Ce 11 septembre, j’étais encore journaliste chez AlloCiné, où j’exerçais en tant que chef de la rubrique Business et Economie du Cinéma.
Je discutais au téléphone avec MCB, ancienne stagiaire, lorsqu’elle me dit : « un avion vient de percuter le World Trade Center ». Oui, et la marmotte elle met le chocolat dans le papier d’alu… Je ricane, tout en surfant sur le web. Merde, c’est vrai. Je fonce chez le directeur de la rédaction, on branche LCI… et on assiste en direct au crash du second avion.
A peine croyable. Et pourtant, c’est arrivé. L’hypothèse des attentats ne fait plus aucun doute. Mais qui a pu organiser une pareille opération ? Longtemps, nous allons regarder ensemble la chaîne d’informations. Découvrir que d’autres avions ont été détournés. Voir la tour Sud, puis la tour Nord, s’effondrer. Comme ça, en direct, à la télé. Et réaliser, hébétés, qu’il y a de très nombreuses personnes là-dessous. Combien de victimes dénombrera-t-on ? Nous ne pouvons qu’observer et nous interroger, totalement impuissants devant l’écran. La réalité a dépassé la fiction et nous sommes bien placés pour le savoir.
AlloCiné est un site de cinéma. Nous disposons donc tous d’une bonne culture cinématographique, et nous avons tous en mémoire les films qui ont évoqué des attaques terroristes. Ou des livres, comme ceux de Tom Clancy dont justement, l’adaptation de La Somme de toutes les peurs doit sortir en fin d’année. Le film évoquant une menace d’attentat pendant le SuperBowl, sa sortie sera repoussée. Tom Clancy le visionnaire : son ouvrage suivant, Dette d’honneur –publié en 1994 !-évoque un l’attentat commis par un japonais kamikaze… qui jette un 747 sur le Capitole réuni en Congrès, décapitant alors l’administration américaine. Ca fait froid dans le dos…
Le pôle Hollywood exprime en premier son souhait de publier un article, puisque ça touche les Etats-Unis. Tout ce qui est politique est intégré au pôle Business. De plus, c’est un sujet sensible. Tout le monde est d’accord : je rédigerai l’article. Mais article doit-il y avoir ? Qu’un site de cinéma –donc de divertissement- évoque cet événement terrifiant le jour même, n’est-ce pas de la récupération ? Une tentative de faire de l’audience ?
Toutes ces questions, nous nous les posons. Je suis pour un article : en voyant la scène, tout le monde s’est cru dans un film. Rien que pour cela, il faut en parler. Et aussi parce que sans nul doute, ces événements seront relatés sur grand écran, un jour. Ce qui sera d’ailleurs le cas, effectivement, quelques années plus tard, avec World Trade Center d’Oliver Stone, ou Vol 93 de Paul Greengrass.
Je rassemble mes idées, et mes souvenirs ciné des attentats à l’écran : à quels films me fait penser cet attentat ? Couvre feu, Independance Day, 58 minutes pour vivre, Collateral Damage, pas encore sorti mais dont la scène d’ouverture évoque précisément l’explosion d’un gratte-ciel. Mais surtout, je réunis toutes les informations dont je dispose sur la réactions des acteurs de l’industrie cinématographique.
S’ensuit une heure incroyable marquée par les pressions que je reçois de toutes parts. Le directeur de la rédaction est une carpette, et fait dans son pantalon à l’idée que l’article ne déplaise à la direction, ce alors que le site vient d’être racheté. Monsieur a peur pour son poste. Alors il me harcèle sur le contenu, avant même sans avoir lu une ligne. Tout en me pressant de finir mon papier : on doit faire la Une… d’urgence ! Schizo, quand tu nous tiens…
Mon problème est le suivant : certes il faut écrire, raconter, mais ne pas choquer. Il faut se recueillir, alerter, mais ne pas faire de business sur les attentats : l’heure n’est pas au divertissement. Mission difficile. Mais mission réussie : le directeur himself me félicitera pour mes articles mesurés -celui du 11 septembre, et celui du 14 septembre– : en conséquence, le pantalon du petit chef restera propre.
Ce 11 septembre 2001, l’horreur est sortie du grand écran pour envahir la réalité. Ce fut un moment particulièrement riche en émotions que de le suivre en direct… et une vraie thérapie que d’utiliser l’écrit, pour mieux évacuer. Sans oublier ces images terribles, qui resteront gravées en moi pour l’éternité.
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