Pour sa dernière journée, l’Université d’été du Medef proposait un débat sur “Le sport, filière d’avenir”, auquel participait, entre autres, Bernard Lama, ancien gardien de l’équipe de France et champion du monde 1998.
Intelligent, censé et posé, Bernard Lama fait partie de ces footballeurs qui ont su faire fructifier leurs capacités intellectuelles parallèlement à leurs jolis muscles, et tirer quelque chose de leur expérience de sportif de haut niveau, notamment en matière de mental. Humble, il sait rappeler que « Le sportif de haut niveau, tous les jours il se remet en question, tous les jours il doit aller gagner sa place ».
Si c’est totalement vrai en club, où la compétition est acharnée, c’est nettement moins vrai dans l’équipe de France actuelle qui démontre le contraire en continuant de sélectionner et de titulariser un joueur en manque de réussite depuis près de 15 mois, Karim Benzema, et au sein de laquelle la plupart des cadres considèrent leur sélection comme acquise.
C’est là que pour moi, le bât blesse. Bernard Lama dépeint avec cœur et conviction ce qu’il a connu, à savoir son monde de 1998, avec ce formidable moment où tout un peuple a basculé dans l’allégresse lorsque la France a emporté la victoire finale et accroché sur son maillot sa première étoile. L’ennui, c’est qu’il est resté bloqué à cette date, sans réellement analyser ce qu’il s’est passé depuis.
Pour lui, « en 98 on gagne la coupe du monde et nous devenons les héros de la société, c’est là le problème ». Et pourtant non. Il n’y a pas de problèmes à être devenu des héros ou des modèles, certains joueurs étaient déjà des stars dans leurs clubs respectifs, d’autres le sont dans d’autres pays sans que leur sélection n’en pâtisse.
Le problème vient plutôt de l’exploitation de ce statut de héros par la sphère publicitaire, qui a peu à peu gangrené l’équipe de France et surtout profondément modifié le rapport des joueurs aux maillots. S’il restait naturel de faire fructifier leur statut de champion du monde, les héros de 1998 se sont gavés sur ce juteux marchés, ont passé beaucoup de temps à négocier des contrats et à user et abuser de la poule aux œufs d’or.
Tirant alors de forts revenus d’autres sources que leur métier et sport, leur rapport à l’équipe de France c’est profondément modifié. Devenus chers et demandés, la sélection nationale, peu rémunératrice en monnaie, est devenue une annexe moins attirante. Si entre 1998 et 2000 il était intéressant de tenter le doublé Coupe du monde / Euro, la période qui a suivi a été un vaste n’importe quoi. C’était tout juste si ce n’était pas à l’équipe de France d’être honorée d’avoir tel ou tel champion dans ses rangs.
La sanction prendra la forme d’une bonne douche froide lors de la Coupe du Monde 2002, qui verra les champions du monde en titre repartir la queue entre les jambes, dès le premier tour du mondial qu’elle quitte sans aucune victoire, affichant deux défaites et un match nul. 2004 ne sera pas vraiment plus brillant, la France quittant l’Euro en quart de finale face à la Grèce, qui remportera l’Euro, après une compétition qui ne restera pas dans les annales.
Mais le pire reste à venir. Le pire, qui intervient au meilleur moment : la finale de la Coupe du Monde 2006. C’est à ce moment, alors que la France pouvait accrocher sa seconde étoile, qu’elle est tombée dans un trou noir. Revenons sur ce match au cours duquel tout a basculé, créant un chaos dont aujourd’hui encore, sept ans après, l’équipe de France peine à se débarrasser.
Qu’on se comprenne bien : la France n’a pas perdu la Coupe du Monde 2006, l’Italie l’a gagnée. Contrairement à l’imaginaire collectif, qui cumule mauvaise foi et désamour des défaites avec le traumatisme du pétage de plomb de Zizou, l’Italie n’a volé personne. Ce serait même presque le contraire tant le pénalty qui offre à la France l’ouverture du score est généreux : Florent Malouda a effectué un superbe plongeon et sept ans après il est temps de le reconnaître, Materazzi n’a jamais touché Malouda. En outre, la France a été chanceuse puisque Zidane ose une panenka sur Buffon, mais c’est surtout la transversale qui marque.
La suite, vous la connaissez. Materazzi égalise au score, et on part pour de longues prolongations au cours desquelles les drames vont s’enchaîner : le claquage de Vieira, la tête de Zidane magnifiquement claquée par l’arrêt du siècle de Gigi Buffon, l’exclusion de Zidane pour coup de boule sur Materazzi, et enfin le tir au but de Trézéguet stoppé par la transversale (et non Buffon comme je l’avais précédemment écrit, victime de mon amour immodéré pour le grand Gigi) qui permet à l’Italie de remporter une quatrième étoile bien méritée.
Quid de la France ? Elle a raté le coche, se laissant prendre au piège de la pression des grandes finales, et c’est LE joueur phare de l’équipe, la tête de gondole –dans tous les sens du terme- qui a craqué. Pire, elle s’est enfoncée dans la suffisance, sans jamais se remettre en question. Zidane a arrêté sa carrière sur ce match, et l’idole n’a jamais été réellement questionné ou critiqué pour ce geste mais au contraire, toujours excusé, la France préférant vilipender Marco Materazzi. Mais depuis quand on excuse les agresseurs et on condamne les victimes ? Parce que la France doit conserver le beau rôle ? Parce que le foot français ne peut assumer la réalité ?
Pourtant, il y aurait à redire sur la déchéance de l’icône de 1998. Sur ces 8 années qui séparent ce moment de grâce du 12 juillet 1998 de l’enfer du 9 juillet 2006. 8 années de Danone, Mc Do et autres sponsors. 8 années de starisation extrêmes. 8 années à exiger des sportifs des exhibitions alors que leur corps réclamait du repos. Car Zidane n’est pas l’unique fautif de ce craquage : les choix de gestion de l’équipe de France ont grandement contribué à gripper la machine. Comme ce match amical joué avant le mondial, au cours duquel il est aligné bien que blessé, en vertu d’un accord avec les sponsors. Alors qu’il a joué une saison complète et épuisante en club, et qu’il se prépare pour la coupe du monde.
Reconnaissons-le enfin : après 1998, le football français a pété les plombs, et s’est vu plus grand qu’il n’était. Au lieu de privilégier l’aspect sportif, il a eu envie de faire tourner la machine à cash, parfois à outrance. Les joueurs n’ont pas été en reste, puisqu’on laissait les sponsors les approcher. Tout ce petit monde a voulu faire fructifier le titre, jusqu’à l’overdose. Ce qui laissait peu de place au sport et amoindrissait les chances de renouveler l’exploit.
Peu à peu, les joueurs ont accordé moins d’importance à l’équipe de France. Cet esprit s’est répandu dans le groupe, touchant également les nouveaux entrants. La fierté de porter le maillot tricolore s’est effacée devant l’intérêt d’être sélectionné pour bénéficier de nouveaux revenus n’ayant rien à voir avec le foot. Ainsi gangrenée, l’équipe de France va connaître une période bien noire qui trouvera son apogée lors de la coupe du monde 2010.
Souvenez-vous, l’Afrique du Sud… Persuadés d’être des stars au-dessus de tout, les joueurs n’ont pas respecté leur entraîneur, et sont allés jusqu’à faire grève refusant de descendre du bus pour se rendre à l’entraînement. Implosion du foot français devant les caméras du monde entier. Ignominie. Honte.
Aujourd’hui encore, à part quelques auteurs de livres sur le football français –je vous invite à lire La décennie décadente du foot français de Bruno Godard et Jérôme Jessel- trop peu de monde relie le séisme de Knysna et les difficultés actuelles de discipline dans l’équipe de France à la très mauvaise gestion de l’après 1998 dont le cycle s’est achevé avec la défaite de 2006. Et ça n’est en rien la faute des joueurs : ces gamins se retrouvent en centre de formation à 13 ans, c’est là qu’on leur inculque les valeurs du foot français. Reste à voir lesquelles on choisit de leur transmettre !
Quand on persiste à se mettre des œillères et qu’on refuse de voir qu’on a transformé la FFF en poule aux œufs d’or –qu’on a fini par tuer- en oubliant de faire primer l’équipe sur le fric, on a transmis aux générations suivantes l’individualisme, leur laissant croire que la performance individuelle suffirait à leur ouvrir les portes de l’équipe nationale. Ce qui s’est passé. Aujourd’hui, nombre de joueurs scrutent leurs statistiques personnelles sans se projeter dans un système de jeu collectif en équipe nationale… alors qu’en club, s’ils agissent de la sorte, ils goûtent aux joies du banc.
Ca n’est donc pas un problème de footballeurs, sur lesquels on aime trop souvent taper avec beaucoup trop de facilité -alors que Benzema ou Ribéry, par exemple, réussissent en club-, mais bien de gestion humaine d’une équipe. Mais voilà en France, l’omerta règne sur le petit monde du foot français. Il est impossible d’oser remettre en question la gestion faite par la FFF. On se borne à changer les entraîneurs, pensant que cela résoudra tout. Mais comment l’entraîneur de l’équipe A pourrait résoudre une question qui relève de la politique footballistique en France, et donc du président de la FFF ?
Autant vous le dire clairement, rien ne changera. Benzema ne marquera pas plus de buts –venir en équipe de France suffit à assurer son statut d’international et la place est acquise, la compétition inexistante, comment le motiver et donc l’aider à marquer ? Pourtant il réussit en club !-, la génération 1987 commettra toujours des boulettes comportementales qui seront ultra commentées –elle a été éduquée comme ça !- et la FFF pensera toujours que si on ne va pas aussi loin qu’on le voudrait dans les compétitions internationales, c’est parce qu’on est tombés sur une équipe plus forte, même s’il est évident qu’on n’a pas forcément tout donné.
Voilà pourquoi la France n’est pas prête de décrocher sa deuxième étoile. Le football français retrouvera son vrai niveau lorsqu’il cessera de se comporter comme un ado, et acceptera de regarder la réalité en face. Il y verra des qualités, sur lesquelles il pourra capitaliser, et des défauts, qu’il pourra travailler à effacer. Le football français ne brillera que lorsqu’il fera sa mue, et deviendra un homme. D’ici là, le laisser se complaire dans un niveau très inférieur à ce qu’il pourrait réaliser n’est pas l’aider et encore moins l’aimer.