Politique et internet : Quid de la e-démocratie à l’aube de 2012 ?

Dans le cadre du petit déjeuner Politique et Internet : je t’aime, moi non plus ? proposé par APCO Worlwide et La Revue Parlementaire, les participants ont pu poser des questions aux invités.

La première portait sur la e-démocratie, un concept encore timide, qui reste à inventer. En voici le verbatim.

Question de @nobr_

Les questions de ce matin portaient sur internet comme outil de campagne, on a un peu parlé de e-démocratie, mais quand on regarde concrètement en France il y a concrètement une absence de stratégie en matière de e-démocratie, même dans l’utilisation des réseaux sociaux.

Au Mexique, en Russie, ou dans d’autres pays parfois le gouvernement impose à ses ministres, à ses députés, à ses ministres d’utiliser Twitter, de tenir un blog, pour maintenir un lien avec leurs électeurs.  Obama utilise internet dans sa diplomatie ; ainsi le discours du Caire a été uniquement retransmis sur YouTube, et c’est par ce biais là qu’il a essayé de toucher les populations arabes.

En France, même quand on pose la question politiques, « Que pensez-vous proposer en matière de e-démocratie pour la campagne de 2012 », la plupart du temps, ils ne comprennent même pas la question. Ce fut le cas lorsque j’ai rencontré François Hollande. Pensez-vous que c’est quelque chose qui va venir rapidement, et qu’est ce qui explique ce manque de proposition en France ?

Lionel Tardy, député

E-démocratie et campagne électorales sont liées. Je passe beaucoup de temps à Paris et j’utilise Twitter, le blog, Facebook, ainsi les gens de la circonscription peuvent connaître en temps réel mes positions sur des textes, sans avoir à aller sur le site de l’Assemblée. Ca participe de la e-démocratie, et ça participe d’une campagne électorale.

Quand j’arrive le week-end en circonscription, il y a des élus y compris de gauche qui viennent me féliciter pour telle ou telle prise de position (OGM, Loppsi, Hadopi, …), je n’ai pas eu besoin de faire de communiqués de presse, je n’en fais jamais. Depuis 2007 je n’ai fait qu’un tract. Avec le réseau que j’ai mis en place, les journalistes parisiens et locaux suivent mon actualité et très souvent, y compris dans l’édition locale du Dauphiné Libéré en Haute-Savoie, j’ai des infos qui sont reprises sans faire aucun communiqué de presse.

Tout est lié et ça c’est très important. Ce que demandent les gens, c’est savoir ce que l’on fait, sur tel ou tel sujet connaître notre position, et le faire par internet c’est beaucoup plus facile que dans un journal diffusé une fois par an, ou une lettre d’information tous les quinze jours. Dans ma manière de travailler, tout est lié.

Et après si j’ai besoin d’une interview télé -je prends le cas hier de la convention UMP- j’envoie un ou deux tweets sur la convention, et sans que je ne sollicite personne, un journaliste voit que j’y suis, me dit qu’il a besoin d’une interview et me demande si je suis disponible, tout se fait ainsi. De toutes façons je n’ai pas la logistique : j’ai un assistant à Paris, j’en ai deux en circo. Tout passe par le net, et aujourd’hui, je constate que plus on donne d’informations, plus on est dans l’e-démocratie, plus on a de retours des électeurs locaux ou par les médias.

Après il y a des règles. Dans la majorité si vous êtes godillot, vous n’intéressez personne parce qu’il y a des choses que vous n’oserez pas tweeter, des amendements que vous n’oserez pas voter, du coup ça a beaucoup moins d’intérêt. Par contre effectivement, quand on essaie de faire son boulot comme il faut, mais ça dépend aussi de la façon dont on a été élu et ça on pourrait en débattre, quand vous êtes présent à l’Assemblée, que vous défendez des amendements contre la ligne du gouvernement, et que vous êtes là le vendredi soir c’est-à-dire que vos amendements ne tombent pas, ils sont défendus, je peux vous dire que dans la sphère internet ça intéresse beaucoup de monde.

On voit bien comment réagissent les médias et les internautes. En début de mandat ils regardent comment les cadors se positionnent, et puis après ils regardent un petit peu les autres. On arrive en moitié de mandat, et même en fin de mandat, à un noyau dur de 150 députés. Et tous ces gens qui gravitent autour de l’Assemblée et ceux qui n’ont pas accès à l’Assemblée vont au début consulter les cadors pour vendre leur amendement, et quand ils s’aperçoivent que ces gens là ne sont pas dans l’hémicycle et qu’ils ne font pas leur travail, ils vont vers des députés de base qui justement, vont faire le travail. Pour moi c’est une richesse sans commune mesure.

Ca permet de constituer un réseau, et là on est vraiment dans l’e-démocratie complète. Aujourd’hui, c’est quelque chose qui fonctionne parfaitement et je crois que c’est important.

Pour moi l’e-démocratie dans mon travail au quotidien c’est le fait d’ouvrir le travail parlementaire à tout le monde. Aujourd’hui le travail parlementaire c’est les groupes de lobbying, les gens qui ont accès aux députés, qui peuvent prendre le temps de se déplacer, ça limite quand même sacrément les choses.

Il y a beaucoup de gens qui ont plein de choses à dire sur les textes, qui souvent sont très pertinents, certains viennent nous voir en circo dans nos permanences pour crier pour qu’on ne leur retire pas telle ou telle niche. Et puis après il y a des gens très pertinents, sui souhaitent soit participer au débat parlementaire, soit qui font passer des informations, mais qui n’ont pas de support à l’assemblée pour le faire. Dans ma façon de travailler, quelque part ces gens là je les touche.

Parfois dans l’hémicycle il y a des députés ou des ministres qui me disent « mais où es tu allé chercher cet amendement, on n’y a pas pensé, pourtant on a fait tourner les trucs à Bercy », et bien c’est ça. Pour moi, la e-démocratie c’est permettre à ces gens là d’accéder aux parlementaires alors que normalement ils n’y ont pas accès.

Après c’est dans les deux sens, on s’appelle, on échange des mails, mais le lien principal s’est fait par Twitter, par le blog, par un contexte général qui fait qu’on sait que je suis dans l’hémicycle donc on va se rapprocher de moi. Mais je peux vous dire que quand j’en discute avec mes collègues dans l’hémicycle, ils me disent : « tu as accès à des gens auxquels on n’a pas accès ». C’est ça, surtout, qui intéresse les gens, au-delà de la communication. Pour moi c’est hyper important.

Benoît Thieulin, de la Netscouade

Je pense que c’est un très bon exemple. Ca ouvre le jeu, qui est resté très fermé. On va dire que c’est du lobbying, mais dans un sens moins péjoratif, c’est-à-dire que la société civile puisse se connecter plus facilement à des parlementaires dans le cadre d’un débat public.

Ca n’est que la moitié du chemin. Les pouvoirs institués doivent fournir suffisamment d’information pour que les administrés puissent s’approprier le débat public, et ça c’est notamment ce qu’on appelle les open data, qui doivent être dans des formats ouverts et structurés. Pour entrer dans le débat public, par exemple sur la loi de finances, il ne faut pas se contenter d’un PDF.

On doit pouvoir directement aller sur les API de Bercy, et pouvoir faire tourner des algorithmes ou autres, faire des calculs avec des économistes derrière, pour pouvoir tracker, discuter, contre expertiser la loi de finances. Ces choses là ne sont pas encore possibles mais ça va l’être, et de plus en plus, et ça va être intéressant, parce que la société civile aura plus de moyens pour analyser.

Et puis à l’intérieur du débat parlementaire, les workflow de discussion, les outils qu’on met à la disposition d’un parlementaire en interne pour éclairer le débat sont quasiment inexistants. C’est un continent entier. Les amendements devraient pouvoir être discutés de manière totalement numérique. Aujourd’hui, ils ne le sont que partiellement, et pas de manière égale dans les deux assemblées. Il n’y a pas un vrai workflow de travail collaboratif or le débat parlementaire est du travail collaboratif. On en est encore à utiliser des moyens du XIXème siècle voire l’Empire Romain.

Les lois sont complexes et quelquefois le Conseil Constitutionnel invalide des décisions votées par les assemblées au motif qu’elles ne savent pas très bien ce qu’elles ont voté. Les conséquences des amendements ou de la loi qui est passée sont tellement insondables qu’en réalité c’est une insécurité juridique, et c’est invalidé. Il est évident que la mise à disposition de simulateurs, d’études d’impact ou de bases de données devraient permettre d’éclairer le débat parlementaire au Parlement.

Exemple : il y a un outil de simulation fiscale qui existe à Bercy… il est bien planqué dans le coffre-fort de quelques inspecteurs des finances. Ces moyens là devraient être donnés à l’Assemblée Nationale et au Sénat. Ces outils là existent un peu, et son uniquement aux mains de l’exécutif. Je pense que c’est un tort, et que là il y a un boulevard pour éclairer le débat parlementaire avec des outils numériques.

Lionel Tardy, député

C’est extrêmement important. Quand on aura tous ces outils, votre rôle sera très important, car un parlementaire ne peut pas tout faire. Ces outils, quand bien même les parlementaires l’auront demain, on ne pourra pas les utiliser. On en revient au problème de base. C’est votre rôle, à vous, de mouliner tout ça, de sortir des infos.

Au-delà de ça, j’ai rencontré récemment un sénateur aux Etats Unis : il a onze collaborateurs dont son spécialiste internet, ça fait rêver. En France on n’a pas ça. Donc le parlementaire, soit c’est un généraliste, qui va sur tous les sujets, soit il est très pointu sur un texte, et pour moi il faut aller sur tous les sujets sinon on se cantonne à 15 ou 20 spécialistes, toujours les mêmes, et au final on ne bouge pas.

On n’a pas le temps de consulter tous ces documents et là encore, dans l’e-démocratie, je pense que ça se passera entre les gens qui sont capables d’analyser les choses en dehors de la parole gouvernementale, et les élus qui seront capable de faire remonter l’information sur les données issues de ces outils. J’espère que ça se mettra en place pour les prochaines législatures, et ça nourrira encore plus le débat.

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