Le #BenallaGate : une question de confiance

Depuis les révélations du journal Le Monde le 18 juillet, tout le monde ou presque a entendu parler du BenallaGate, du nom d’Alexandre Benalla, ce collaborateur du Président de la République qui aurait eu la main leste lors de la manifestation du 1er mai dernier, sur laquelle il était observateur. Mais ce feuilleton de l’été cache-t-il un scandale d’Etat ? Décryptage.

Un collaborateur qui jette le discrédit sur le Président

La faute de Benalla, basée sur son comportement dont il sera à démontrer s’il est délictueux ou non, est très fortement politique. Cette affirmation ne remet pas en cause la gravité des faits : si un observateur invité sur une manifestation a outrepassé son rôle, il devra en répondre devant la justice, qui est saisie. Je ne m’exprimerai donc pas sur les faits, afin de préserver sa présomption d’innocence.

Quand on gère un dossier aussi sensible que la sécurité, et que l’on est en charge de la réorganisation de sa sécurité, on sait que cela va créer des remous. Et donc, on se montre très prudent. Si l’on est un peu malin :

  • on ne va pas en observateur sur une manifestation dont on sait par le renseignement qu’elle va être chaude.
  • Si on y va quand même, on ne prend aucun risque. Donc surtout pas celui de « vouloir aider », selon les propres termes de l’intéressé, au risque de se mettre en tort.
  • Si on l’a fait quand même et qu’on a été repéré par une vidéo, on démissionne pour ne pas exposer la présidence. Même si on nous dit que ça n’est pas la peine.
  • Bien sûr, comme il y a un risque que ce départ pointe l’existence d’un problème, on dit tout de suite la vérité. Comme cela a été fait pour les ministres qui ont été démissionnés. Le tout au nom de la morale.
  • Et si on ne le fait pas, on ne récupère pas un CD-Rom dont on ignore le contenu et la provenance. C’est comme pour les bagages, on ne prend jamais ceux des autres car ils peuvent contenir des objets interdits (drogue, armes, etc…). Un CD-Rom aussi. Donc, on est malin et on ne prend pas.
  • Et si malgré tout on le prend, on ne le passe à personne. Surtout pas sans savoir ce qu’il contient.

En résumé, Alexandre Benalla a commis une série d’imprudences -à la justice de dire s’il a commis des faits répréhensibles-, qui sont autant de fautes professionnelles au titre de son rôle de collaborateur du Président de la République, parce qu’il a exposé le Président à un épisode médiatico-politique. N’importe quel collaborateur politique le sait.

En toile de fond, un désaccord sur les questions de la sécurité du Président

Alexandre Benalla a-t-il été victime d’un complot ? Déjà, peu importe. Le rôle d’un collaborateur, en particulier à ce niveau, est de savoir parer les coups, d’où qu’ils viennent et quelle que soit leur forme. Donc si on a cherché à l’atteindre, il n’a pas été en mesure de l’éviter ni de se sacrifier. C’est aussi une faute.

Ensuite, sur la qualification de cet épisode : de la même manière qu’il ne s’agit pas d’un scandale d’Etat, le terme « complot » est totalement exagéré. S’il reste possible que cette affaire ait pu servir à délivrer un message au Chef de l’Etat, concernant son projet de réforme des services de sécurité, il ne s’agissait en aucun cas d’atteindre ou de faire tomber le Président.

Le sujet de la sécurité du locataire de l’Elysée est sensible, et ne peut être pris par-dessus la jambe. Le GSPR, qui assure cette mission, est composé d’hommes et de femmes triés sur le volet, titulaire d’une formation complète et de très haut niveau. De tous temps, il y a eu des frictions entre les différentes composantes des services de sécurité, et ils ont souvent été réorganisés. De Gaulle avait ses gorilles, Mitterrand a créé le GSPR sur la base des gendarmes, Sarkozy a préféré les policiers, Hollande a fait un mix… Ces questions ne sont pas nouvelles.

S’il est possible de modifier l’institution, comme cela a été le cas à plusieurs reprises par le passé, cela demande du doigté dans la réflexion et dans le choix des hommes qui la portent. Leur crédibilité est nécessairement la garantie d’une réforme réussie. Mais la simple idée qui circule -et qui demande à être démontrée- selon laquelle un jeune collaborateur de 26 ans aurait pu donner des ordres au GSPR peut expliquer qu’il y ait eu une volonté de le faire tomber. Si c’est le cas -et pour le moment on n’en sait rien-, ça n’est en aucun cas un complot : simplement un message… Rien de très étonnant là-dedans, prétendre le contraire serait d’une naïveté qui ne convient pas à une analyse sérieuse de la situation.

Une séquence médiatique désastreuse sur le plan politique

Ces fautes sont telles qu’elles ont engendrées une séquence désastreuse pour toute la classe politique.

A quelques exceptions près -dont le Premier Ministre et quelques rares députés- la majorité s’est enlisée dans une gestion de la crise absolument catastrophique, tant sur le plan de la communication que sur le plan politique, faute d’avoir compris le risque de feuilleton que recelait cet épisode :

  • Diffusion d’éléments de langage à géométrie très variable, témoignant d’une vraie panique à bord : Diffusion d’une première salve d’éléments de langage indiquant que le Président de la République n’avait rien à voir avec cette affaire et qu’Alexandre Benalla voulait voir comment se gérait une manifestation. Puis sur une deuxième faute (la récupération d’un CD-Rom contenant les images de la Préfecture de Police de Paris), qui justifierait son licenciement. Après avoir dit pendant deux jours que tout cela ne concernait pas le PR, ils ont relayé sa grandeur de se déclarer responsable, changeant de pied à 180°. Enfin, ils se sont rués sur le premier sondage un poil favorable au Président, sans la prudence requise en la matière, avant d’être contredits par le suivant qui place le Président au plus bas de sa popularité.
  • Refus de créer une commission d’enquête parlementaire: face aux multiples rappels au règlement en pleine étude du #PJLConstit à l’Assemblée Nationale, qui bloquent de fait les débats, la majorité finit par céder et constitue sous la pression la commission des lois en une commission d’enquête, qu’elle avait d’abord refusée.
  • Refus d’auditionner certains protagonistes de l’affaire (dont Alexis Kohler, Secrétaire Général de l’Elysée ou encore Christophe Castaner, Délégué Général de la République en Marche) au motif que cela n’aurait pas été nécessaire. Dans le même temps, on apprend qu’ils seront auditionnés par le Sénat. Ce qui de fait, affaiblit la chambre basse au moment même où était discuté le #PJLConstit, tuant le texte dans sa rédaction initiale.
  • Erreur de #compol de Christophe Castaner : à la fois Ministre des Relations avec le Parlement et Délégué Général d’En Marche, Castaner était bien au Parlement au plus fort de la crise, mais a soigneusement évité l’hémicycle, pour éviter les questions gênantes sur Vincent Crase, salarié d’En Marche qui accompagnait Benalla. En revanche, il n’a pas eu l’idée d’éviter un clash de 10 minutes avec Marine Le Pen en salle des Quatre Colonnes, le tout devant les caméras de télévision.
  • Prise de parole du PR totalement à côté de la plaque: faute d’avoir pris la mesure de l’ampleur de la crise, celle-ci a eu lieu dans un cadre privé, devant les seuls députés LREM, avec en organisant la fuite du contenu en vidéo : on y voit le PR se moquer des rumeurs, se déclarer fier de son collaborateur et être responsable, avant de déclarer un mythique « Qu’ils viennent me chercher », dont on peut parier, au vu de son immunité le temps de son mandat, qu’il restera dans les annales. Il a depuis ajouté qu’il s’agissait d’une « tempête dans un verre d’eau », choisissant une stratégie de gestion de crise par le déni, alors que 80% des sondés se sont déclarés choqués et 73% ont jugé l’affaire « grave ».
  • Auditions troubles de la chaîne de commandement : entre le Ministre de l’Intérieur qui a prétendu lors de sa première audition ne pas savoir grand-chose, et le Secrétaire Général de l’Elysée qui s’est pris une leçon de droit constitutionnel par le président de la commission des Lois du Sénat (lui-même ancien Secrétaire Général de l’Elysée), on ne peut pas dire que les proches du Président aient brillé.
  • Plan de communication d’Alexandre Benalla, manifestement piloté par Le Château : une interview dans Le Monde, le 20h de TF1 totalement relooké pour la circonstance, et une interview dans le JDD. Le tout pour dédouaner le Président et assumer l’aspect politique de la crise.
  • Bonus Track : la diffusion d’images illégalement obtenues ?  il semblerait que des militants LREM aient diffusé sur les réseaux sociaux des images issues de la vidéosurveillance de la Préfecture de Police. Ce qui en ferait les receleurs d’images obtenues illégalement et pose la question de qui leur aurait fournies. Ce point reste à vérifier par la justice, qui a étendu son enquête à ce point. Si c’est le cas, l’erreur politique est abyssale.

Les oppositions, si elles avaient plutôt bien démarré leur gestion politique :

  • Utilisation des rappels au règlement à l’Assemblée nationale pour demander la venue du Premier Ministre, pour s’expliquer sur ce qu’il s’est passé le 1er mai au regard des révélations du Monde sur l’affaire Benalla et contraindre la majorité à constituer une commission d’enquête parlementaire et contraindre le gouvernement à s’expliquer.
    C’est en partie réussi grâce à Boris Vallaud, qui déterre le point technique qui permet de faire constituer la commission des lois en commission d’enquête. Le gouvernement, lui, ne viendra pas s’expliquer. Mais l’examen du #PJLConstit sera suspendu.
  • Participation à la commission d’enquête parlementaire : les oppositions ont su, au début de la commission d’enquête, se montrer au travail dans la recherche de la vérité. Guillaume Larrivé, co-rapporteur, s’était même révélé dans ce rôle. Sans toutefois obtenir l’audition des témoins souhaitées par les oppositions.

Hélas, elles ne se sont finalement pas montrées à la hauteur de la situation, tant elles ont péché par excès :

  • Demandes d’auditions fantaisistes : La France Insoumise a exagéré dans ses demandes, en réclamant l’audition d’Alexandre Benalla, qui semble malvenue au regard de l’instruction judiciaire en cours vu que la commission d’enquête de l’Assemblée nationale porte sur le même périmètre (contrairement à celle du Sénat qui lui, peut donc l’auditionner), et du Président de la République, qui n’est pas possible en vertu de notre Constitution.
  • Clash en commission d’enquête: faute d’obtenir les auditions souhaitées et en raison de l’obstruction de la présidente de la commission des lois, les oppositions ont quitté la commission. Pour des raisons tactiques, il aurait été préférable d’aller au bout de la vie de la commission, quitte à gérer ces différents au moment de la rédaction du rapport.
  • Motions de censure : deux motions de censure, de droite et de gauche, ont été déposées sur la base de l’art. 49-2 de la Constitution. C’est une erreur politique que d’obliger le Premier Ministre à répondre sur un dossier qui concerne manifestement le Président de la République, puisqu’il s’est lui-même déclaré responsable. Ce n’est pas parce que l’on a une arme qu’elle est appropriée.

Un effet difficile à quantifier aujourd’hui

Aujourd’hui, personne ne peut présumer de l’impact qu’aura cette affaire dans l’esprit des Français. Les sondages sortis depuis l’affaire sont contradictoires, et ne représentent qu’un instantané. C’est dans la durée que l’on verra si cet épisode a imprimé dans la population ou non.

Bien sûr, les corps intermédiaires, tels que les syndicats, tenteront dès la rentrée de souffler sur les braises de cet épisode pour tenter de mettre à mal les prochains textes qui seront étudiés, comme la réforme des retraites. C’est de bonne guerre. Et le Sénat pèsera de tout son poids, notamment lors des commissions mixtes paritaires, pour amoindrir les textes présentés par le gouvernement. C’est aussi un jeu politique.

L’autre bataille attendue sera celle des institutions. A ce jour, le #PJLConstit est suspendu et non retiré. Cependant, ce texte a du plomb dans l’aile, au moins dans sa rédaction actuelle. François de Rugy, président de l’Assemblée nationale, a déjà annoncé au perchoir être prêt à travailler avec tous ceux qui le voulaient pour amender ce texte. C’est donc une indication formelle quant aux modifications qu’il devra porter. Et pour cause : ce texte devra être ratifié soit par le Congrès à la majorité des 3/5ème, dont ne dispose pas le Président -et on sait déjà que le Sénat n’est pas acquis- ou par référendum… une voie pas plus acquise, d’autant plus à la suite de cet épisode.

Mais surtout, le calendrier électoral est chargé et assez défavorable à la majorité :

  • Juin 2019: élections européennes. Ce scrutin est traditionnellement marqué par un fort désintérêt des électeurs, une forte abstention, et un poids élevé des extrêmes. Pour l’emporter ou limiter les dégâts, la majorité devra donc constituer une alliance avec les pro-européens compatibles. Un exercice rendu difficile par cet épisode : la majorité devra faire des concessions.
  • Mars 2020: municipales. Lors de ce scrutin, les Français votent au plus près, pour une personnalité plus que pour un parti. La majorité, qui ne dispose ni d’élus locaux, ni de troupes militantes, devra là encore passer par des alliances dans la plupart des cas. Si déjà, la suppression de la taxe d’habitation, qui a fragilisé les ressources des collectivités territoriales, avait rafraîchi l’envie de certains élus susceptibles de s’allier à En Marche, cet épisode ne va certainement pas leur donner envie de s’attacher des boulets aux pieds.
  • Septembre 2020: sénatoriale. Ce scrutin dépendra des municipales. Et donc, de la possibilité pour le Président de disposer d’une majorité à la chambre haute.
  • Décembre 2021: départementales et régionales. Ces scrutins auront lieu pendant la pré-campagne des présidentielles. Ce sera chaud.
  • Avril / Mai 2022: présidentielles.

Un épisode qui questionne à nouveau le rapport de confiance entre la classe politique et les Français

Fatalement, il en découle la question de la confiance en la classe politique, à tous les échelons :

  • Au niveau du Président, il subsiste des questions sur la raison qui aurait pu le pousser à conserver auprès de lui un collaborateur l’ayant exposé. Cette simple interrogation l’affaiblit, parce qu’elle donne le sentiment, supposé ou réel, d’une dissimulation
  • Au niveau de la majorité, parce qu’elle a clairement cherché à minimiser les répercutions de cet épisode -ce que l’on peut comprendre-, en usant de son pouvoir d’obstruction de la commission d’enquête au sein de l’Assemblée nationale.
  • Au niveau de l’opposition enfin, parce qu’elle est allée trop loin dans ses requêtes, est retombée dans le jeu politicien habituel et a donc manqué de hauteur.

Au vu de ce que l’on sait à ce stade, et étrange que cela puisse paraître aux néophytes, le #BenallaGate n’est pas un scandale d’Etat. Mais c’est assurément plus qu’une tempête dans un verre d’eau. Parce que cette affaire met en lumière plusieurs points saillants de la relation entre les hommes et femmes politiques et les Français. Et en particulier celle de la relation de l’homme au pouvoir. De tous temps, ce sujet a été au centre de la vie politique. Que se passe-t-il dans la tête de ceux qui détiennent un quelconque pouvoir sur autrui ? Comment s’en servent-ils ? A quel moment l’outrepassent-ils ?

Si le Président a pour le moment échoué dans sa promesse de rétablir la confiance entre les politiques et les Français, il faut également noter que les oppositions n’ont pas fait mieux. Or le dégagisme politique de 2017, qui a permis l’élection d’Emmanuel Macron, se basait bien sur un souhait réel des Français d’avoir à la tête de l’Etat un Président capable de mener les réformes, mais aussi de moderniser le monde politique.

Force est de constater que le nouveau monde n’est pas exempt des faiblesses de l’ancien. Or cette question de la confiance sera assurément, faute d’avoir été réglée et indépendamment des programmes de chaque parti, au cœur des prochains scrutins.  A suivre…

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