Des Hommes qui lisent

Il est des personnes fabuleuses qui traversent nos vies. Des rencontres étonnantes, parce qu’on sent quelque chose sans bien savoir quoi, et le temps les révèlent. Edouard Philippe est de ceux-là. Je l’ai connu bien avant qu’il ne soit Premier Ministre, en 2002, et ça n’est pas cette fonction qui m’intéresse, mais plutôt ce qu’il y a derrière ce grand type longiligne et débordant d’humour. Puis j’ai découvert le co-auteur de l’Heure de Vérité et de Dans l’Ombre, écrits avec Gilles Boyer.

Après avoir adoré ces polars et sachant qu’Edouard Philippe travaillait depuis plusieurs années à cet ouvrage Des Hommes qui lisent, j’étais perplexe : allais-je aimer cet opus dont je ne savais pas grand-chose, mais qui n’avait rien à voir avec les deux précédents qui étaient des romans ?

J’ai donc décidé d’oublier qui en était l’auteur et de me jeter à corps perdu dans la lecture. Une première fois, dès sa sortie. J’avais alors été incapable d’écrire dessus, trop émue par ce livre qui remuait en moi tant de souvenirs littéraires et me renvoyait sans cesse à mon propre rapport à la lecture. Je l’ai relu deux fois avant de parvenir à prendre la plume pour évoquer Des Hommes qui lisent.

Bon, oublier l’auteur était une gageure, vu que tout le livre le concerne. En effet, il évoque, dans cet essai, son rapport à la lecture à travers les livres qu’il a aimés et qui ont jalonné sa vie. Sa manière de raconter ses propres rencontres avec telle ou telle œuvre donne naturellement aux amoureux des livres l’envie de les découvrir. C’est là, aux confins de ce partage si personnel, si intime, que se trouve toute la beauté de cet ouvrage. En écho aux livres qu’il offre à ses amis, il donne aux lecteurs la même envie de découverte, à ceci près que le lecteur devra choisir au lieu de recevoir.

Et c’est ce qui rend aussi, systématiquement, la lecture ou relecture Des Hommes qui lisent un véritable péril sur le plan financier, au moins du point de vue de mon banquier. Et ce, même si c’est pour moi une véritable richesse que d’acheter des livres. J’aime cette sensation d’allonger ma pile de livres à lire -la fameuse PAL- et de piocher dedans au hasard de mes envies. J’aime retomber sur un ouvrage déjà lu et le relire, pour y trouver un peu plus que la fois précédente. J’aime me forger un avis, m’ouvrir l’esprit, découvrir d’autres mondes.

En d’autres termes, j’aime autant m’évader que me construire grâce aux auteurs. Et c’est pour tout ce qu’ils m’apportent que je les aime. Merci donc à Edouard Philippe pour avoir dépeint toutes ces sensations au sein de cet ouvrage et avoir rappelé quelques points essentiels : « Lire, c’est prendre de la distance, acquérir une vision, se constituer tout au long d’une vie » ou encore « la lecture est une respiration. Elle est tout à la fois une sortie du monde, et une façon d’y entrer encore plus fort. Elle est à la fois un ralentissement et une accumulation ».

Mais Edouard Philippe n’est pas qu’un auteur -hélas, sinon j’aurais peut-être fini par avoir mon Tome 3…- mais aussi un homme politique. Et il a eu l’intelligence, dans son action, de mettre en perspective sa passion, en créant une véritable politique publique de la lecture au Havre. Le Havre. Sa ville. Celle que j’ai toujours pensée moche et qui est pourtant si belle sous sa lumière si particulière…

Lire au Havre est une politique intéressante en ce sens qu’elle ne se veut pas donner la bonne parole. Elle cherche à amener le public au livre, sans le lui imposer. Et pour cela, toutes les formes sont envisagées. Si l’objet livre a toute sa place, les formes numériques ou les autres arts, ne sont pas délaissées. Parce qu’Edouard Philippe a su se souvenir que lui-même a découvert certaines œuvres autrement que par le livre, par exemple par leur adaptation cinématographique : il aime à citer Cyrano de Bergerac ou Les misérables.

C’est pourquoi Lire au Havre a placé au centre de son dispositif le Festival Le Goût des Autres. Cet événement inter-arts multiplie les spectacles autour de la littérature, mêlant les concerts aux rencontres avec des auteurs, amenant le jeune public à la lecture à travers des spectacles protéiformes, proposant aussi des projections cinématographiques se rapportant à la littérature ou au thème du festival. Autant de manières d’aborder la lecture par d’autres arts et d’autres genres.

Pour m’y être rendue et avoir constaté sur place la diversité de l’offre, je peux confirmer que c’est une manière originale d’aborder la littérature, que ce soit par des rencontres pointues avec des stars littéraires ou par des spectacles originaux, qui donnent immanquablement l’envie de se perdre dans la librairie du festival pour découvrir l’œuvre qu’ils évoquaient. J’ai assisté à des lectures d’auteurs dont je ne savais rien et entendre des extraits de leurs livres à voix haute m’a donné envie de les lire. Et pour l’un d’eux, Laurent Gaudé, c’est déjà fait : j’ai eu ma découverte en lisant d’une traite Sous le soleil des Scorta. Pour Kerouac, que j’avais lu il y a bientôt trois décennies, j’ai replongé dans l’atmosphère de Sur la route comme si je l’avais lu hier. Avec ce sentiment de découverte pour l’un et de redécouverte pour l’autre. Un bonheur indicible…

Pour parvenir à cette idée que l’accès à la lecture peut être protéiforme, Edouard Philippe s’est basé sur ses propres expériences et notamment la manière dont ses enfants ont abordé les nouvelles formes de lecture, notamment numériques. On imagine aisément la petite Sarah lire Cendrillon sur l’Iphone de son père, ou ses garçons découvrant une nouvelle œuvre par l’entremise de Guillaume Gallienne jusqu’à ce que l’un d’eux s’exclame : « Faust, c’est vachement bien ! ». Etonnant dans la bouche d’un enfant, mais amené par le truchement d’une lecture à voix haute par un comédien de talent.

« Lire, c’est sortir du monde pour y revenir ensuite », nous dit Edouard Philippe, ou encore et plus profondément : « Lire, c’est accéder à des expériences inconcevables -et souvent non souhaitables !- et éprouver des sentiments extrêmes mais qui font partie de l’expérience totale de l’humanité ». C’est exactement ce que la lectrice que je suis ressens. C’est pour cela que j’ai aimé ce livre : Des Hommes qui lisent est à la fois un hommage et une ode à la lecture. A ce besoin de découvrir d’autres horizons, d’apprendre, de se construire. A ce paradis que rejoint chaque lecteur lorsqu’il s’adonne à ce plaisir solitaire, et conserve au fond de lui le secret de ses découvertes, autant de mondes qui lui appartiennent désormais.

C’est donc un livre à lire, pour se rappeler pourquoi on aime lire et découvrir, au hasard des pages, d’autres livres à lire : une transmission. Alors, merci pour le partage, tant sur la réflexion que sur les ouvrages et pour toutes ces expériences qui s’offrent à nous, les lecteurs.

LGDA, le dessert

Après une journée de relâche ce samedi, consacrée à la visite de la bibliothèque Oscar Niemeyer, du port du Havre et à un dîner à la résidence A-Docks chez mon amie Une Vie Des Livres, est arrivée ce dimanche 20 janvier la dernière journée du Festival Le Goût des Autres. Déjà… J’ai donc consacré ces dernières heures à enchaîner les événements, pour essayer d’en profiter un maximum.

En fin de matinée, j’ai assisté à la rencontre Géographie Politique, en présence d’Olivier Poivre d’Arvor, Ambassadeur de France à Tunis et écrivain, et Danièle Sallenave, de l’Académie française.

Ils ont livré leurs regards croisés sur l’importance de la lecture dans leur vie et dans celle des lecteurs à qui elle offre à la fois une échappatoire, le voyage et la liberté, l’incursion du politique dans la littérature et l’accès à la lecture -en évoquant notamment le livre Des Hommes qui lisent d’Edouard Philippe, actuel Premier Ministre- ou encore la place du voyage dans la littérature et l’ouverture qu’elle peut apporter sur les cultures du monde. Cet échange, de haute facture, était absolument passionnant et je regrette de ne pas pouvoir vous le détailler dans sa globalité.

Après un passage au Docks pour un déjeuner et quelques courses -des livres, évidemment- j’ai poursuivi la journée avec le spectacle Tour du Monde, de la compagnie Sac de Nœuds. C’était magique.

Une conteuse racontait l’histoire du Tour du Monde en 80 jours, de Jules Verne, accompagnée de l’illustrateur Tom Haugomat. Et à chaque étape de Phileas Fogg, l’histoire s’arrêtait pour laisser place à un temps de danse, deux danseuses faisant ainsi participer les enfants… et les parents ! C’était absolument charmant.

Est arrivée l’heure de la clôture. Un moment toujours difficile. Luc Lemonnier, maire du Havre, a dressé le bilan de cette édition 2019, très riche, très diverse, très Le Goût des Autres au final.

Avant de laisser place à la création Sur La route, inspirée du roman culte de Jack Kerouac. Sur une lecture de Nicolas Martel, accompagné de Raphaëlle Lannadère et d’Antoine Montgaudon à la guitare, nous avons plongé dans ce roman phare de la Beat Generation.

Jack voguait vers l’ouest, en musique, et nous l’avons accompagné dans ce voyage mythique, en musique, nous laissant porter par la poésie de l’instant.

C’est ainsi que s’est achevé cette neuvième édition du Festival, nous livrant un dernier voyage, sur la route qui nous mènera sans nul doute vers l’édition 2020 du Goût des Autres.

 

Les élections municipales : une course de fond

Quand on s’engage en politique, on a tous des idéaux. Au moins sur la forme -la fameuse pratique de la politique-, parfois mais hélas pas assez souvent, sur le fond.  Mais très vite, on plonge dans la vie trépidante du microcosme, qui fait parfois oublier l’essentiel. Et pourtant, la ligne de mire doit toujours rester la même : on doit garder présent à l’esprit le calendrier électoral.

Hélas, certains tendent à oublier cette donnée vitale. Ainsi, depuis quelques temps, on voit fleurir les articles de presse sur la thématique des municipales. Qui auront lieu… en mars 2020. S’il est assez logique que les prétendants au mandat de maire commencent à s’interroger sur leur stratégie et à travailler sur le projet qu’ils pourront proposer à leurs concitoyens, il reste tout à fait hors de propos d’alimenter la presse sur ce sujet.

Parce qu’avant mars 2020, il y a juin 2019. Et que se passera-t-il à cette date ? Rien de moins que les élections européennes. Un scrutin national. Une paille.

Et pourtant. En 2017, les Français ont fait preuve d’un dégagisme qui a marqué la classe politique, et choisi de faire confiance à Emmanuel Macron, lui donnant dans la foulée une majorité lui permettant de gouverner confortablement. En choisissant un parti complètement neuf, ils ont bouleversé les équilibres préexistants sur l’échiquier politique, rejetant la traditionnelle alternance droite/gauche.

Ce mouvement sera-t-il durable ? Il est trop tôt pour le dire. Mais ce qui est certain, c’est que l’élection européenne est un jalon essentiel dans la redéfinition des forces politiques en France. A gauche comme à droite, la question n’est plus vraiment celle des clivages traditionnels, mais plutôt celle des différences criantes entre pro et anti-européens. Que ce soit au sein du PS, où l’on voit mal comment la ligne Hamon et la ligne Faure peuvent se réunir sur l’Europe, ou chez Les Républicains où l’on imagine bien mal également comment la ligne Wauquiez pourrait s’accorder avec la ligne Juppé/Raffarin sur l’Europe. De fait, les anciennes familles politiques vont devoir se réinventer devant ce mur que constitue l’élection européenne.

Or cette élection est la pire pour le pouvoir en place. D’abord, c’est une élection intermédiaire. Mais surtout, elle concerne cette Europe si lointaine pour tant de Français, qui ont du mal à percevoir son rôle et surtout ses atouts pour notre pays. Dès lors, elle rassemble tous les facteurs menant au risque de vote protestataire. Pire : c’est l’élection qui rassemble la plus forte abstention. De fait, ses résultats subissent l’effet d’une loupe grossissante. C’est donc l’élection de tous les dangers.

Son résultat aura naturellement un impact sur les municipales. Certes, elles sont l’antithèse des municipales, dans le sens où la participation est faible et le sentiment d’éloignement des électeurs très élevé. Cependant, c’est un scrutin intermédiaire dont les résultats seront observés et commentés, dans un contexte européen mouvant (résurgence des populismes, échec de la construction européenne). Mais attention. Les européennes elles-mêmes dépendront du contexte national, dans cette élection où une faible part de la population vote uniquement en fonction des enjeux européens.

Les facteurs qui peuvent impacter les élections portent essentiellement sur la confiance envers le président et la satisfaction à l’égard de la politique menée. Les points suivants sont à suivre : l’image du Président, le rétablissement ou non de la confiance entre le peuple et ses représentants était l’un des enjeux de l’élection présidentielle de 2017, la capacité à mener les réformes, l’adhésion des Français aux choix politiques effectués, l’apparition des premiers résultats, et bien sûr le contexte international et européen.

Autant dire qu’avant les élections européennes, de l’eau aura coulé sous les ponts. Alors d’ici les municipales… Il faut savoir raison garder. Ne pas céder à la politique politicienne, qui consiste à parier sur tel ou tel coureur 18 mois à l’avance, sans savoir quel sera l’état de santé politique des candidats à la candidature.

Et pour qu’ils le soient, il y aura deux conditions. D’abord, qu’ils présentent un projet qui puissent répondre aux attentes des électeurs de leur commune. Et ensuite, qu’ils soient en capacité de l’incarner. Dès lors, l’année qui vient ne peut, pour eux, qu’être consacrée à établir un projet de continuité ou d’alternance, selon qu’ils sont déjà maires ou aspirent à le devenir. Avant le sprint, dans la dernière ligne droite, il faudra courir… sur le fond.

Le #BenallaGate : une question de confiance

Depuis les révélations du journal Le Monde le 18 juillet, tout le monde ou presque a entendu parler du BenallaGate, du nom d’Alexandre Benalla, ce collaborateur du Président de la République qui aurait eu la main leste lors de la manifestation du 1er mai dernier, sur laquelle il était observateur. Mais ce feuilleton de l’été cache-t-il un scandale d’Etat ? Décryptage.

Un collaborateur qui jette le discrédit sur le Président

La faute de Benalla, basée sur son comportement dont il sera à démontrer s’il est délictueux ou non, est très fortement politique. Cette affirmation ne remet pas en cause la gravité des faits : si un observateur invité sur une manifestation a outrepassé son rôle, il devra en répondre devant la justice, qui est saisie. Je ne m’exprimerai donc pas sur les faits, afin de préserver sa présomption d’innocence.

Quand on gère un dossier aussi sensible que la sécurité, et que l’on est en charge de la réorganisation de sa sécurité, on sait que cela va créer des remous. Et donc, on se montre très prudent. Si l’on est un peu malin :

  • on ne va pas en observateur sur une manifestation dont on sait par le renseignement qu’elle va être chaude.
  • Si on y va quand même, on ne prend aucun risque. Donc surtout pas celui de « vouloir aider », selon les propres termes de l’intéressé, au risque de se mettre en tort.
  • Si on l’a fait quand même et qu’on a été repéré par une vidéo, on démissionne pour ne pas exposer la présidence. Même si on nous dit que ça n’est pas la peine.
  • Bien sûr, comme il y a un risque que ce départ pointe l’existence d’un problème, on dit tout de suite la vérité. Comme cela a été fait pour les ministres qui ont été démissionnés. Le tout au nom de la morale.
  • Et si on ne le fait pas, on ne récupère pas un CD-Rom dont on ignore le contenu et la provenance. C’est comme pour les bagages, on ne prend jamais ceux des autres car ils peuvent contenir des objets interdits (drogue, armes, etc…). Un CD-Rom aussi. Donc, on est malin et on ne prend pas.
  • Et si malgré tout on le prend, on ne le passe à personne. Surtout pas sans savoir ce qu’il contient.

En résumé, Alexandre Benalla a commis une série d’imprudences -à la justice de dire s’il a commis des faits répréhensibles-, qui sont autant de fautes professionnelles au titre de son rôle de collaborateur du Président de la République, parce qu’il a exposé le Président à un épisode médiatico-politique. N’importe quel collaborateur politique le sait.

En toile de fond, un désaccord sur les questions de la sécurité du Président

Alexandre Benalla a-t-il été victime d’un complot ? Déjà, peu importe. Le rôle d’un collaborateur, en particulier à ce niveau, est de savoir parer les coups, d’où qu’ils viennent et quelle que soit leur forme. Donc si on a cherché à l’atteindre, il n’a pas été en mesure de l’éviter ni de se sacrifier. C’est aussi une faute.

Ensuite, sur la qualification de cet épisode : de la même manière qu’il ne s’agit pas d’un scandale d’Etat, le terme « complot » est totalement exagéré. S’il reste possible que cette affaire ait pu servir à délivrer un message au Chef de l’Etat, concernant son projet de réforme des services de sécurité, il ne s’agissait en aucun cas d’atteindre ou de faire tomber le Président.

Le sujet de la sécurité du locataire de l’Elysée est sensible, et ne peut être pris par-dessus la jambe. Le GSPR, qui assure cette mission, est composé d’hommes et de femmes triés sur le volet, titulaire d’une formation complète et de très haut niveau. De tous temps, il y a eu des frictions entre les différentes composantes des services de sécurité, et ils ont souvent été réorganisés. De Gaulle avait ses gorilles, Mitterrand a créé le GSPR sur la base des gendarmes, Sarkozy a préféré les policiers, Hollande a fait un mix… Ces questions ne sont pas nouvelles.

S’il est possible de modifier l’institution, comme cela a été le cas à plusieurs reprises par le passé, cela demande du doigté dans la réflexion et dans le choix des hommes qui la portent. Leur crédibilité est nécessairement la garantie d’une réforme réussie. Mais la simple idée qui circule -et qui demande à être démontrée- selon laquelle un jeune collaborateur de 26 ans aurait pu donner des ordres au GSPR peut expliquer qu’il y ait eu une volonté de le faire tomber. Si c’est le cas -et pour le moment on n’en sait rien-, ça n’est en aucun cas un complot : simplement un message… Rien de très étonnant là-dedans, prétendre le contraire serait d’une naïveté qui ne convient pas à une analyse sérieuse de la situation.

Une séquence médiatique désastreuse sur le plan politique

Ces fautes sont telles qu’elles ont engendrées une séquence désastreuse pour toute la classe politique.

A quelques exceptions près -dont le Premier Ministre et quelques rares députés- la majorité s’est enlisée dans une gestion de la crise absolument catastrophique, tant sur le plan de la communication que sur le plan politique, faute d’avoir compris le risque de feuilleton que recelait cet épisode :

  • Diffusion d’éléments de langage à géométrie très variable, témoignant d’une vraie panique à bord : Diffusion d’une première salve d’éléments de langage indiquant que le Président de la République n’avait rien à voir avec cette affaire et qu’Alexandre Benalla voulait voir comment se gérait une manifestation. Puis sur une deuxième faute (la récupération d’un CD-Rom contenant les images de la Préfecture de Police de Paris), qui justifierait son licenciement. Après avoir dit pendant deux jours que tout cela ne concernait pas le PR, ils ont relayé sa grandeur de se déclarer responsable, changeant de pied à 180°. Enfin, ils se sont rués sur le premier sondage un poil favorable au Président, sans la prudence requise en la matière, avant d’être contredits par le suivant qui place le Président au plus bas de sa popularité.
  • Refus de créer une commission d’enquête parlementaire: face aux multiples rappels au règlement en pleine étude du #PJLConstit à l’Assemblée Nationale, qui bloquent de fait les débats, la majorité finit par céder et constitue sous la pression la commission des lois en une commission d’enquête, qu’elle avait d’abord refusée.
  • Refus d’auditionner certains protagonistes de l’affaire (dont Alexis Kohler, Secrétaire Général de l’Elysée ou encore Christophe Castaner, Délégué Général de la République en Marche) au motif que cela n’aurait pas été nécessaire. Dans le même temps, on apprend qu’ils seront auditionnés par le Sénat. Ce qui de fait, affaiblit la chambre basse au moment même où était discuté le #PJLConstit, tuant le texte dans sa rédaction initiale.
  • Erreur de #compol de Christophe Castaner : à la fois Ministre des Relations avec le Parlement et Délégué Général d’En Marche, Castaner était bien au Parlement au plus fort de la crise, mais a soigneusement évité l’hémicycle, pour éviter les questions gênantes sur Vincent Crase, salarié d’En Marche qui accompagnait Benalla. En revanche, il n’a pas eu l’idée d’éviter un clash de 10 minutes avec Marine Le Pen en salle des Quatre Colonnes, le tout devant les caméras de télévision.
  • Prise de parole du PR totalement à côté de la plaque: faute d’avoir pris la mesure de l’ampleur de la crise, celle-ci a eu lieu dans un cadre privé, devant les seuls députés LREM, avec en organisant la fuite du contenu en vidéo : on y voit le PR se moquer des rumeurs, se déclarer fier de son collaborateur et être responsable, avant de déclarer un mythique « Qu’ils viennent me chercher », dont on peut parier, au vu de son immunité le temps de son mandat, qu’il restera dans les annales. Il a depuis ajouté qu’il s’agissait d’une « tempête dans un verre d’eau », choisissant une stratégie de gestion de crise par le déni, alors que 80% des sondés se sont déclarés choqués et 73% ont jugé l’affaire « grave ».
  • Auditions troubles de la chaîne de commandement : entre le Ministre de l’Intérieur qui a prétendu lors de sa première audition ne pas savoir grand-chose, et le Secrétaire Général de l’Elysée qui s’est pris une leçon de droit constitutionnel par le président de la commission des Lois du Sénat (lui-même ancien Secrétaire Général de l’Elysée), on ne peut pas dire que les proches du Président aient brillé.
  • Plan de communication d’Alexandre Benalla, manifestement piloté par Le Château : une interview dans Le Monde, le 20h de TF1 totalement relooké pour la circonstance, et une interview dans le JDD. Le tout pour dédouaner le Président et assumer l’aspect politique de la crise.
  • Bonus Track : la diffusion d’images illégalement obtenues ?  il semblerait que des militants LREM aient diffusé sur les réseaux sociaux des images issues de la vidéosurveillance de la Préfecture de Police. Ce qui en ferait les receleurs d’images obtenues illégalement et pose la question de qui leur aurait fournies. Ce point reste à vérifier par la justice, qui a étendu son enquête à ce point. Si c’est le cas, l’erreur politique est abyssale.

Les oppositions, si elles avaient plutôt bien démarré leur gestion politique :

  • Utilisation des rappels au règlement à l’Assemblée nationale pour demander la venue du Premier Ministre, pour s’expliquer sur ce qu’il s’est passé le 1er mai au regard des révélations du Monde sur l’affaire Benalla et contraindre la majorité à constituer une commission d’enquête parlementaire et contraindre le gouvernement à s’expliquer.
    C’est en partie réussi grâce à Boris Vallaud, qui déterre le point technique qui permet de faire constituer la commission des lois en commission d’enquête. Le gouvernement, lui, ne viendra pas s’expliquer. Mais l’examen du #PJLConstit sera suspendu.
  • Participation à la commission d’enquête parlementaire : les oppositions ont su, au début de la commission d’enquête, se montrer au travail dans la recherche de la vérité. Guillaume Larrivé, co-rapporteur, s’était même révélé dans ce rôle. Sans toutefois obtenir l’audition des témoins souhaitées par les oppositions.

Hélas, elles ne se sont finalement pas montrées à la hauteur de la situation, tant elles ont péché par excès :

  • Demandes d’auditions fantaisistes : La France Insoumise a exagéré dans ses demandes, en réclamant l’audition d’Alexandre Benalla, qui semble malvenue au regard de l’instruction judiciaire en cours vu que la commission d’enquête de l’Assemblée nationale porte sur le même périmètre (contrairement à celle du Sénat qui lui, peut donc l’auditionner), et du Président de la République, qui n’est pas possible en vertu de notre Constitution.
  • Clash en commission d’enquête: faute d’obtenir les auditions souhaitées et en raison de l’obstruction de la présidente de la commission des lois, les oppositions ont quitté la commission. Pour des raisons tactiques, il aurait été préférable d’aller au bout de la vie de la commission, quitte à gérer ces différents au moment de la rédaction du rapport.
  • Motions de censure : deux motions de censure, de droite et de gauche, ont été déposées sur la base de l’art. 49-2 de la Constitution. C’est une erreur politique que d’obliger le Premier Ministre à répondre sur un dossier qui concerne manifestement le Président de la République, puisqu’il s’est lui-même déclaré responsable. Ce n’est pas parce que l’on a une arme qu’elle est appropriée.

Un effet difficile à quantifier aujourd’hui

Aujourd’hui, personne ne peut présumer de l’impact qu’aura cette affaire dans l’esprit des Français. Les sondages sortis depuis l’affaire sont contradictoires, et ne représentent qu’un instantané. C’est dans la durée que l’on verra si cet épisode a imprimé dans la population ou non.

Bien sûr, les corps intermédiaires, tels que les syndicats, tenteront dès la rentrée de souffler sur les braises de cet épisode pour tenter de mettre à mal les prochains textes qui seront étudiés, comme la réforme des retraites. C’est de bonne guerre. Et le Sénat pèsera de tout son poids, notamment lors des commissions mixtes paritaires, pour amoindrir les textes présentés par le gouvernement. C’est aussi un jeu politique.

L’autre bataille attendue sera celle des institutions. A ce jour, le #PJLConstit est suspendu et non retiré. Cependant, ce texte a du plomb dans l’aile, au moins dans sa rédaction actuelle. François de Rugy, président de l’Assemblée nationale, a déjà annoncé au perchoir être prêt à travailler avec tous ceux qui le voulaient pour amender ce texte. C’est donc une indication formelle quant aux modifications qu’il devra porter. Et pour cause : ce texte devra être ratifié soit par le Congrès à la majorité des 3/5ème, dont ne dispose pas le Président -et on sait déjà que le Sénat n’est pas acquis- ou par référendum… une voie pas plus acquise, d’autant plus à la suite de cet épisode.

Mais surtout, le calendrier électoral est chargé et assez défavorable à la majorité :

  • Juin 2019: élections européennes. Ce scrutin est traditionnellement marqué par un fort désintérêt des électeurs, une forte abstention, et un poids élevé des extrêmes. Pour l’emporter ou limiter les dégâts, la majorité devra donc constituer une alliance avec les pro-européens compatibles. Un exercice rendu difficile par cet épisode : la majorité devra faire des concessions.
  • Mars 2020: municipales. Lors de ce scrutin, les Français votent au plus près, pour une personnalité plus que pour un parti. La majorité, qui ne dispose ni d’élus locaux, ni de troupes militantes, devra là encore passer par des alliances dans la plupart des cas. Si déjà, la suppression de la taxe d’habitation, qui a fragilisé les ressources des collectivités territoriales, avait rafraîchi l’envie de certains élus susceptibles de s’allier à En Marche, cet épisode ne va certainement pas leur donner envie de s’attacher des boulets aux pieds.
  • Septembre 2020: sénatoriale. Ce scrutin dépendra des municipales. Et donc, de la possibilité pour le Président de disposer d’une majorité à la chambre haute.
  • Décembre 2021: départementales et régionales. Ces scrutins auront lieu pendant la pré-campagne des présidentielles. Ce sera chaud.
  • Avril / Mai 2022: présidentielles.

Un épisode qui questionne à nouveau le rapport de confiance entre la classe politique et les Français

Fatalement, il en découle la question de la confiance en la classe politique, à tous les échelons :

  • Au niveau du Président, il subsiste des questions sur la raison qui aurait pu le pousser à conserver auprès de lui un collaborateur l’ayant exposé. Cette simple interrogation l’affaiblit, parce qu’elle donne le sentiment, supposé ou réel, d’une dissimulation
  • Au niveau de la majorité, parce qu’elle a clairement cherché à minimiser les répercutions de cet épisode -ce que l’on peut comprendre-, en usant de son pouvoir d’obstruction de la commission d’enquête au sein de l’Assemblée nationale.
  • Au niveau de l’opposition enfin, parce qu’elle est allée trop loin dans ses requêtes, est retombée dans le jeu politicien habituel et a donc manqué de hauteur.

Au vu de ce que l’on sait à ce stade, et étrange que cela puisse paraître aux néophytes, le #BenallaGate n’est pas un scandale d’Etat. Mais c’est assurément plus qu’une tempête dans un verre d’eau. Parce que cette affaire met en lumière plusieurs points saillants de la relation entre les hommes et femmes politiques et les Français. Et en particulier celle de la relation de l’homme au pouvoir. De tous temps, ce sujet a été au centre de la vie politique. Que se passe-t-il dans la tête de ceux qui détiennent un quelconque pouvoir sur autrui ? Comment s’en servent-ils ? A quel moment l’outrepassent-ils ?

Si le Président a pour le moment échoué dans sa promesse de rétablir la confiance entre les politiques et les Français, il faut également noter que les oppositions n’ont pas fait mieux. Or le dégagisme politique de 2017, qui a permis l’élection d’Emmanuel Macron, se basait bien sur un souhait réel des Français d’avoir à la tête de l’Etat un Président capable de mener les réformes, mais aussi de moderniser le monde politique.

Force est de constater que le nouveau monde n’est pas exempt des faiblesses de l’ancien. Or cette question de la confiance sera assurément, faute d’avoir été réglée et indépendamment des programmes de chaque parti, au cœur des prochains scrutins.  A suivre…

Chaos, histoires secrètes de la guerre des droites

J’aime les livres politiques. Je les dévore. Ils me permettent d’alimenter sans cesse ma réflexion sur notre vie politique et d’y confronter mes propres analyses. C’est toujours un moment douloureux pour moi que de choisir de lire l’un ou l’autre, faute d’avoir les moyens de tous les acheter et d’avoir une bibliothèque locale trop peu pourvue en la matière. Mais pour les raisons qui vont suivre, Chaos, histoires secrètes de la guerre des droites, de Frédéric Lefebvre, figurait en haut de ma liste.

Octobre 2005. Je suis licenciée de mon poste d’assistante de direction par mon employeur, l’UMP, au terme d’un long processus qui ne comptera pas moins de quatre entretiens -trois préalables et celui m’annonçant la décision- tous plus surréalistes les uns que les autres. Mon dernier interlocuteur, le moins gradé, m’informe que la décision finale a été prise par Frédéric Lefebvre, qui devient par là même mon coupeur de tête.

L’idée aurait été de sacrifier une petite employée travailleuse et tranquille afin de menacer les autres permanents. Autrement dit, faire régner la terreur sur le personnel de l’UMP afin que tout le monde marche au pas. Un licenciement préventif destiné non pas à me sanctionner de fautes que j’aurais commises -le dossier était d’ailleurs vide…- mais à servir d’avertissement à des permanents qui aiment s’appeler ainsi parce qu’eux le sont quand les politiques passent. D’autres sources me « confirmeront » que Frédéric Lefebvre est à l’origine de cette idée machiavélique pour mâter les troupes.  Minority report, en pire : la condamnation de quelqu’un qui n’a rien fait pour éviter que d’autres ne commettent des méfaits. Ubuesque.

Cette histoire personnelle, sur laquelle je ne souhaite pas m’étendre car personne ne peut réellement le comprendre si ce n’est ceux qui ont vécu le même genre de mésaventure, marque le point culminant de la violence que j’ai pu subir dans ce milieu. Il en restera une blessure profonde : celle d’avoir été catégorisée par des gens -anonymes, bien sûr- comme étant d’un camp, ce alors qu’ils ne me connaissaient même pas : j’étais une petite main, reconnue comme faisant bien mon travail -ce qui n’a pas toujours été le cas de tous les permanents de partis- et ne bougeant pas une oreille. Par quel truchement suis-je devenue un danger ? Par l’affrontement fratricide de deux camps. Par le jeu des circonstances. Parce que tout simplement, j’étais au mauvais endroit, au mauvais moment. Au mauvais poste, aussi. Celui de la mouche à merdes.

Malgré ses ailes coupées, la mouche a survécu. Merci à mes vétérinaires.

Il y a quelques années, j’ai redécouvert Frédéric Lefebvre, par le biais de Twitter. Sa nouvelle manière de faire de la politique, loin du rôle de porte-flingue de Nicolas Sarkozy, un rôle auquel on l’a trop souvent réduit. Moi la première, je lui en ai mis plein la gueule. Il est probable que ce blog compte quelques anciens articles en ce sens. Parce que je lui en ai voulu. Profondément. Sans haine. Mais dans une opposition à un camp qui m’avait tant fait souffrir.

J’étais alors encore dans l’incompréhension face à la violence inouïe et totalement démesurée qui s’est déchaînée sur la mouche que j’étais : assistante de direction au service des jeunes, je n’avais aucun pouvoir, j’étais au plus bas dans la hiérarchie des petites mains, autrement dit je ne menaçais personne. Et surtout pas l’accession inéluctable au pouvoir de Nicolas Sarkozy. Et c’est précisément pour cela que c’est tombé sur moi.

Pourtant, lorsque j’ai redécouvert Frédéric Lefebvre, j’ai eu envie de m’intéresser à sa manière d’envisager son rôle d’élu comme celui d’un politique libre. Comment cet homme pouvait avoir changé ? Qu’est ce qui expliquait ce virage dans sa pratique de l’exercice politique ? Cela m’intriguait, précisément parce qu’il avait par le passé suivi aveuglément Nicolas Sarkozy. J’avais envie de comprendre les ressorts de cette mutation.

Nous avons commencé à échanger. Oh, je ne me suis pas gênée pour lui rappeler qu’il m’avait virée. Il a été étonné, et m’a pudiquement dit ne pas se rappeler d’avoir commis cet acte alors qu’il gardait un bon souvenir de moi. Je l’ai senti sincère et j’en ai été la première surprise. Alors, j’ai poursuivi les échanges et je me suis intéressée à sa mue. En constatant la réalité de sa transformation, je l’ai pardonné, sans le lui dire.

Avril 2018. Alors que je suis environ à la moitié de Chaos, histoires secrètes de la guerre des droites, écrit par Frédéric Lefebvre, l’évidence me saute à la figure : ça ne peut pas être lui qui a pris la décision finale. C’est impossible pour des raisons techniques et humaines. Je lui envoie donc un message pour lui faire part de cette conviction. Et il me le confirme : il n’a pas été ce bras armé et encore moins l’inventeur de ce stratagème qui a fait une victime : la mouche, moi.

En plus d’être immonde, celui qui a pris cette décision n’a même pas eu le courage de l’assumer et a fait porter le chapeau à un autre. On n’est décidément jamais à court de mauvaises surprises, dans la guerre des droites. C’est bien la première fois que je pardonne quelqu’un d’un méfait qu’il n’a pas commis et c’est assez cocasse. Mais l’honnêteté intellectuelle m’oblige : après tout ce que je lui ai mis dans la tête durant ses années Sarkozy -du jour où la Sarkozie a décidé que j’étais contre eux, je le suis assez naturellement devenue…- il mérite que je le réhabilite par les mêmes moyens.

Ce long préambule explique pourquoi, a priori, je ne portais pas Frédéric Lefebvre dans mon cœur et comment, par son seul comportement politique, j’ai évolué très favorablement dans la perception que j’ai de lui.  C’était nécessaire. Et rien de tel que la lecture de Chaos, histoires secrètes de la guerre des droites pour vous en convaincre.

Ce témoignage d’un homme qui s’est engagé très tôt, est dense et passionnant. Et il mérite vraiment que l’on s’y arrête. A travers son histoire personnelle, évoque son parcours politique, de ses années Sarkozy (mais pas seulement) à son choix d’être un élu libre, guidé par ses seules convictions. Au-dessus des partis, dans le sens où le parti ne dirige pas ses votes et c’est heureux : le mandat de parlementaire n’est pas impératif, c’est l’article 27 de la Constitution qui le dit ! A l’heure où l’on nous parle du changement des usages et des pratiques dans la vie politique -avec notamment la loi Confiance, votée à coups de flonflons et trompettes après l’accession à la présidence de la République d’Emmanuel Macron, je vous engage à découvrir ce qu’est réellement la modernité de la pratique politique, en lisant un homme qui la pratique au quotidien.

Mais ce livre, c’est avant tout une histoire d’amour. Pour sa femme, d’abord, et pour ses enfants. Au fil des pages, on comprend à quel point leur indéfectible soutien est capital. Leur amour pour lui alors que la politique le leur vole. C’est touchant et profondément humain. Une histoire d’amour avec la politique, aussi. Son parcours, très détaillé, évoque son engagement et ce que lui ont apporté ceux qu’il a pu côtoyer depuis tant d’années. Mais aussi, les convictions qu’il s’est forgé et la manière dont il s’est employé à les servir, à travers tant d’actions concrètes qui mettent en lumière le travail des élus sur le terrain, hélas méconnus de nos concitoyens. Une histoire d’amour pour la France et le monde, et plus largement, pour l’humanité.

L’autre grand intérêt du livre, c’est l’analyse politique livrée sur les guerres intestines auxquelles se livrent la droite depuis des décennies, véritable antichambre de sa dissolution dans la ligne Buisson. Car aujourd’hui, la droite, qui a délaissé le débat d’idées, se résume à quelques formules marketing destinée à promouvoir une ligne brune inquiétante. Frédéric Lefebvre livre en plusieurs chapitres une enquête fournie et circonstanciée sur la stratégie de rapprochement avec l’extrême droite poursuivie par Laurent Wauquiez, destinée à la conquête du pouvoir. Une mise en œuvre relativement peu apparente aux yeux du grand public, mais bien réelle dans les tréfonds des réseaux. C’est incontestablement l’un des points forts de l’ouvrage que de le mettre en lumière, avec précision.

Au fil des pages, le lecteur ressentira enfin toute la douleur de Frédéric Lefebvre dans la fin de sa relation avec Nicolas Sarkozy, qui l’a particulièrement maltraité. Ces pages plus sombres sont aussi un témoignage de la violence qui peut s’exercer dans ce milieu, hélas trop souvent, quand les hommes perdent toute notion d’humanité par goût du pouvoir. Dont ils ne font pas toujours grand-chose… Et à quel prix : celui de sacrifier des gens, petites mains ou fidèles, vouées aux gémonies pour avoir commis l’outrage de penser parfois différemment et de voter selon ses convictions au lieu de suivre bêtement les consignes du parti.

Ces pages-là m’ont touchée. En raison de mon histoire, bien sûr. Lire ses souffrances m’a rappelé les miennes et il m’est pénible de constater l’existence d’autres victimes, même si j’ai bien conscience qu’il y en a un paquet d’autres. Cela me rapproche évidemment de l’homme : bien que nos situations soient très différentes, nous avons en commun d’avoir vécu des choses difficiles et de pouvoir nous comprendre.

Mais le plus important, c’est de transformer cette violence subie en quelque chose de positif. Frédéric Lefebvre est resté humaniste, malgré tout. Il n’a pas sombré dans la haine, il a su trouver la force de dépasser tout cela pour mettre ce qu’il était intrinsèquement au service de l’action publique. Fidèle à lui-même, loyal à ses valeurs. C’est en cela que ce livre a tant résonné en moi. Parce que cet ouvrage traduit un espoir : non, nous ne sommes pas condamnés à nous coucher devant un système dont tout le monde a conscience qu’il doit changer.

Au contraire, c’est parce que nous avons connu les pires travers des coulisses du pouvoir que nous devons rester en politique : pour être nous-mêmes les acteurs de ce changement et éradiquer ces pratiques. Pour lutter contre les haines fratricides qui se jouent dans la conquête du pouvoir et remettre de l’humanité en lieu et place de la politique politicienne. C’est exactement pour cela que malgré le dégoût que m’a inspiré cette violence, j’ai choisi de poursuivre mon engagement.

Vous me direz que je suis utopiste, et c’est en partie vraie. Mais l’exemple de résilience de Frédéric Lefebvre démontre que c’est possible, pour un peu qu’on le veuille. Agir, plutôt que réagir, tel est le maître mot.