Des Hommes qui lisent

Il est des personnes fabuleuses qui traversent nos vies. Des rencontres étonnantes, parce qu’on sent quelque chose sans bien savoir quoi, et le temps les révèlent. Edouard Philippe est de ceux-là. Je l’ai connu bien avant qu’il ne soit Premier Ministre, en 2002, et ça n’est pas cette fonction qui m’intéresse, mais plutôt ce qu’il y a derrière ce grand type longiligne et débordant d’humour. Puis j’ai découvert le co-auteur de l’Heure de Vérité et de Dans l’Ombre, écrits avec Gilles Boyer.

Après avoir adoré ces polars et sachant qu’Edouard Philippe travaillait depuis plusieurs années à cet ouvrage Des Hommes qui lisent, j’étais perplexe : allais-je aimer cet opus dont je ne savais pas grand-chose, mais qui n’avait rien à voir avec les deux précédents qui étaient des romans ?

J’ai donc décidé d’oublier qui en était l’auteur et de me jeter à corps perdu dans la lecture. Une première fois, dès sa sortie. J’avais alors été incapable d’écrire dessus, trop émue par ce livre qui remuait en moi tant de souvenirs littéraires et me renvoyait sans cesse à mon propre rapport à la lecture. Je l’ai relu deux fois avant de parvenir à prendre la plume pour évoquer Des Hommes qui lisent.

Bon, oublier l’auteur était une gageure, vu que tout le livre le concerne. En effet, il évoque, dans cet essai, son rapport à la lecture à travers les livres qu’il a aimés et qui ont jalonné sa vie. Sa manière de raconter ses propres rencontres avec telle ou telle œuvre donne naturellement aux amoureux des livres l’envie de les découvrir. C’est là, aux confins de ce partage si personnel, si intime, que se trouve toute la beauté de cet ouvrage. En écho aux livres qu’il offre à ses amis, il donne aux lecteurs la même envie de découverte, à ceci près que le lecteur devra choisir au lieu de recevoir.

Et c’est ce qui rend aussi, systématiquement, la lecture ou relecture Des Hommes qui lisent un véritable péril sur le plan financier, au moins du point de vue de mon banquier. Et ce, même si c’est pour moi une véritable richesse que d’acheter des livres. J’aime cette sensation d’allonger ma pile de livres à lire -la fameuse PAL- et de piocher dedans au hasard de mes envies. J’aime retomber sur un ouvrage déjà lu et le relire, pour y trouver un peu plus que la fois précédente. J’aime me forger un avis, m’ouvrir l’esprit, découvrir d’autres mondes.

En d’autres termes, j’aime autant m’évader que me construire grâce aux auteurs. Et c’est pour tout ce qu’ils m’apportent que je les aime. Merci donc à Edouard Philippe pour avoir dépeint toutes ces sensations au sein de cet ouvrage et avoir rappelé quelques points essentiels : « Lire, c’est prendre de la distance, acquérir une vision, se constituer tout au long d’une vie » ou encore « la lecture est une respiration. Elle est tout à la fois une sortie du monde, et une façon d’y entrer encore plus fort. Elle est à la fois un ralentissement et une accumulation ».

Mais Edouard Philippe n’est pas qu’un auteur -hélas, sinon j’aurais peut-être fini par avoir mon Tome 3…- mais aussi un homme politique. Et il a eu l’intelligence, dans son action, de mettre en perspective sa passion, en créant une véritable politique publique de la lecture au Havre. Le Havre. Sa ville. Celle que j’ai toujours pensée moche et qui est pourtant si belle sous sa lumière si particulière…

Lire au Havre est une politique intéressante en ce sens qu’elle ne se veut pas donner la bonne parole. Elle cherche à amener le public au livre, sans le lui imposer. Et pour cela, toutes les formes sont envisagées. Si l’objet livre a toute sa place, les formes numériques ou les autres arts, ne sont pas délaissées. Parce qu’Edouard Philippe a su se souvenir que lui-même a découvert certaines œuvres autrement que par le livre, par exemple par leur adaptation cinématographique : il aime à citer Cyrano de Bergerac ou Les misérables.

C’est pourquoi Lire au Havre a placé au centre de son dispositif le Festival Le Goût des Autres. Cet événement inter-arts multiplie les spectacles autour de la littérature, mêlant les concerts aux rencontres avec des auteurs, amenant le jeune public à la lecture à travers des spectacles protéiformes, proposant aussi des projections cinématographiques se rapportant à la littérature ou au thème du festival. Autant de manières d’aborder la lecture par d’autres arts et d’autres genres.

Pour m’y être rendue et avoir constaté sur place la diversité de l’offre, je peux confirmer que c’est une manière originale d’aborder la littérature, que ce soit par des rencontres pointues avec des stars littéraires ou par des spectacles originaux, qui donnent immanquablement l’envie de se perdre dans la librairie du festival pour découvrir l’œuvre qu’ils évoquaient. J’ai assisté à des lectures d’auteurs dont je ne savais rien et entendre des extraits de leurs livres à voix haute m’a donné envie de les lire. Et pour l’un d’eux, Laurent Gaudé, c’est déjà fait : j’ai eu ma découverte en lisant d’une traite Sous le soleil des Scorta. Pour Kerouac, que j’avais lu il y a bientôt trois décennies, j’ai replongé dans l’atmosphère de Sur la route comme si je l’avais lu hier. Avec ce sentiment de découverte pour l’un et de redécouverte pour l’autre. Un bonheur indicible…

Pour parvenir à cette idée que l’accès à la lecture peut être protéiforme, Edouard Philippe s’est basé sur ses propres expériences et notamment la manière dont ses enfants ont abordé les nouvelles formes de lecture, notamment numériques. On imagine aisément la petite Sarah lire Cendrillon sur l’Iphone de son père, ou ses garçons découvrant une nouvelle œuvre par l’entremise de Guillaume Gallienne jusqu’à ce que l’un d’eux s’exclame : « Faust, c’est vachement bien ! ». Etonnant dans la bouche d’un enfant, mais amené par le truchement d’une lecture à voix haute par un comédien de talent.

« Lire, c’est sortir du monde pour y revenir ensuite », nous dit Edouard Philippe, ou encore et plus profondément : « Lire, c’est accéder à des expériences inconcevables -et souvent non souhaitables !- et éprouver des sentiments extrêmes mais qui font partie de l’expérience totale de l’humanité ». C’est exactement ce que la lectrice que je suis ressens. C’est pour cela que j’ai aimé ce livre : Des Hommes qui lisent est à la fois un hommage et une ode à la lecture. A ce besoin de découvrir d’autres horizons, d’apprendre, de se construire. A ce paradis que rejoint chaque lecteur lorsqu’il s’adonne à ce plaisir solitaire, et conserve au fond de lui le secret de ses découvertes, autant de mondes qui lui appartiennent désormais.

C’est donc un livre à lire, pour se rappeler pourquoi on aime lire et découvrir, au hasard des pages, d’autres livres à lire : une transmission. Alors, merci pour le partage, tant sur la réflexion que sur les ouvrages et pour toutes ces expériences qui s’offrent à nous, les lecteurs.

Chaos, histoires secrètes de la guerre des droites

J’aime les livres politiques. Je les dévore. Ils me permettent d’alimenter sans cesse ma réflexion sur notre vie politique et d’y confronter mes propres analyses. C’est toujours un moment douloureux pour moi que de choisir de lire l’un ou l’autre, faute d’avoir les moyens de tous les acheter et d’avoir une bibliothèque locale trop peu pourvue en la matière. Mais pour les raisons qui vont suivre, Chaos, histoires secrètes de la guerre des droites, de Frédéric Lefebvre, figurait en haut de ma liste.

Octobre 2005. Je suis licenciée de mon poste d’assistante de direction par mon employeur, l’UMP, au terme d’un long processus qui ne comptera pas moins de quatre entretiens -trois préalables et celui m’annonçant la décision- tous plus surréalistes les uns que les autres. Mon dernier interlocuteur, le moins gradé, m’informe que la décision finale a été prise par Frédéric Lefebvre, qui devient par là même mon coupeur de tête.

L’idée aurait été de sacrifier une petite employée travailleuse et tranquille afin de menacer les autres permanents. Autrement dit, faire régner la terreur sur le personnel de l’UMP afin que tout le monde marche au pas. Un licenciement préventif destiné non pas à me sanctionner de fautes que j’aurais commises -le dossier était d’ailleurs vide…- mais à servir d’avertissement à des permanents qui aiment s’appeler ainsi parce qu’eux le sont quand les politiques passent. D’autres sources me « confirmeront » que Frédéric Lefebvre est à l’origine de cette idée machiavélique pour mâter les troupes.  Minority report, en pire : la condamnation de quelqu’un qui n’a rien fait pour éviter que d’autres ne commettent des méfaits. Ubuesque.

Cette histoire personnelle, sur laquelle je ne souhaite pas m’étendre car personne ne peut réellement le comprendre si ce n’est ceux qui ont vécu le même genre de mésaventure, marque le point culminant de la violence que j’ai pu subir dans ce milieu. Il en restera une blessure profonde : celle d’avoir été catégorisée par des gens -anonymes, bien sûr- comme étant d’un camp, ce alors qu’ils ne me connaissaient même pas : j’étais une petite main, reconnue comme faisant bien mon travail -ce qui n’a pas toujours été le cas de tous les permanents de partis- et ne bougeant pas une oreille. Par quel truchement suis-je devenue un danger ? Par l’affrontement fratricide de deux camps. Par le jeu des circonstances. Parce que tout simplement, j’étais au mauvais endroit, au mauvais moment. Au mauvais poste, aussi. Celui de la mouche à merdes.

Malgré ses ailes coupées, la mouche a survécu. Merci à mes vétérinaires.

Il y a quelques années, j’ai redécouvert Frédéric Lefebvre, par le biais de Twitter. Sa nouvelle manière de faire de la politique, loin du rôle de porte-flingue de Nicolas Sarkozy, un rôle auquel on l’a trop souvent réduit. Moi la première, je lui en ai mis plein la gueule. Il est probable que ce blog compte quelques anciens articles en ce sens. Parce que je lui en ai voulu. Profondément. Sans haine. Mais dans une opposition à un camp qui m’avait tant fait souffrir.

J’étais alors encore dans l’incompréhension face à la violence inouïe et totalement démesurée qui s’est déchaînée sur la mouche que j’étais : assistante de direction au service des jeunes, je n’avais aucun pouvoir, j’étais au plus bas dans la hiérarchie des petites mains, autrement dit je ne menaçais personne. Et surtout pas l’accession inéluctable au pouvoir de Nicolas Sarkozy. Et c’est précisément pour cela que c’est tombé sur moi.

Pourtant, lorsque j’ai redécouvert Frédéric Lefebvre, j’ai eu envie de m’intéresser à sa manière d’envisager son rôle d’élu comme celui d’un politique libre. Comment cet homme pouvait avoir changé ? Qu’est ce qui expliquait ce virage dans sa pratique de l’exercice politique ? Cela m’intriguait, précisément parce qu’il avait par le passé suivi aveuglément Nicolas Sarkozy. J’avais envie de comprendre les ressorts de cette mutation.

Nous avons commencé à échanger. Oh, je ne me suis pas gênée pour lui rappeler qu’il m’avait virée. Il a été étonné, et m’a pudiquement dit ne pas se rappeler d’avoir commis cet acte alors qu’il gardait un bon souvenir de moi. Je l’ai senti sincère et j’en ai été la première surprise. Alors, j’ai poursuivi les échanges et je me suis intéressée à sa mue. En constatant la réalité de sa transformation, je l’ai pardonné, sans le lui dire.

Avril 2018. Alors que je suis environ à la moitié de Chaos, histoires secrètes de la guerre des droites, écrit par Frédéric Lefebvre, l’évidence me saute à la figure : ça ne peut pas être lui qui a pris la décision finale. C’est impossible pour des raisons techniques et humaines. Je lui envoie donc un message pour lui faire part de cette conviction. Et il me le confirme : il n’a pas été ce bras armé et encore moins l’inventeur de ce stratagème qui a fait une victime : la mouche, moi.

En plus d’être immonde, celui qui a pris cette décision n’a même pas eu le courage de l’assumer et a fait porter le chapeau à un autre. On n’est décidément jamais à court de mauvaises surprises, dans la guerre des droites. C’est bien la première fois que je pardonne quelqu’un d’un méfait qu’il n’a pas commis et c’est assez cocasse. Mais l’honnêteté intellectuelle m’oblige : après tout ce que je lui ai mis dans la tête durant ses années Sarkozy -du jour où la Sarkozie a décidé que j’étais contre eux, je le suis assez naturellement devenue…- il mérite que je le réhabilite par les mêmes moyens.

Ce long préambule explique pourquoi, a priori, je ne portais pas Frédéric Lefebvre dans mon cœur et comment, par son seul comportement politique, j’ai évolué très favorablement dans la perception que j’ai de lui.  C’était nécessaire. Et rien de tel que la lecture de Chaos, histoires secrètes de la guerre des droites pour vous en convaincre.

Ce témoignage d’un homme qui s’est engagé très tôt, est dense et passionnant. Et il mérite vraiment que l’on s’y arrête. A travers son histoire personnelle, évoque son parcours politique, de ses années Sarkozy (mais pas seulement) à son choix d’être un élu libre, guidé par ses seules convictions. Au-dessus des partis, dans le sens où le parti ne dirige pas ses votes et c’est heureux : le mandat de parlementaire n’est pas impératif, c’est l’article 27 de la Constitution qui le dit ! A l’heure où l’on nous parle du changement des usages et des pratiques dans la vie politique -avec notamment la loi Confiance, votée à coups de flonflons et trompettes après l’accession à la présidence de la République d’Emmanuel Macron, je vous engage à découvrir ce qu’est réellement la modernité de la pratique politique, en lisant un homme qui la pratique au quotidien.

Mais ce livre, c’est avant tout une histoire d’amour. Pour sa femme, d’abord, et pour ses enfants. Au fil des pages, on comprend à quel point leur indéfectible soutien est capital. Leur amour pour lui alors que la politique le leur vole. C’est touchant et profondément humain. Une histoire d’amour avec la politique, aussi. Son parcours, très détaillé, évoque son engagement et ce que lui ont apporté ceux qu’il a pu côtoyer depuis tant d’années. Mais aussi, les convictions qu’il s’est forgé et la manière dont il s’est employé à les servir, à travers tant d’actions concrètes qui mettent en lumière le travail des élus sur le terrain, hélas méconnus de nos concitoyens. Une histoire d’amour pour la France et le monde, et plus largement, pour l’humanité.

L’autre grand intérêt du livre, c’est l’analyse politique livrée sur les guerres intestines auxquelles se livrent la droite depuis des décennies, véritable antichambre de sa dissolution dans la ligne Buisson. Car aujourd’hui, la droite, qui a délaissé le débat d’idées, se résume à quelques formules marketing destinée à promouvoir une ligne brune inquiétante. Frédéric Lefebvre livre en plusieurs chapitres une enquête fournie et circonstanciée sur la stratégie de rapprochement avec l’extrême droite poursuivie par Laurent Wauquiez, destinée à la conquête du pouvoir. Une mise en œuvre relativement peu apparente aux yeux du grand public, mais bien réelle dans les tréfonds des réseaux. C’est incontestablement l’un des points forts de l’ouvrage que de le mettre en lumière, avec précision.

Au fil des pages, le lecteur ressentira enfin toute la douleur de Frédéric Lefebvre dans la fin de sa relation avec Nicolas Sarkozy, qui l’a particulièrement maltraité. Ces pages plus sombres sont aussi un témoignage de la violence qui peut s’exercer dans ce milieu, hélas trop souvent, quand les hommes perdent toute notion d’humanité par goût du pouvoir. Dont ils ne font pas toujours grand-chose… Et à quel prix : celui de sacrifier des gens, petites mains ou fidèles, vouées aux gémonies pour avoir commis l’outrage de penser parfois différemment et de voter selon ses convictions au lieu de suivre bêtement les consignes du parti.

Ces pages-là m’ont touchée. En raison de mon histoire, bien sûr. Lire ses souffrances m’a rappelé les miennes et il m’est pénible de constater l’existence d’autres victimes, même si j’ai bien conscience qu’il y en a un paquet d’autres. Cela me rapproche évidemment de l’homme : bien que nos situations soient très différentes, nous avons en commun d’avoir vécu des choses difficiles et de pouvoir nous comprendre.

Mais le plus important, c’est de transformer cette violence subie en quelque chose de positif. Frédéric Lefebvre est resté humaniste, malgré tout. Il n’a pas sombré dans la haine, il a su trouver la force de dépasser tout cela pour mettre ce qu’il était intrinsèquement au service de l’action publique. Fidèle à lui-même, loyal à ses valeurs. C’est en cela que ce livre a tant résonné en moi. Parce que cet ouvrage traduit un espoir : non, nous ne sommes pas condamnés à nous coucher devant un système dont tout le monde a conscience qu’il doit changer.

Au contraire, c’est parce que nous avons connu les pires travers des coulisses du pouvoir que nous devons rester en politique : pour être nous-mêmes les acteurs de ce changement et éradiquer ces pratiques. Pour lutter contre les haines fratricides qui se jouent dans la conquête du pouvoir et remettre de l’humanité en lieu et place de la politique politicienne. C’est exactement pour cela que malgré le dégoût que m’a inspiré cette violence, j’ai choisi de poursuivre mon engagement.

Vous me direz que je suis utopiste, et c’est en partie vraie. Mais l’exemple de résilience de Frédéric Lefebvre démontre que c’est possible, pour un peu qu’on le veuille. Agir, plutôt que réagir, tel est le maître mot.

Le Tsunami : retour sur une présidentielle hors-norme

Après UMP, un univers impitoyable et Bal tragique à l’UMP, Le tsunami, chronique secrète d’une année politique pas comme les autres (Plon) est la troisième collaboration entre Jean-Baptiste Marteau et Neila Latrous, tous deux journalistes politiques spécialistes des droites françaises.

Après avoir raconté les coulisses de l’UMP dans le premier puis la rocambolesque élection à la présidence de l’UMP en 2012 dans le deuxième, ils se sont cette fois attelés à suivre ensemble, chacun pour leur média respectif (France 2 et BFM TV) la campagne présidentielle de 2017.

L’intérêt de cet ouvrage réside dans ce choix : celui de suivre à deux, chacun pour son média, la même campagne présidentielle, auprès du même candidat. Journalistes embarqués en immersion dans celle de Marine Le Pen, Jean-Baptiste Marteau et Neila Latrous ont vécu de l’intérieur les multiples rebondissements de cette campagne. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ça a secoué !

Ce troisième opus m’a semblé plus abouti que les précédents. Peut-être parce qu’il a été envisagé comme un livre dès le départ de cette aventure présidentielle. Peut-être aussi parce que les auteurs ont gagné en maturité. Peut-être enfin parce que cette année présidentielle fut complètement dingue. Ou alors, pour toutes ces raisons.

Quoi qu’il arrive, je vous le conseille : ce livre vous séduira à la fois par le rappel des épisodes d’une année politique pas comme les autres, mais aussi par le recul qu’il prend sur ce qu’est une campagne et comment elle est menée, tant par les professionnels de la politique que par les journalistes chargés de la relater.

Ce qui leur permet d’obtenir des off intéressants et donc, un éclairage nouveau sur certaines personnalités, comme Nicolas Sarkozy. En off, le président se déclare favorable à la GPA, ce qui est tout de même l’inverse de ses positions de meeting. De telles informations apportent un éclairage capital sur la présidentielle de 2017 et sur les stratégies choisies. Nicolas Sarkozy a fait le pari d’une dérive à droite pour retenter le hold-up de 2007, alors que ses propres convictions sont bien plus progressistes.

Pas de chance pour lui, c’est un candidat progressiste qui sera élu. Soyons honnêtes : à droite, Juppé avait préempté la thématique du progressisme. Et je reste persuadée que si Juppé l’avait emporté à la primaire, Macron n’aurait pas gagné la présidentielle. Ça n’est en effet qu’après sa défaite qu’il a repris et incarné bon nombre de ses idées… jusqu’à nommer à Matignon un de ses proches ! Dans cet ouvrage, les auteurs démontrent que finalement, lors de la présidentielle 2017, Nicolas est resté prisonnier de Sarkozy.

Autre élément passionnant, la campagne de Marine Le Pen. Les deux journalistes ont délibérément demandé à la suivre et à les lire, ils ont eu raison. Parce que si le Front National occupe aujourd’hui une place de poids sur l’échiquier politique, il reste mal connu des Français. Pouvoir le décrypter restait donc un exercice intéressant. A force d’anecdotes que les lecteurs auront plaisir à découvrir, Neila Latrous et Jean-Baptiste Marteau dépeignent un parti resté amateur dans sa gestion et de fait, incapable de mener une campagne électorale.

Que ce soit par pure paranoïa ou par incompétence, le parti de Marine Le Pen ne sait pas organiser des événements -hormis peut être le happening chez les Good Year dans l’entre-deux tours- et encore moins communiquer autour de sa campagne. Cet amateurisme éclatera aux yeux de tous lors du débat de l’entre-deux tours, pour lequel la candidate du FN n’a pas su se préparer. Comment alors espérer l’emporter ? Les deux journalistes ont parfaitement su montrer, au fil des pages, que ces failles organisationnelles portaient en elles les germes de la défaite. Tant que le FN ne se professionnalisera pas, les portes du pouvoir lui resteront fermées.

Enfin, les deux auteurs ont su prendre de la distance sur ce qu’ils ont vu dans cette campagne, sur ce qu’on leur a dit, sur leurs conditions de travail, sur les contradictions des candidats, sur leurs relations avec les candidats. Au fil des pages, ils racontent ces coulisses avec beaucoup de distance et livrent une vision mature et sans fausse naïveté de leur métier.

Pour toutes ces raisons, Le tsunami, chronique secrète d’une année politique pas comme les autres m’a passionnée. Je ne peux que vous encourager à vous le procurer et le lire au plus vite !

Références : Le Tsunami, Chronique secrète d’une année politique pas comme les autres, Jean-Baptiste Marteau & Neila Latrous, Ed. Plon, 2018, 316 pages.

Plongée en Rase Campagne

9782709659598-001-xHasard ou coïncidence, c’est au moment où Alain Juppé prend la parole pour annoncer qu’il ne sera (toujours) pas candidat à cette présidentielle folle que j’écris ces lignes.

Toujours pas remise des 20 et 27 novembre 2016 et du #PenelopeGate. Deux jours après, aussi, une table ronde passionnante sur l’émotion et la décision en politique à laquelle participait justement Gilles Boyer.

Emotion qui me submerge à l’heure où le Patron renonce et où je ressens un double sentiment contradictoire : l’immense fierté de mes 15 ans de petit militantisme, faits de loyauté et de fidélité à Alain Juppé, mêlée à la tristesse de constater une fois de plus la hauteur de vue de cet homme d’Etat dont la France a besoin et dont la droite ne veut pas. Regrets éternels pour la France que de la savoir ainsi privée de son meilleur atout.

Emotion qui m’a submergée aussi à la lecture de Rase Campagne, de Gilles Boyer*, qui raconte les deux années durant lesquelles l’auteur a dirigé la campagne d’Alain Juppé pour la primaire de la droite. Primaire perdue, donc. Juppéiste Canal Historique (hystérique ?) tendance #SansJuppeOnEstAPoil, j’avais toutes les raisons de me jeter sur Rase Campagne. Parce que j’ai participé à cette campagne de l’intérieur et de l’extérieur mais surtout, parce que j’aime profondément Gilles Boyer. Etrange sensation de découvrir qu’en fait, c’est son propre livre qui explique le mieux pourquoi.

20 août 2014. Alain Juppé se déclare candidat à la primaire. 27 mois plus tard, il la perd. Entre les deux, Gilles Boyer dirige la campagne. En temps que collaborateur « le moins éloigné » du Patron, il a la charge de le faire gagner. Mais il perdra. Comment ? Pourquoi ? Autant de questions que se posent l’auteur dans ce livre.

L’intérêt de l’ouvrage réside en trois points. D’abord, c’est un retour de l’intérieur sur une aventure hors norme. Qu’un directeur de campagne perdant se livre à une autopsie chirurgicale d’une défaite politique quelques jours à peine après le résultat mérite que l’on s’y attarde tant c’est exceptionnel. Réaliser cette analyse à froid alors que le résultat est encore chaud témoigne en outre de l’exceptionnel capacité de Gilles Boyer à prendre de la distance par rapport aux événements. Une qualité essentielle dans son métier de conseiller. Inconsciemment, il démontre qu’il était l’homme de la situation.

Comment peut-il alors croire une seconde être responsable de la défaite ? L’homme est humble et sait prendre sa part de responsabilité. Ne cherchons pas là d’explications psychanalytiques de comptoir : c’est dans l’ADN juppéiste que d’adopter de tels comportements. Chez les vrais, il s’entend. Pour autant, est-il coupable ? Bien sûr que non. Et bien qu’il prenne dans Rase Campagne sa part de responsabilité, il y a bien trop de paramètres sur lesquels il n’avait aucune prise pour porter cet échec et accessoirement, il n’était pas non plus tout seul dans le bateau. D’où la question qui le taraude : au fond, son métier est-il encore utile ? Bien sûr qu’il l’est.

Ensuite, quiconque s’intéresse à la politique aura pu remarquer que 2017 est une année électoralement folle. Plus rien n’est certain. Les techniques de gestion de campagne sont en train de changer. Gilles Boyer explique précisément que tout ce qu’il sait de son métier est désormais dépassé, que le logiciel a changé. Que tous ses repères ont disparu et qu’il va falloir en trouver de nouveaux pour répondre à l’attente des Français, qui a évolué. Il se sert de cet argument pour se mettre hors-jeu mais c’est bien sûr un artifice que ne renierait pas un renard des surfaces.

Parce que l’homme vit, boit, mange, respire et dort (parfois) politique. C’est son monde. A la fois sa respiration et l’amour de sa vie. Celui vers lequel, en dépit de quelques infidélités, il reviendra toujours. Une drogue dure dont on croit pouvoir se passer pour toujours y replonger. Aussi, si Gilles Boyer quitte le monde des apparatchiks, il reste bel et bien en politique et tentera d’être transféré au FC Députés dès le prochain mercato, puisqu’il sera candidat aux législatives dans la 8ème circonscription des Hauts-de-Seine. M’est avis qu’il ne restera pas sur le banc de touche…

Enfin, c’est un livre profondément humain. L’auteur se raconte et raconte son métier avec une pudeur, une affection et une justesse qui ne peut que toucher. L’homme est pétri de principes aussi l’ouvrage est toujours correct : il ne balance pas, il raconte. Ses propres turpitudes. Ses propres tourments. Dans Rase Campagne, Gilles Boyer parvient à trouver le ton juste, à bonne distance, pour raconter sa campagne tellement mieux que ceux qui ont parfois tenté de le décoder, sans jamais y arriver.

L’homme est aussi à mourir de rire : de ce côté là, Rase Campagne n’est pas en reste et fait le plein d’autodérision et de drôlerie, notamment avec ses hilarantes notes de bas de page. Il sait aussi décocher quelques flèches, très subtilement, sans jamais oublier de s’en tirer quelques-unes.

Pour toutes ces raisons, Rase Campagne est un must-read pour tous les passionnés de politique mais aussi pour ceux qui n’y connaissent rien et qui découvriront ce monde décrit avec une profonde affection par son meilleur amant. Au final, ce livre est à l’image de Gilles Boyer : très bien écrit, distancié, honnête, pudique, attachant. A ne manquer sous aucun prétexte.

*Gilles Boyer est également auteur de Un Monde pour Stella (2015), un roman passionnant sur l’avenir de notre planète, et coauteur avec Edouard Philippe de deux polars géniaux se déroulant dans l’univers politique, Dans l’Ombre (2011) et L’Heure de Vérité (2007) et auquel devrait succéder un tome 3 à une date de plus en plus hypothétique, en dépit de mes pressions répétées, ce qui démontre mon haut degré d’influence sur les auteurs.

Un monde pour Stella : et l’Homme dans tout ça ?

UnMondePourStellaMa première rencontre avec Un monde pour Stella remonte à 2012. Je rencontre pour la première fois Gilles Boyer, dont j’ai adoré les deux premiers romans écrits en duo avec Edouard Philippe : l’Heure de Vérité (2007) et Dans l’Ombre (2011).

Assis à une table de ce café parisien, il tapote sur son Mac. Il travaille à ce nouvel ouvrage, seul cette fois. D’emblée, il m’annonce que ce sera très différent. Ce roman, c’est Un monde pour Stella.

2014. Gilles Boyer m’a promis qu’après les municipales, lui et Edouard Philippe se remettront à écrire la suite des aventures de Winston qu’il avoue constituer une trilogie. Mais le 20 août, je comprends qu’il n’en sera rien à l’instant même où Alain Juppé déclare sa candidature à la primaire de la droite et du centre. Eh merde, Winston prend 7 ans en pleine face. Et pourtant dès le déjeuner, je fais comme tous les juppéistes un peu éclairés : je participe aux Auditeurs ont la parole, sur RTL, pour dire tout le bien que je pense de la décision de Juppé. Je parle encore un peu à Gilles ou Edouard de Winston mais pour rire : en réalité, on est déjà tous au travail pour la campagne.

2015. A la fin de l’été, les infos se font plus précises sur la sortie d’Un monde pour Stella. Ce sera le 7 octobre. La veille, tout ce que Gilles compte d’amis et de juppéistes plus ou moins sincères se presse dans la librairie Gallimard pour booster les ventes, lécher le cul du directeur de campagne du peut-être futur président, le soutenir et le féliciter. J’en suis mais je ne m’éternise pas : un parasite me fait fuir et puis je n’ai pas encore lu l’ouvrage.

A ce stade, je ne peux pas décemment lui dire quoi que ce soit, donc autant me taire. J’ai besoin de le lire pour savoir si je vais aimer. Et ça n’est pas gagné : je ne connais rien à l’environnement, qui se résume pour moi à trier péniblement mes déchets que d’autres jetteront au milieu de l’océan pour former un continent de plastique. Je ne m’en fiche pas, mais je me sens impuissante, ce qui m’éloigne de ce sujet.

8 octobre 2015, 12h. Installée dans la salle d’attente du médecin, j’attends mon tour. Il y a quelques minutes, en ouvrant la boîte aux lettres, j’y ai trouvé Un monde pour Stella. Je l’ai serré bien fort, sachant que j’allais entamer la lecture dès les instants suivants. Il est temps.

Qu’est ce qui pourrait sauver la Terre ? Voilà une question que l’Homme prétend se poser depuis un paquet d’années sans pour autant concrétiser les idées qui ont pu émerger. Cette fois, les politiques ont décidé d’unir leurs efforts pour changer le monde et c’est Esther qu’ils ont mandatée pour définir les actions à mener.

11 octobre 2015, 19h. Je viens de terminer Un monde pour Stella. D’abord circonspecte, j’ai dévoré ce bouquin. Chaque chapitre, chaque ligne, chaque pensée : telle une éponge, je m’en suis imprégnée. J’ai un temps pensé à lancer un mouvement apolitique visant à faire élire Gilles Boyer président du monde, puis j’ai ri : Un monde pour Stella n’est pas un livre-programme de prescriptions pour guérir la planète. C’est bien plus profond que cela.

Un monde pour Stella est une réflexion sur l’Homme et son environnement. Parasite pour la Terre qui l’a fait naître, l’Homme est au centre de toutes les questions environnementales. Il dispose de toutes les solutions écologiques, économiques et sociales, mais est-il capable de les mettre en œuvre ? A en payer le prix ? Et quel prix ? Le prix nécessaire ou le plus brutal ?

Cet ouvrage passionnant aborde toutes ces questions. Certains trouveront peut-être certaines explications scientifiques trop longues. Pas moi : étant véritablement documentées, elles ont permis à l’absolue néophyte que je suis de comprendre les enjeux pour mieux réfléchir à la vraie question centrale du livre : l’Homme, mis à nu, dans toute sa complexité mais aussi dans ce qu’il a de plus animal.

Un monde pour Stella : un livre à lire d’urgence et à réfléchir en même temps, histoire d’apprécier au mieux -ou pas- la Cop 21, qui se tiendra à Paris dans quelques semaines. Avec une idée en tête : si l’on n’y prenait garde, cette histoire pourrait être la nôtre.