Sujet marronnier et tarte à la crème par excellence, la fin annoncée de l’UMP. C’est un peu comme la fin du monde, il y aurait en politique l’équivalent d’un calendrier maya, qui prédirait la fin du parti présidentiel, jeté comme le bébé avec l’eau du bain de la cuvée 2012. Alors la fin de l’UMP, réelle possibilité, ou mythe politico-médiatique ?
De la présidence de Juppé à celle de Sarkozy
Pour comprendre l’UMP, il faut revenir aux sources, et étudier son histoire, de la création à nos jours. Le parti majoritaire a construit son socle sur l’Union en Mouvement, la réunion des partisans de Jacques Chirac lors de la campagne présidentielle de 2002. L’idée était alors d’assurer un « vote utile » dès le premier tour, en réunissant le maximum de soutiens à droite malgré les candidatures des libéraux et du centre. A l’époque, il s’agissait déjà de réunir un maximum de voix pour se qualifier pour le second tour, mais le 21 avril n’avait pas encore eu lieu. C’était une simple stratégie politique, sans pression.
Avant le premier tour, cette union allait au-delà du seul RPR, mais sans que cela ne soit formalisé dans un parti. Quelques semaines avant le 21 avril, le parti radical de Borloo avait rejoint l’aventure. Pendant l’entre-deux tours, les libéraux de Madelin ont rejoint le club. Il faut dire qu’avec 2,9%, Démocratie Libérale ne pouvait rembourser ses frais de campagne aussi rejoindre le parti de la Droite et du Centre permettait de mettre les comptes au vert. Enfin une partie de l’UDF a choisi, elle aussi, d’entrer dans l’union. Mais sans François Bayrou. Après six mois de préparation, le 17 novembre 2002, un congrès fondateur consacrait la naissance de l’Union pour un Mouvement Populaire.
Tout juste élu, son président, Alain Juppé, dut s’atteler à une tâche bien difficile : faire de la place à chacune des composantes de l’union. Des postes de permanents aux responsables de fédérations en passant par la liste des secrétaires nationaux, il a fallu sans cesse composer, arbitrer, fédérer. Jusqu’à parvenir à fondre tout ce petit monde sous une étiquette commune –UMP- tout en respectant les sensibilités des uns ou des autres. Une savante alchimie qui devait, pour beaucoup, à la personnalité d’Alain Juppé.
Conscient qu’un parti si riche en tendances pouvait vite se trouver confronté à une véritable zizanie, Alain Juppé décida de mettre en place les courants, pour chaque sensibilité. Il présenta son projet en conseil national, le 9 mai 2004, et sa motion passa de justesse, à seulement 58% des voix. Pour autant, elle fut voté. Les statuts prévoyaient qu’elle soit ratifiée par les adhérents lors du congrès suivant. Hélas, le congrès suivant fut celui de l’élection de Nicolas Sarkozy et le vote ne fut pas mis à l’ordre du jour. Ni à celui des congrès suivants, décentralisés sur le net ou non.
La priorité pour Nicolas Sarkozy, à l’époque, n’était pas de permettre l’expression des uns ou des autres, mais de se faire élire président. N’ayant jamais mis les pieds dans l’UMP depuis sa création, il prit en main un parti dont il ne connaissait rien, qu’il mit au pas avec les méthodes de l’ancien RPR… Les seules qu’il connaissait. Que l’UMP ait fait entre temps sa révolution culturelle et se soit modernisée lui échappait totalement : il n’avait pas vu le parti naître ni grandir, ayant toujours pris un grand soin à éviter ce lieu.
Une fois Alain Juppé terrassé par ses ennuis judiciaires, et la route laissée libre pour la prise du parti, Nicolas Sarkozy fonça… dans une structure qu’il ne connaissait pas. Faute de mieux, la droite en fit son candidat : non seulement il constituait un espoir de par sa jeunesse et son dynamisme, mais surtout, personne n’avait voulu aller à la bagarre. Il rencontra donc peu de résistance en interne, traita les récalcitrants par la purge et la terreur, et parvint ainsi à unifier le parti en vue de la présidentielle de 2007. Une stratégie particulièrement brillante, et jusque là payante, puisqu’il monta sur la plus haute marche du podium et devient président de la République.
Boulimique de pouvoir
Une fois élu, Nicolas Sarkozy rencontra son premier dilemme : laisser ou non le parti, et dans les mains de qui ? Celui qui avait ravi le parti aux chiraquiens était bien placé pour savoir le trésor que recelait cet outil pour mener une campagne victorieuse. Hors de question, donc, de le laisser à n’importe qui, ni de rendre un putsch possible.
Quels que furent les politiques en charge –Patrick Devedjian, Xavier Bertrand, Jean-François Copé- aucun d’entre eux n’a vraiment tenu le parti : Nicolas Sarkozy avait veillé à ce qu’il n’y ait pas d’élection du président de l’UMP –comme prévu par les statuts- et que le responsable de l’UMP ne soit qu’un secrétaire général. Ainsi, il restait lui-même, de fait, président du parti…
Pour mémoire le mandat de président de l’UMP est de 3 ans (à l’exception du premier mandat qui était de 2 ans). Ainsi, les élections du président de l’UMP ont eu lieu en novembre 2002 et 2004, conformément aux statuts, et auraient du être programmées en novembre 2007 puis 2010. Et rien ne l’empêchait : il était logique, sur le plan calendaire, de remplacer celui qui était devenu président de la République… tout comme Jacques Chirac n’avait pas pris en main l’UMP.
Ce ne fut pas le cas. Nicolas Sarkozy fit voter une réforme des statuts sur mesure, ajoutant des dispositions particulières pour le cas où « le président du parti devient président de la République » (Titre IX, articles 48 et 49). Ce petit arrangement avec les statuts permet à Nicolas Sarkozy de conserver la main sur l’UMP, tout en oubliant que le chef de l’Etat est, selon notre constitution, au dessus des partis. Mais au-delà de sa mainmise sur la maison UMP pendant sa présidence, c’est bien la question de l’après qui est posée.
Bizarrement l’article 48 omet de préciser ce qu’il se passe à la fin du quinquennat : le président redevient-il automatiquement président du parti ? Sur la base de quel calendrier sont alors programmées les nouvelles élections ? Autant d’éléments qui ont leur importance pour imaginer l’après hyper présidence de Sarkozy.
Sur les montagnes russes de l’opinion publique
Depuis 2007, la majorité présidentielle a connu bien des remous : succès post-présidentielle, vague bleu permettant de disposer d’un groupe majoritaire à lui seul à l’Assemblée Nationale, puis, comme pour tous les partis de gouvernement, une érosion de sa popularité. Nicolas Sarkozy s’était fait élire sur la promesse d’être le président du pouvoir d’achat. S’il s’est heurté à la crise, il a, avant celle-ci, déboussolé les français en affichant un style bling-bling décomplexé, mais totalement décalé par rapport à ses promesses de campagne. De la victoire fêtée au Fouquet’s au yacht de Bolloré, il a affiché ses signes extérieures de richesse… sans oublier au passage de s’augmenter de 172%.
Pire, Nicolas Sarkozy s’est perdu dans l’ivresse de ce pouvoir qu’il avait tant désiré, et qu’il s’était acharné à obtenir. Non seulement il est resté président de l’UMP, et a retardé autant que possible son départ du conseil général des Hauts-de-Seine, mais il s’est crû autorisé à transmettre les pouvoirs comme bon il l’entendait, allant jusqu’à tenter de faire élire son fils Jean, jeune homme de 23 ans peinant à valider ses semestres pour décrocher une licence de droit, à la tête de l’EPAD, le richissime établissement financier qui gère le quartier d’affaires de la Défense. Bien plus que de placer ses amis, il a crû pouvoir placer sa famille, oubliant la symbolique monarchique : cet arrière goût de loi salique provoqua un tollé dans l’opinion, et le « roi » dû renoncer au sacre princier, temporairement du moins…
Au fil des mois, la côte de popularité du président n’a cessé de baisser, au gré des réformes, l’obligeant à de multiples remaniements, et l’acculant à envisager une stratégie politique risquée pour ramener à lui les électeurs. La séquence 2010, visant à attirer les électeurs du Front National vers la branche dure de l’UMP, est à cet égard très intéressante : débat sur l’identité nationale, perte des élections régionales, loi sur la burqa, création de La Droite Populaire, groupe d’élus de cette droite dite « décomplexée » mené par les élus du Sud Est (surnommés les « pizzaïolos »), discours de Grenoble, séquence anti-roms, débat sur la laïcité, perte des élections cantonales.
Une majorité qui doute
Aujourd’hui, et parce qu’il l’a voulu ainsi en personnalisant le parti à outrance, l’image de l’UMP se fond dans celle de Nicolas Sarkozy. Quoi qu’il fasse, quoi qu’il dise, tout se reporte sur l’image du parti. Le bon –et ce fut le cas avant son élection- comme le moins bon. A l’inverse totale de la fin du quinquennat de Jacques Chirac et pour cause : Nicolas Sarkozy, alors président de l’UMP, et candidat à la présidentielle, cherchait à tout prix à se démarquer –et donc à démarquer le parti- de l’action gouvernementale. Revenu dans l’ordre juste des relations entre parti majoritaire et gouvernement, l’UMP absorbe tout de l’image de l’hyper-président.
Si l’Union fonctionne relativement bien aux beaux jours, les dissensions sont apparus avec la baisse de popularité constance de l’UMP, liée à celle du gouvernement et du président. Coupable désignée, le virage pris vers la droite dure. Difficile alors pour les autres composantes de l’UMP de se retrouver dans ces prises de positions. D’autant que sur le terrain, les élus se faisaient rabrouer par des électeurs désorientés. Du coup, nombre de candidats n’ont pas voulu afficher le soutien que leur offrait l’UMP, et beaucoup se sont déclarés sous l’étiquette DVD. Comme pour mieux montrer aux électeurs qu’ils n’étaient pas en accord avec le parti majoritaire, auquel ils n’appartenaient pas forcément, et qu’il n’était pas question de mélanger les torchons et les serviettes.
La claque prise par l’UMP lors des élections cantonales aurait logiquement dû être suivie d’une réaction. Hélas, le parti majoritaire a choisi de conserver la même ligne. Dès l’annonce des résultats du premier tour, Jean-François Copé a appelé au « ni ni » : ni Front National, ni front républicain. Le sujet ne pouvait que mettre le feu aux poudres et très vite, la majorité s’est divisée sur le sujet, de nombreuses personnalités de droite –dont le premier ministre François Fillon- appelant à faire barrage au FN. Une fois les élections passées, l’UMP a persisté… en maintenant le tant décrié débat sur la laïcité. Ce qui a une nouvelle fois généré de fortes turbulences en interne. Autant d’éléments qui construisent un joli nid à l’idée d’une éventuelle implosion de l’UMP en une explosion de courants prenant leur indépendance.
Pour autant, cette hypothèse n’est pas réaliste dans l’immédiat. Aujourd’hui, la séquence pré-présidentielle pose naturellement la question du positionnement de chacun, et de la meilleure stratégie pour l’emporter en 2012. Du côté des partis associés ou proches de l’UMP, il est temps d’entrer dans la négociation : soutien oui, mais en échange de quoi. Il est donc logique d’assister à des prises de distance, qui pourront même éventuellement aller jusqu’à une déclaration de candidature. Attention, certains de ces oiseaux visent un quota de circonscriptions réservées. Pour les courants non formalisés, ceux qui ont toujours joué le jeu de l’UMP, la tâche est plus ardue. Leur objectif prioritaire est de ne pas envoyer de mauvais signaux à leurs électeurs, et donc de peser sur les prises de position. D’où, également, certaines prises de distance.
D’autres enfin ont une stratégie plus personnelle, ce qui, au passage, doit rappeler des souvenirs à Nicolas Sarkozy. Si tout porte à croire que le président sera candidat à sa propre succession, deux questions restent posées : qui sera le mieux placer pour lui succéder, et quand ?
Pour autant, la question de la succession est totalement déliée de celle sur la survie de l’union de la droite et du centre. D’une part, parce que la personnalisation de l’UMP sur Nicolas Sarkozy cessera au plus tard lors de la campagne pour la présidentielle de 2017, et au plus tôt en avril 2012, qu’il soit ou non réélu.
Ensuite, il ne faut pas négliger l’aspect financier. Certes, l’UMP a oublié, au fil des années, sa diversité, du fait de l’hyper personnalisation menée par l’hyper président. Par temps d’orage, les différents courants ont voulu marquer leur différence… faute d’avoir pu mener ces débats en interne… faute que ces courants aient été mis en place comme prévu par le vote du conseil national le 9 mai 2004. Si l’UMP paie aujourd’hui l’expression dans les médias de ses différences, les équipes qui s’y sont succédé depuis Alain Juppé sont bien responsables d’avoir créé le monolithe.
Pour autant, à l’exception des partis comme le Nouveau Centre ou le Parti Radical, ces courants ne sont pas, pour la plupart, en mesure de se financer. Au-delà des cotisations et dons effectués par les adhérents, l’essentiel du financement des partis vient de l’aide publique allouée par l’Etat. Les montants sont définis par le score réalisé aux législatives. A titre indicatif, une voix représentait en 2007 environ 1,7 euros par an (jusqu’à l’élection législative suivante). La loi du 11 avril 2003 a tout de même apporté une limite permettant d’éviter la multiplicité des très petits candidats aux législatives : cette dotation est réservée aux seuls partis et groupements politiques ayant atteint 1 % des suffrages exprimés dans au moins 50 circonscriptions.
Lorsqu’on regarde de près, de nombreux députés appartiennent à plusieurs « courants ». Ainsi, le Chêne, le mouvement gaulliste de Michèle Alliot Marie, en revendique 200. Sur 325 députés UMP. Sachant que leur élection permet le financement de leur parti, combien seraient prêts à se présenter sous l’unique étiquette du Chêne ? Quitte à avoir un candidat UMP face à eux ? La démonstration peut se reporter sur les autres groupes, que ce soit la Gauche Moderne, la Droite sociale de Laurent Wauquiez, la Droite Populaire, … Naturellement, certains députés sont membres à la fois de plusieurs courants, on le voit aisément lorsque l’on additionne le nombre d’élus revendiqués par chacun. Sous quelle étiquette alors se présenteraient-ils ? Il est bien évident que ces petits courants sont créés pour représenter un mouvement d’idées, et non pour se constituer en parti politique.
Pour les partis constitués, la stratégie d’union est toute autre : il est plus intéressant pour le Nouveau Centre ou le Parti Radical de négocier des circonscriptions réservées, c’est-à-dire sans candidat UMP face au candidat NC ou PR présenté, plutôt que de prendre le risque d’un candidat autonome, qui ferait un score – et donc rapporterait du financement- mais ne serait pas forcément élu. Ne pas avoir d’élus à l’Assemblée Nationale limite en effet considérablement le poids politique d’une sensibilité… pour eux, la stratégie est simple : union dès le premier tour, contre des circonscriptions réservées et cadeau bonus : possibilité d’avoir un groupe parlementaire (cas du NC), intégration de la sensibilité au gouvernement (PR), ou les deux.
En conclusion, tout le monde a intérêt à conserver la stratégie d’union, et c’est bien pour cela qu’elle s’est créée en 2002. L’idée de Jacques Chirac était de créer une coalition de la droite et du centre dès le premier tour, afin d’insuffler une dynamique permettant de l’emporter au second tour. Coalition fondé sur un socle de valeurs assez larges, reprises dans la charte de l’UMP.
Si aujourd’hui l’UMP souffre de la personnalisation du parti par Nicolas Sarkozy, il est peu probable qu’au départ de celui qui pose problème, le monolithe explose : bien au contraire, ce peut être une vraie chance pour l’UMP. Le parti aura alors à se transcender, et l’un de ses enjeux majeurs sera d’intégrer ses courants… et de reprendre là où le parti en était resté avant l’arrivée de Nicolas Sarkozy…
Et pas forcément sans lui. Juppé l’a prouvé, et d’autres avant lui : personne n’est jamais mort en politique. L’avenir de l’UMP passera par sa capacité à se moderniser… et c’était bien le projet de Jacques Chirac.
*Cet article a été écrit pour Politiko et publié à cette adresse