Des Hommes qui lisent

Il est des personnes fabuleuses qui traversent nos vies. Des rencontres étonnantes, parce qu’on sent quelque chose sans bien savoir quoi, et le temps les révèlent. Edouard Philippe est de ceux-là. Je l’ai connu bien avant qu’il ne soit Premier Ministre, en 2002, et ça n’est pas cette fonction qui m’intéresse, mais plutôt ce qu’il y a derrière ce grand type longiligne et débordant d’humour. Puis j’ai découvert le co-auteur de l’Heure de Vérité et de Dans l’Ombre, écrits avec Gilles Boyer.

Après avoir adoré ces polars et sachant qu’Edouard Philippe travaillait depuis plusieurs années à cet ouvrage Des Hommes qui lisent, j’étais perplexe : allais-je aimer cet opus dont je ne savais pas grand-chose, mais qui n’avait rien à voir avec les deux précédents qui étaient des romans ?

J’ai donc décidé d’oublier qui en était l’auteur et de me jeter à corps perdu dans la lecture. Une première fois, dès sa sortie. J’avais alors été incapable d’écrire dessus, trop émue par ce livre qui remuait en moi tant de souvenirs littéraires et me renvoyait sans cesse à mon propre rapport à la lecture. Je l’ai relu deux fois avant de parvenir à prendre la plume pour évoquer Des Hommes qui lisent.

Bon, oublier l’auteur était une gageure, vu que tout le livre le concerne. En effet, il évoque, dans cet essai, son rapport à la lecture à travers les livres qu’il a aimés et qui ont jalonné sa vie. Sa manière de raconter ses propres rencontres avec telle ou telle œuvre donne naturellement aux amoureux des livres l’envie de les découvrir. C’est là, aux confins de ce partage si personnel, si intime, que se trouve toute la beauté de cet ouvrage. En écho aux livres qu’il offre à ses amis, il donne aux lecteurs la même envie de découverte, à ceci près que le lecteur devra choisir au lieu de recevoir.

Et c’est ce qui rend aussi, systématiquement, la lecture ou relecture Des Hommes qui lisent un véritable péril sur le plan financier, au moins du point de vue de mon banquier. Et ce, même si c’est pour moi une véritable richesse que d’acheter des livres. J’aime cette sensation d’allonger ma pile de livres à lire -la fameuse PAL- et de piocher dedans au hasard de mes envies. J’aime retomber sur un ouvrage déjà lu et le relire, pour y trouver un peu plus que la fois précédente. J’aime me forger un avis, m’ouvrir l’esprit, découvrir d’autres mondes.

En d’autres termes, j’aime autant m’évader que me construire grâce aux auteurs. Et c’est pour tout ce qu’ils m’apportent que je les aime. Merci donc à Edouard Philippe pour avoir dépeint toutes ces sensations au sein de cet ouvrage et avoir rappelé quelques points essentiels : « Lire, c’est prendre de la distance, acquérir une vision, se constituer tout au long d’une vie » ou encore « la lecture est une respiration. Elle est tout à la fois une sortie du monde, et une façon d’y entrer encore plus fort. Elle est à la fois un ralentissement et une accumulation ».

Mais Edouard Philippe n’est pas qu’un auteur -hélas, sinon j’aurais peut-être fini par avoir mon Tome 3…- mais aussi un homme politique. Et il a eu l’intelligence, dans son action, de mettre en perspective sa passion, en créant une véritable politique publique de la lecture au Havre. Le Havre. Sa ville. Celle que j’ai toujours pensée moche et qui est pourtant si belle sous sa lumière si particulière…

Lire au Havre est une politique intéressante en ce sens qu’elle ne se veut pas donner la bonne parole. Elle cherche à amener le public au livre, sans le lui imposer. Et pour cela, toutes les formes sont envisagées. Si l’objet livre a toute sa place, les formes numériques ou les autres arts, ne sont pas délaissées. Parce qu’Edouard Philippe a su se souvenir que lui-même a découvert certaines œuvres autrement que par le livre, par exemple par leur adaptation cinématographique : il aime à citer Cyrano de Bergerac ou Les misérables.

C’est pourquoi Lire au Havre a placé au centre de son dispositif le Festival Le Goût des Autres. Cet événement inter-arts multiplie les spectacles autour de la littérature, mêlant les concerts aux rencontres avec des auteurs, amenant le jeune public à la lecture à travers des spectacles protéiformes, proposant aussi des projections cinématographiques se rapportant à la littérature ou au thème du festival. Autant de manières d’aborder la lecture par d’autres arts et d’autres genres.

Pour m’y être rendue et avoir constaté sur place la diversité de l’offre, je peux confirmer que c’est une manière originale d’aborder la littérature, que ce soit par des rencontres pointues avec des stars littéraires ou par des spectacles originaux, qui donnent immanquablement l’envie de se perdre dans la librairie du festival pour découvrir l’œuvre qu’ils évoquaient. J’ai assisté à des lectures d’auteurs dont je ne savais rien et entendre des extraits de leurs livres à voix haute m’a donné envie de les lire. Et pour l’un d’eux, Laurent Gaudé, c’est déjà fait : j’ai eu ma découverte en lisant d’une traite Sous le soleil des Scorta. Pour Kerouac, que j’avais lu il y a bientôt trois décennies, j’ai replongé dans l’atmosphère de Sur la route comme si je l’avais lu hier. Avec ce sentiment de découverte pour l’un et de redécouverte pour l’autre. Un bonheur indicible…

Pour parvenir à cette idée que l’accès à la lecture peut être protéiforme, Edouard Philippe s’est basé sur ses propres expériences et notamment la manière dont ses enfants ont abordé les nouvelles formes de lecture, notamment numériques. On imagine aisément la petite Sarah lire Cendrillon sur l’Iphone de son père, ou ses garçons découvrant une nouvelle œuvre par l’entremise de Guillaume Gallienne jusqu’à ce que l’un d’eux s’exclame : « Faust, c’est vachement bien ! ». Etonnant dans la bouche d’un enfant, mais amené par le truchement d’une lecture à voix haute par un comédien de talent.

« Lire, c’est sortir du monde pour y revenir ensuite », nous dit Edouard Philippe, ou encore et plus profondément : « Lire, c’est accéder à des expériences inconcevables -et souvent non souhaitables !- et éprouver des sentiments extrêmes mais qui font partie de l’expérience totale de l’humanité ». C’est exactement ce que la lectrice que je suis ressens. C’est pour cela que j’ai aimé ce livre : Des Hommes qui lisent est à la fois un hommage et une ode à la lecture. A ce besoin de découvrir d’autres horizons, d’apprendre, de se construire. A ce paradis que rejoint chaque lecteur lorsqu’il s’adonne à ce plaisir solitaire, et conserve au fond de lui le secret de ses découvertes, autant de mondes qui lui appartiennent désormais.

C’est donc un livre à lire, pour se rappeler pourquoi on aime lire et découvrir, au hasard des pages, d’autres livres à lire : une transmission. Alors, merci pour le partage, tant sur la réflexion que sur les ouvrages et pour toutes ces expériences qui s’offrent à nous, les lecteurs.

Nos chemins sont semés de rencontres

IMG_3768Tel est le titre de l’ouvrage d’Olivier Delacroix. Cherchez bien, vous le connaissez. Des dreads blondes, des yeux d’un bleu profond.

Il anime Dans les Yeux d’Olivier, une série de reportages où il va à la rencontre de gens ayant vécu un élément particulièrement fort. Ses rencontres. Dont il a fait un livre, sorti le 28 mai dernier.

Nos chemins sont semés de rencontres. Du Monastère Notre Dame du Pesquié aux témoins qui ont bien voulu se confier à lui, Olivier se raconte. La naissance de l’émission, son état d’esprit, ce qu’il y a apporté, ce qu’elle lui a donné. Ce que tous ses témoins lui ont donné. Cette richesse humaine qui l’a amené à évoluer. Un livre poignant, dont je vais essayer de vous parler.

Essayer uniquement, parce que c’est difficile pour moi : je connais Olivier. Dans une autre vie, nous nous fréquentions à Evreux. J’allais très souvent –et plus que de raison- voir son groupe sur scène, Black Maria, et je fréquentais la même bande de potes, dont j’étais un peu le bébé. Une époque bénie et insouciante, faite de rires et de rock. Sous les yeux d’Olivier.

Parce qu’aussi loin que je me souvienne, il a toujours été là pour me protéger de tous les dangers qui peuvent se présenter aux jeunes adultes. Je le vois encore m’attraper par le col pour me faire monter sur scène parce que derrière moi un mec allait me faire du mal ou menacer d’arrêter le concert parce que les mecs pogotaient un peu trop fort. Il a empêché d’autres choses, aussi. Il a même su me consoler dans une situation qui lui était pourtant difficile. Olivier a toujours été là pour moi. Je l’ai profondément aimé, comme un frère.

J’ai toujours connu quelqu’un de profondément bienveillant et à l’écoute des autres. Pour un peu que l’on gratte au-delà de l’image de star locale. J’avais ce sentiment incroyable que rien ne pouvait m’arriver. Que je pouvais grandir tranquillement, à l’ombre d’Olivier. Hélas, un drame est arrivé. La vie s’est terriblement compliquée. Mais j’ai toujours pu compter sur Olivier. Jusqu’à ce que la géographie nous sépare et que nos vies s’éloignent. Je ne l’ai jamais oublié. Je l’aime toujours autant, mon Olivier. [Et mon Corto, by the way…]

Il a ressurgi dans le petit écran. Des reportages particuliers, d’abord. Les supermarchés de la drogue, puis la série sur France 4. Olivier ne m’a pas étonnée. Une telle âme ne pouvait que produire un programme de qualité. J’ai été frappée de constater à quel point cela lui ressemblait. Dans chaque émission, je voyais celui que j’avais connu. Comme si nous discutions à la table du Café des Arts, de la Biche, du  Beffroi…

Puis il y a eu France 2 et la notoriété. Tout à coup, tout le monde a connu mon Olivier. Qui ne m’appartient pas, évidemment. Ça fait bizarre d’entendre parler d’un pote à la machine à café. Sentiment étrange de fierté et d’envie de le garder pour soi. Autour de moi, les gens me conseillaient de regarder cette formidable émission. Même ma mère. Sa tête quand je lui ai dit que cet Olivier était le chanteur de Black Maria dont elle avait tant craint qu’il soit un loubard d’une influence dangereuse pour sa fille quelques années auparavant. Ce que j’ai ri.

Enfin, il y a eu ce livre. J’avais su par ouïe dire qu’Olivier avait connu des drames personnels. J’aurais voulu ne jamais les lire. Ça m’a déchiré le cœur parce que jamais personne ne devrait vivre cela. Mais j’ai aimé lire son livre. J’ai profondément apprécié cette introspection, ce questionnement sur lui-même autour des rencontres qu’il a faites grâce à l’émission. Il évoque énormément les histoires souvent difficiles de ces gens simples, comme vous et moi, que la vie a placé un jour devant des épreuves.

On ne reste pas indifférent aux progrès de l’autiste Luigi, sur les agressions vécues par Jessica et Charlotte parce qu’elles sont lesbiennes, face à la manière dont David affronte sa schizophrénie… Toutes ces histoires méritaient d’être racontées. Toutes ces histoires nous touchent et modifient notre perception de la société. Fatalement, l’impact ne peut être qu’encore plus important sur celui qui discute avec ces témoins, face à la caméra. Par le lien qu’il crée.

Tous nos chemins sont semés de rencontres est un magnifique hommage à ces personnes extraordinaires, parce qu’elles ont su affronter leur réalité, se surpasser, surmonter des drames, se battre, pour vivre et retrouver la sérénité. C’est aussi le regard d’un homme sur ce qu’il était avant cette émission et est devenu au contact de ces gens. Un ouvrage que je ne peux que vous recommander : il est toujours bon de prendre une bonne dose d’humanité.