction d’une Europe politique fondée sur un projet de civilisation européenne. Ensuite, le projet de Constitution prévoit à son article 57 la création d’un statut de partenaire privilégié spécialement destiné aux pays tels que la Turquie qui veulent une association forte avec l’Union européenne. Cette possibilité offerte par la Constitution rend de fait très difficile l’hypothèse d’une adhésion pleine de la Turquie en Europe, un autre statut plus approprié existant… dans le cas de l’adoption de la Constitution. Dire Oui à la Constitution, c’est donc se donner les moyens de dire Non à la Turquie.
Au-delà de la Constitution, quels sont les moyens des Etats pour s’opposer à l’entrée d’un candidat ?L’article 58 du projet de Constitution prévoit que « les conditions et les modalités de l’admission font l’objet d’un accord entre les Etats membres et l’Etat candidat. Cet accord est soumis par tous les Etats contractants à ratification, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives ».Autrement dit, tout Etat membre conserve le droit de véto sur toute nouvelle candidature à l’entrée dans l’Union Européenne.
L’Etat oui, mais le peuple ? La Constitution de la France prévoyait deux m od es de ratification : par la voie parlementaire, ou par référendum. Le 1er mars 2005, la Constitution est révisée, à l’initiative du Président de la République, et l’article suivant est ajouté : « Art. 88-5. – Tout projet de loi autorisant la ratification d’un traité relatif à l’adhésion d’un Etat à l’Union européenne et aux Communautés européennes est soumis au référendum par le Président de la République. ». Ce qui constitue un changement majeur : l’entrée de tout nouvel Etat dans l’Union Européenne, et donc le cas échéant de la Turquie, sera automatiquement conditionnée au vote du peuple français.
Si le débat portant sur l’adoption de la Constitution européenne et celui portant sur l’intégration ou non de la Turquie en Europe ont toujours été distincts, l’argument trop facile visant à les lier est désormais constitutionnellement caduque !
A moins de deux mois du scrutin, il est nécessaire de faire prendre conscience aux français de ces réalités juridiques, et leur montrer qu’il convient de se montrer responsable et de ne pas tomber dans le panneau de quelques agitateurs d’idées en mal de succès médiatique.