Le #BenallaGate : une question de confiance

Depuis les révélations du journal Le Monde le 18 juillet, tout le monde ou presque a entendu parler du BenallaGate, du nom d’Alexandre Benalla, ce collaborateur du Président de la République qui aurait eu la main leste lors de la manifestation du 1er mai dernier, sur laquelle il était observateur. Mais ce feuilleton de l’été cache-t-il un scandale d’Etat ? Décryptage.

Un collaborateur qui jette le discrédit sur le Président

La faute de Benalla, basée sur son comportement dont il sera à démontrer s’il est délictueux ou non, est très fortement politique. Cette affirmation ne remet pas en cause la gravité des faits : si un observateur invité sur une manifestation a outrepassé son rôle, il devra en répondre devant la justice, qui est saisie. Je ne m’exprimerai donc pas sur les faits, afin de préserver sa présomption d’innocence.

Quand on gère un dossier aussi sensible que la sécurité, et que l’on est en charge de la réorganisation de sa sécurité, on sait que cela va créer des remous. Et donc, on se montre très prudent. Si l’on est un peu malin :

  • on ne va pas en observateur sur une manifestation dont on sait par le renseignement qu’elle va être chaude.
  • Si on y va quand même, on ne prend aucun risque. Donc surtout pas celui de « vouloir aider », selon les propres termes de l’intéressé, au risque de se mettre en tort.
  • Si on l’a fait quand même et qu’on a été repéré par une vidéo, on démissionne pour ne pas exposer la présidence. Même si on nous dit que ça n’est pas la peine.
  • Bien sûr, comme il y a un risque que ce départ pointe l’existence d’un problème, on dit tout de suite la vérité. Comme cela a été fait pour les ministres qui ont été démissionnés. Le tout au nom de la morale.
  • Et si on ne le fait pas, on ne récupère pas un CD-Rom dont on ignore le contenu et la provenance. C’est comme pour les bagages, on ne prend jamais ceux des autres car ils peuvent contenir des objets interdits (drogue, armes, etc…). Un CD-Rom aussi. Donc, on est malin et on ne prend pas.
  • Et si malgré tout on le prend, on ne le passe à personne. Surtout pas sans savoir ce qu’il contient.

En résumé, Alexandre Benalla a commis une série d’imprudences -à la justice de dire s’il a commis des faits répréhensibles-, qui sont autant de fautes professionnelles au titre de son rôle de collaborateur du Président de la République, parce qu’il a exposé le Président à un épisode médiatico-politique. N’importe quel collaborateur politique le sait.

En toile de fond, un désaccord sur les questions de la sécurité du Président

Alexandre Benalla a-t-il été victime d’un complot ? Déjà, peu importe. Le rôle d’un collaborateur, en particulier à ce niveau, est de savoir parer les coups, d’où qu’ils viennent et quelle que soit leur forme. Donc si on a cherché à l’atteindre, il n’a pas été en mesure de l’éviter ni de se sacrifier. C’est aussi une faute.

Ensuite, sur la qualification de cet épisode : de la même manière qu’il ne s’agit pas d’un scandale d’Etat, le terme « complot » est totalement exagéré. S’il reste possible que cette affaire ait pu servir à délivrer un message au Chef de l’Etat, concernant son projet de réforme des services de sécurité, il ne s’agissait en aucun cas d’atteindre ou de faire tomber le Président.

Le sujet de la sécurité du locataire de l’Elysée est sensible, et ne peut être pris par-dessus la jambe. Le GSPR, qui assure cette mission, est composé d’hommes et de femmes triés sur le volet, titulaire d’une formation complète et de très haut niveau. De tous temps, il y a eu des frictions entre les différentes composantes des services de sécurité, et ils ont souvent été réorganisés. De Gaulle avait ses gorilles, Mitterrand a créé le GSPR sur la base des gendarmes, Sarkozy a préféré les policiers, Hollande a fait un mix… Ces questions ne sont pas nouvelles.

S’il est possible de modifier l’institution, comme cela a été le cas à plusieurs reprises par le passé, cela demande du doigté dans la réflexion et dans le choix des hommes qui la portent. Leur crédibilité est nécessairement la garantie d’une réforme réussie. Mais la simple idée qui circule -et qui demande à être démontrée- selon laquelle un jeune collaborateur de 26 ans aurait pu donner des ordres au GSPR peut expliquer qu’il y ait eu une volonté de le faire tomber. Si c’est le cas -et pour le moment on n’en sait rien-, ça n’est en aucun cas un complot : simplement un message… Rien de très étonnant là-dedans, prétendre le contraire serait d’une naïveté qui ne convient pas à une analyse sérieuse de la situation.

Une séquence médiatique désastreuse sur le plan politique

Ces fautes sont telles qu’elles ont engendrées une séquence désastreuse pour toute la classe politique.

A quelques exceptions près -dont le Premier Ministre et quelques rares députés- la majorité s’est enlisée dans une gestion de la crise absolument catastrophique, tant sur le plan de la communication que sur le plan politique, faute d’avoir compris le risque de feuilleton que recelait cet épisode :

  • Diffusion d’éléments de langage à géométrie très variable, témoignant d’une vraie panique à bord : Diffusion d’une première salve d’éléments de langage indiquant que le Président de la République n’avait rien à voir avec cette affaire et qu’Alexandre Benalla voulait voir comment se gérait une manifestation. Puis sur une deuxième faute (la récupération d’un CD-Rom contenant les images de la Préfecture de Police de Paris), qui justifierait son licenciement. Après avoir dit pendant deux jours que tout cela ne concernait pas le PR, ils ont relayé sa grandeur de se déclarer responsable, changeant de pied à 180°. Enfin, ils se sont rués sur le premier sondage un poil favorable au Président, sans la prudence requise en la matière, avant d’être contredits par le suivant qui place le Président au plus bas de sa popularité.
  • Refus de créer une commission d’enquête parlementaire: face aux multiples rappels au règlement en pleine étude du #PJLConstit à l’Assemblée Nationale, qui bloquent de fait les débats, la majorité finit par céder et constitue sous la pression la commission des lois en une commission d’enquête, qu’elle avait d’abord refusée.
  • Refus d’auditionner certains protagonistes de l’affaire (dont Alexis Kohler, Secrétaire Général de l’Elysée ou encore Christophe Castaner, Délégué Général de la République en Marche) au motif que cela n’aurait pas été nécessaire. Dans le même temps, on apprend qu’ils seront auditionnés par le Sénat. Ce qui de fait, affaiblit la chambre basse au moment même où était discuté le #PJLConstit, tuant le texte dans sa rédaction initiale.
  • Erreur de #compol de Christophe Castaner : à la fois Ministre des Relations avec le Parlement et Délégué Général d’En Marche, Castaner était bien au Parlement au plus fort de la crise, mais a soigneusement évité l’hémicycle, pour éviter les questions gênantes sur Vincent Crase, salarié d’En Marche qui accompagnait Benalla. En revanche, il n’a pas eu l’idée d’éviter un clash de 10 minutes avec Marine Le Pen en salle des Quatre Colonnes, le tout devant les caméras de télévision.
  • Prise de parole du PR totalement à côté de la plaque: faute d’avoir pris la mesure de l’ampleur de la crise, celle-ci a eu lieu dans un cadre privé, devant les seuls députés LREM, avec en organisant la fuite du contenu en vidéo : on y voit le PR se moquer des rumeurs, se déclarer fier de son collaborateur et être responsable, avant de déclarer un mythique « Qu’ils viennent me chercher », dont on peut parier, au vu de son immunité le temps de son mandat, qu’il restera dans les annales. Il a depuis ajouté qu’il s’agissait d’une « tempête dans un verre d’eau », choisissant une stratégie de gestion de crise par le déni, alors que 80% des sondés se sont déclarés choqués et 73% ont jugé l’affaire « grave ».
  • Auditions troubles de la chaîne de commandement : entre le Ministre de l’Intérieur qui a prétendu lors de sa première audition ne pas savoir grand-chose, et le Secrétaire Général de l’Elysée qui s’est pris une leçon de droit constitutionnel par le président de la commission des Lois du Sénat (lui-même ancien Secrétaire Général de l’Elysée), on ne peut pas dire que les proches du Président aient brillé.
  • Plan de communication d’Alexandre Benalla, manifestement piloté par Le Château : une interview dans Le Monde, le 20h de TF1 totalement relooké pour la circonstance, et une interview dans le JDD. Le tout pour dédouaner le Président et assumer l’aspect politique de la crise.
  • Bonus Track : la diffusion d’images illégalement obtenues ?  il semblerait que des militants LREM aient diffusé sur les réseaux sociaux des images issues de la vidéosurveillance de la Préfecture de Police. Ce qui en ferait les receleurs d’images obtenues illégalement et pose la question de qui leur aurait fournies. Ce point reste à vérifier par la justice, qui a étendu son enquête à ce point. Si c’est le cas, l’erreur politique est abyssale.

Les oppositions, si elles avaient plutôt bien démarré leur gestion politique :

  • Utilisation des rappels au règlement à l’Assemblée nationale pour demander la venue du Premier Ministre, pour s’expliquer sur ce qu’il s’est passé le 1er mai au regard des révélations du Monde sur l’affaire Benalla et contraindre la majorité à constituer une commission d’enquête parlementaire et contraindre le gouvernement à s’expliquer.
    C’est en partie réussi grâce à Boris Vallaud, qui déterre le point technique qui permet de faire constituer la commission des lois en commission d’enquête. Le gouvernement, lui, ne viendra pas s’expliquer. Mais l’examen du #PJLConstit sera suspendu.
  • Participation à la commission d’enquête parlementaire : les oppositions ont su, au début de la commission d’enquête, se montrer au travail dans la recherche de la vérité. Guillaume Larrivé, co-rapporteur, s’était même révélé dans ce rôle. Sans toutefois obtenir l’audition des témoins souhaitées par les oppositions.

Hélas, elles ne se sont finalement pas montrées à la hauteur de la situation, tant elles ont péché par excès :

  • Demandes d’auditions fantaisistes : La France Insoumise a exagéré dans ses demandes, en réclamant l’audition d’Alexandre Benalla, qui semble malvenue au regard de l’instruction judiciaire en cours vu que la commission d’enquête de l’Assemblée nationale porte sur le même périmètre (contrairement à celle du Sénat qui lui, peut donc l’auditionner), et du Président de la République, qui n’est pas possible en vertu de notre Constitution.
  • Clash en commission d’enquête: faute d’obtenir les auditions souhaitées et en raison de l’obstruction de la présidente de la commission des lois, les oppositions ont quitté la commission. Pour des raisons tactiques, il aurait été préférable d’aller au bout de la vie de la commission, quitte à gérer ces différents au moment de la rédaction du rapport.
  • Motions de censure : deux motions de censure, de droite et de gauche, ont été déposées sur la base de l’art. 49-2 de la Constitution. C’est une erreur politique que d’obliger le Premier Ministre à répondre sur un dossier qui concerne manifestement le Président de la République, puisqu’il s’est lui-même déclaré responsable. Ce n’est pas parce que l’on a une arme qu’elle est appropriée.

Un effet difficile à quantifier aujourd’hui

Aujourd’hui, personne ne peut présumer de l’impact qu’aura cette affaire dans l’esprit des Français. Les sondages sortis depuis l’affaire sont contradictoires, et ne représentent qu’un instantané. C’est dans la durée que l’on verra si cet épisode a imprimé dans la population ou non.

Bien sûr, les corps intermédiaires, tels que les syndicats, tenteront dès la rentrée de souffler sur les braises de cet épisode pour tenter de mettre à mal les prochains textes qui seront étudiés, comme la réforme des retraites. C’est de bonne guerre. Et le Sénat pèsera de tout son poids, notamment lors des commissions mixtes paritaires, pour amoindrir les textes présentés par le gouvernement. C’est aussi un jeu politique.

L’autre bataille attendue sera celle des institutions. A ce jour, le #PJLConstit est suspendu et non retiré. Cependant, ce texte a du plomb dans l’aile, au moins dans sa rédaction actuelle. François de Rugy, président de l’Assemblée nationale, a déjà annoncé au perchoir être prêt à travailler avec tous ceux qui le voulaient pour amender ce texte. C’est donc une indication formelle quant aux modifications qu’il devra porter. Et pour cause : ce texte devra être ratifié soit par le Congrès à la majorité des 3/5ème, dont ne dispose pas le Président -et on sait déjà que le Sénat n’est pas acquis- ou par référendum… une voie pas plus acquise, d’autant plus à la suite de cet épisode.

Mais surtout, le calendrier électoral est chargé et assez défavorable à la majorité :

  • Juin 2019: élections européennes. Ce scrutin est traditionnellement marqué par un fort désintérêt des électeurs, une forte abstention, et un poids élevé des extrêmes. Pour l’emporter ou limiter les dégâts, la majorité devra donc constituer une alliance avec les pro-européens compatibles. Un exercice rendu difficile par cet épisode : la majorité devra faire des concessions.
  • Mars 2020: municipales. Lors de ce scrutin, les Français votent au plus près, pour une personnalité plus que pour un parti. La majorité, qui ne dispose ni d’élus locaux, ni de troupes militantes, devra là encore passer par des alliances dans la plupart des cas. Si déjà, la suppression de la taxe d’habitation, qui a fragilisé les ressources des collectivités territoriales, avait rafraîchi l’envie de certains élus susceptibles de s’allier à En Marche, cet épisode ne va certainement pas leur donner envie de s’attacher des boulets aux pieds.
  • Septembre 2020: sénatoriale. Ce scrutin dépendra des municipales. Et donc, de la possibilité pour le Président de disposer d’une majorité à la chambre haute.
  • Décembre 2021: départementales et régionales. Ces scrutins auront lieu pendant la pré-campagne des présidentielles. Ce sera chaud.
  • Avril / Mai 2022: présidentielles.

Un épisode qui questionne à nouveau le rapport de confiance entre la classe politique et les Français

Fatalement, il en découle la question de la confiance en la classe politique, à tous les échelons :

  • Au niveau du Président, il subsiste des questions sur la raison qui aurait pu le pousser à conserver auprès de lui un collaborateur l’ayant exposé. Cette simple interrogation l’affaiblit, parce qu’elle donne le sentiment, supposé ou réel, d’une dissimulation
  • Au niveau de la majorité, parce qu’elle a clairement cherché à minimiser les répercutions de cet épisode -ce que l’on peut comprendre-, en usant de son pouvoir d’obstruction de la commission d’enquête au sein de l’Assemblée nationale.
  • Au niveau de l’opposition enfin, parce qu’elle est allée trop loin dans ses requêtes, est retombée dans le jeu politicien habituel et a donc manqué de hauteur.

Au vu de ce que l’on sait à ce stade, et étrange que cela puisse paraître aux néophytes, le #BenallaGate n’est pas un scandale d’Etat. Mais c’est assurément plus qu’une tempête dans un verre d’eau. Parce que cette affaire met en lumière plusieurs points saillants de la relation entre les hommes et femmes politiques et les Français. Et en particulier celle de la relation de l’homme au pouvoir. De tous temps, ce sujet a été au centre de la vie politique. Que se passe-t-il dans la tête de ceux qui détiennent un quelconque pouvoir sur autrui ? Comment s’en servent-ils ? A quel moment l’outrepassent-ils ?

Si le Président a pour le moment échoué dans sa promesse de rétablir la confiance entre les politiques et les Français, il faut également noter que les oppositions n’ont pas fait mieux. Or le dégagisme politique de 2017, qui a permis l’élection d’Emmanuel Macron, se basait bien sur un souhait réel des Français d’avoir à la tête de l’Etat un Président capable de mener les réformes, mais aussi de moderniser le monde politique.

Force est de constater que le nouveau monde n’est pas exempt des faiblesses de l’ancien. Or cette question de la confiance sera assurément, faute d’avoir été réglée et indépendamment des programmes de chaque parti, au cœur des prochains scrutins.  A suivre…

Chaos, histoires secrètes de la guerre des droites

J’aime les livres politiques. Je les dévore. Ils me permettent d’alimenter sans cesse ma réflexion sur notre vie politique et d’y confronter mes propres analyses. C’est toujours un moment douloureux pour moi que de choisir de lire l’un ou l’autre, faute d’avoir les moyens de tous les acheter et d’avoir une bibliothèque locale trop peu pourvue en la matière. Mais pour les raisons qui vont suivre, Chaos, histoires secrètes de la guerre des droites, de Frédéric Lefebvre, figurait en haut de ma liste.

Octobre 2005. Je suis licenciée de mon poste d’assistante de direction par mon employeur, l’UMP, au terme d’un long processus qui ne comptera pas moins de quatre entretiens -trois préalables et celui m’annonçant la décision- tous plus surréalistes les uns que les autres. Mon dernier interlocuteur, le moins gradé, m’informe que la décision finale a été prise par Frédéric Lefebvre, qui devient par là même mon coupeur de tête.

L’idée aurait été de sacrifier une petite employée travailleuse et tranquille afin de menacer les autres permanents. Autrement dit, faire régner la terreur sur le personnel de l’UMP afin que tout le monde marche au pas. Un licenciement préventif destiné non pas à me sanctionner de fautes que j’aurais commises -le dossier était d’ailleurs vide…- mais à servir d’avertissement à des permanents qui aiment s’appeler ainsi parce qu’eux le sont quand les politiques passent. D’autres sources me « confirmeront » que Frédéric Lefebvre est à l’origine de cette idée machiavélique pour mâter les troupes.  Minority report, en pire : la condamnation de quelqu’un qui n’a rien fait pour éviter que d’autres ne commettent des méfaits. Ubuesque.

Cette histoire personnelle, sur laquelle je ne souhaite pas m’étendre car personne ne peut réellement le comprendre si ce n’est ceux qui ont vécu le même genre de mésaventure, marque le point culminant de la violence que j’ai pu subir dans ce milieu. Il en restera une blessure profonde : celle d’avoir été catégorisée par des gens -anonymes, bien sûr- comme étant d’un camp, ce alors qu’ils ne me connaissaient même pas : j’étais une petite main, reconnue comme faisant bien mon travail -ce qui n’a pas toujours été le cas de tous les permanents de partis- et ne bougeant pas une oreille. Par quel truchement suis-je devenue un danger ? Par l’affrontement fratricide de deux camps. Par le jeu des circonstances. Parce que tout simplement, j’étais au mauvais endroit, au mauvais moment. Au mauvais poste, aussi. Celui de la mouche à merdes.

Malgré ses ailes coupées, la mouche a survécu. Merci à mes vétérinaires.

Il y a quelques années, j’ai redécouvert Frédéric Lefebvre, par le biais de Twitter. Sa nouvelle manière de faire de la politique, loin du rôle de porte-flingue de Nicolas Sarkozy, un rôle auquel on l’a trop souvent réduit. Moi la première, je lui en ai mis plein la gueule. Il est probable que ce blog compte quelques anciens articles en ce sens. Parce que je lui en ai voulu. Profondément. Sans haine. Mais dans une opposition à un camp qui m’avait tant fait souffrir.

J’étais alors encore dans l’incompréhension face à la violence inouïe et totalement démesurée qui s’est déchaînée sur la mouche que j’étais : assistante de direction au service des jeunes, je n’avais aucun pouvoir, j’étais au plus bas dans la hiérarchie des petites mains, autrement dit je ne menaçais personne. Et surtout pas l’accession inéluctable au pouvoir de Nicolas Sarkozy. Et c’est précisément pour cela que c’est tombé sur moi.

Pourtant, lorsque j’ai redécouvert Frédéric Lefebvre, j’ai eu envie de m’intéresser à sa manière d’envisager son rôle d’élu comme celui d’un politique libre. Comment cet homme pouvait avoir changé ? Qu’est ce qui expliquait ce virage dans sa pratique de l’exercice politique ? Cela m’intriguait, précisément parce qu’il avait par le passé suivi aveuglément Nicolas Sarkozy. J’avais envie de comprendre les ressorts de cette mutation.

Nous avons commencé à échanger. Oh, je ne me suis pas gênée pour lui rappeler qu’il m’avait virée. Il a été étonné, et m’a pudiquement dit ne pas se rappeler d’avoir commis cet acte alors qu’il gardait un bon souvenir de moi. Je l’ai senti sincère et j’en ai été la première surprise. Alors, j’ai poursuivi les échanges et je me suis intéressée à sa mue. En constatant la réalité de sa transformation, je l’ai pardonné, sans le lui dire.

Avril 2018. Alors que je suis environ à la moitié de Chaos, histoires secrètes de la guerre des droites, écrit par Frédéric Lefebvre, l’évidence me saute à la figure : ça ne peut pas être lui qui a pris la décision finale. C’est impossible pour des raisons techniques et humaines. Je lui envoie donc un message pour lui faire part de cette conviction. Et il me le confirme : il n’a pas été ce bras armé et encore moins l’inventeur de ce stratagème qui a fait une victime : la mouche, moi.

En plus d’être immonde, celui qui a pris cette décision n’a même pas eu le courage de l’assumer et a fait porter le chapeau à un autre. On n’est décidément jamais à court de mauvaises surprises, dans la guerre des droites. C’est bien la première fois que je pardonne quelqu’un d’un méfait qu’il n’a pas commis et c’est assez cocasse. Mais l’honnêteté intellectuelle m’oblige : après tout ce que je lui ai mis dans la tête durant ses années Sarkozy -du jour où la Sarkozie a décidé que j’étais contre eux, je le suis assez naturellement devenue…- il mérite que je le réhabilite par les mêmes moyens.

Ce long préambule explique pourquoi, a priori, je ne portais pas Frédéric Lefebvre dans mon cœur et comment, par son seul comportement politique, j’ai évolué très favorablement dans la perception que j’ai de lui.  C’était nécessaire. Et rien de tel que la lecture de Chaos, histoires secrètes de la guerre des droites pour vous en convaincre.

Ce témoignage d’un homme qui s’est engagé très tôt, est dense et passionnant. Et il mérite vraiment que l’on s’y arrête. A travers son histoire personnelle, évoque son parcours politique, de ses années Sarkozy (mais pas seulement) à son choix d’être un élu libre, guidé par ses seules convictions. Au-dessus des partis, dans le sens où le parti ne dirige pas ses votes et c’est heureux : le mandat de parlementaire n’est pas impératif, c’est l’article 27 de la Constitution qui le dit ! A l’heure où l’on nous parle du changement des usages et des pratiques dans la vie politique -avec notamment la loi Confiance, votée à coups de flonflons et trompettes après l’accession à la présidence de la République d’Emmanuel Macron, je vous engage à découvrir ce qu’est réellement la modernité de la pratique politique, en lisant un homme qui la pratique au quotidien.

Mais ce livre, c’est avant tout une histoire d’amour. Pour sa femme, d’abord, et pour ses enfants. Au fil des pages, on comprend à quel point leur indéfectible soutien est capital. Leur amour pour lui alors que la politique le leur vole. C’est touchant et profondément humain. Une histoire d’amour avec la politique, aussi. Son parcours, très détaillé, évoque son engagement et ce que lui ont apporté ceux qu’il a pu côtoyer depuis tant d’années. Mais aussi, les convictions qu’il s’est forgé et la manière dont il s’est employé à les servir, à travers tant d’actions concrètes qui mettent en lumière le travail des élus sur le terrain, hélas méconnus de nos concitoyens. Une histoire d’amour pour la France et le monde, et plus largement, pour l’humanité.

L’autre grand intérêt du livre, c’est l’analyse politique livrée sur les guerres intestines auxquelles se livrent la droite depuis des décennies, véritable antichambre de sa dissolution dans la ligne Buisson. Car aujourd’hui, la droite, qui a délaissé le débat d’idées, se résume à quelques formules marketing destinée à promouvoir une ligne brune inquiétante. Frédéric Lefebvre livre en plusieurs chapitres une enquête fournie et circonstanciée sur la stratégie de rapprochement avec l’extrême droite poursuivie par Laurent Wauquiez, destinée à la conquête du pouvoir. Une mise en œuvre relativement peu apparente aux yeux du grand public, mais bien réelle dans les tréfonds des réseaux. C’est incontestablement l’un des points forts de l’ouvrage que de le mettre en lumière, avec précision.

Au fil des pages, le lecteur ressentira enfin toute la douleur de Frédéric Lefebvre dans la fin de sa relation avec Nicolas Sarkozy, qui l’a particulièrement maltraité. Ces pages plus sombres sont aussi un témoignage de la violence qui peut s’exercer dans ce milieu, hélas trop souvent, quand les hommes perdent toute notion d’humanité par goût du pouvoir. Dont ils ne font pas toujours grand-chose… Et à quel prix : celui de sacrifier des gens, petites mains ou fidèles, vouées aux gémonies pour avoir commis l’outrage de penser parfois différemment et de voter selon ses convictions au lieu de suivre bêtement les consignes du parti.

Ces pages-là m’ont touchée. En raison de mon histoire, bien sûr. Lire ses souffrances m’a rappelé les miennes et il m’est pénible de constater l’existence d’autres victimes, même si j’ai bien conscience qu’il y en a un paquet d’autres. Cela me rapproche évidemment de l’homme : bien que nos situations soient très différentes, nous avons en commun d’avoir vécu des choses difficiles et de pouvoir nous comprendre.

Mais le plus important, c’est de transformer cette violence subie en quelque chose de positif. Frédéric Lefebvre est resté humaniste, malgré tout. Il n’a pas sombré dans la haine, il a su trouver la force de dépasser tout cela pour mettre ce qu’il était intrinsèquement au service de l’action publique. Fidèle à lui-même, loyal à ses valeurs. C’est en cela que ce livre a tant résonné en moi. Parce que cet ouvrage traduit un espoir : non, nous ne sommes pas condamnés à nous coucher devant un système dont tout le monde a conscience qu’il doit changer.

Au contraire, c’est parce que nous avons connu les pires travers des coulisses du pouvoir que nous devons rester en politique : pour être nous-mêmes les acteurs de ce changement et éradiquer ces pratiques. Pour lutter contre les haines fratricides qui se jouent dans la conquête du pouvoir et remettre de l’humanité en lieu et place de la politique politicienne. C’est exactement pour cela que malgré le dégoût que m’a inspiré cette violence, j’ai choisi de poursuivre mon engagement.

Vous me direz que je suis utopiste, et c’est en partie vraie. Mais l’exemple de résilience de Frédéric Lefebvre démontre que c’est possible, pour un peu qu’on le veuille. Agir, plutôt que réagir, tel est le maître mot.

Hein, quoi, les députés gagnent 24 000 € par mois ???

Bien sûr que non.

Avant d’aller dire à la machine à café que « vraiment, ces députés sont des nantis », je vous demande de tourner sept fois votre langue dans votre bouche. Et de mettre ce temps à profit pour aller lire les explications de notre amie @ProjetArcadie, qui fait un boulot extraordinaire pour décrypter les coulisses du Parlement, ainsi que les nombreux liens qu’elle a compilés.

Ainsi, vous pourrez vous forger une opinion plus complète, au lieu de faire de l’antiparlementarisme de base, sous prétexte que vous aurez crû tout ce que racontait la télé.

Plongée en Rase Campagne

9782709659598-001-xHasard ou coïncidence, c’est au moment où Alain Juppé prend la parole pour annoncer qu’il ne sera (toujours) pas candidat à cette présidentielle folle que j’écris ces lignes.

Toujours pas remise des 20 et 27 novembre 2016 et du #PenelopeGate. Deux jours après, aussi, une table ronde passionnante sur l’émotion et la décision en politique à laquelle participait justement Gilles Boyer.

Emotion qui me submerge à l’heure où le Patron renonce et où je ressens un double sentiment contradictoire : l’immense fierté de mes 15 ans de petit militantisme, faits de loyauté et de fidélité à Alain Juppé, mêlée à la tristesse de constater une fois de plus la hauteur de vue de cet homme d’Etat dont la France a besoin et dont la droite ne veut pas. Regrets éternels pour la France que de la savoir ainsi privée de son meilleur atout.

Emotion qui m’a submergée aussi à la lecture de Rase Campagne, de Gilles Boyer*, qui raconte les deux années durant lesquelles l’auteur a dirigé la campagne d’Alain Juppé pour la primaire de la droite. Primaire perdue, donc. Juppéiste Canal Historique (hystérique ?) tendance #SansJuppeOnEstAPoil, j’avais toutes les raisons de me jeter sur Rase Campagne. Parce que j’ai participé à cette campagne de l’intérieur et de l’extérieur mais surtout, parce que j’aime profondément Gilles Boyer. Etrange sensation de découvrir qu’en fait, c’est son propre livre qui explique le mieux pourquoi.

20 août 2014. Alain Juppé se déclare candidat à la primaire. 27 mois plus tard, il la perd. Entre les deux, Gilles Boyer dirige la campagne. En temps que collaborateur « le moins éloigné » du Patron, il a la charge de le faire gagner. Mais il perdra. Comment ? Pourquoi ? Autant de questions que se posent l’auteur dans ce livre.

L’intérêt de l’ouvrage réside en trois points. D’abord, c’est un retour de l’intérieur sur une aventure hors norme. Qu’un directeur de campagne perdant se livre à une autopsie chirurgicale d’une défaite politique quelques jours à peine après le résultat mérite que l’on s’y attarde tant c’est exceptionnel. Réaliser cette analyse à froid alors que le résultat est encore chaud témoigne en outre de l’exceptionnel capacité de Gilles Boyer à prendre de la distance par rapport aux événements. Une qualité essentielle dans son métier de conseiller. Inconsciemment, il démontre qu’il était l’homme de la situation.

Comment peut-il alors croire une seconde être responsable de la défaite ? L’homme est humble et sait prendre sa part de responsabilité. Ne cherchons pas là d’explications psychanalytiques de comptoir : c’est dans l’ADN juppéiste que d’adopter de tels comportements. Chez les vrais, il s’entend. Pour autant, est-il coupable ? Bien sûr que non. Et bien qu’il prenne dans Rase Campagne sa part de responsabilité, il y a bien trop de paramètres sur lesquels il n’avait aucune prise pour porter cet échec et accessoirement, il n’était pas non plus tout seul dans le bateau. D’où la question qui le taraude : au fond, son métier est-il encore utile ? Bien sûr qu’il l’est.

Ensuite, quiconque s’intéresse à la politique aura pu remarquer que 2017 est une année électoralement folle. Plus rien n’est certain. Les techniques de gestion de campagne sont en train de changer. Gilles Boyer explique précisément que tout ce qu’il sait de son métier est désormais dépassé, que le logiciel a changé. Que tous ses repères ont disparu et qu’il va falloir en trouver de nouveaux pour répondre à l’attente des Français, qui a évolué. Il se sert de cet argument pour se mettre hors-jeu mais c’est bien sûr un artifice que ne renierait pas un renard des surfaces.

Parce que l’homme vit, boit, mange, respire et dort (parfois) politique. C’est son monde. A la fois sa respiration et l’amour de sa vie. Celui vers lequel, en dépit de quelques infidélités, il reviendra toujours. Une drogue dure dont on croit pouvoir se passer pour toujours y replonger. Aussi, si Gilles Boyer quitte le monde des apparatchiks, il reste bel et bien en politique et tentera d’être transféré au FC Députés dès le prochain mercato, puisqu’il sera candidat aux législatives dans la 8ème circonscription des Hauts-de-Seine. M’est avis qu’il ne restera pas sur le banc de touche…

Enfin, c’est un livre profondément humain. L’auteur se raconte et raconte son métier avec une pudeur, une affection et une justesse qui ne peut que toucher. L’homme est pétri de principes aussi l’ouvrage est toujours correct : il ne balance pas, il raconte. Ses propres turpitudes. Ses propres tourments. Dans Rase Campagne, Gilles Boyer parvient à trouver le ton juste, à bonne distance, pour raconter sa campagne tellement mieux que ceux qui ont parfois tenté de le décoder, sans jamais y arriver.

L’homme est aussi à mourir de rire : de ce côté là, Rase Campagne n’est pas en reste et fait le plein d’autodérision et de drôlerie, notamment avec ses hilarantes notes de bas de page. Il sait aussi décocher quelques flèches, très subtilement, sans jamais oublier de s’en tirer quelques-unes.

Pour toutes ces raisons, Rase Campagne est un must-read pour tous les passionnés de politique mais aussi pour ceux qui n’y connaissent rien et qui découvriront ce monde décrit avec une profonde affection par son meilleur amant. Au final, ce livre est à l’image de Gilles Boyer : très bien écrit, distancié, honnête, pudique, attachant. A ne manquer sous aucun prétexte.

*Gilles Boyer est également auteur de Un Monde pour Stella (2015), un roman passionnant sur l’avenir de notre planète, et coauteur avec Edouard Philippe de deux polars géniaux se déroulant dans l’univers politique, Dans l’Ombre (2011) et L’Heure de Vérité (2007) et auquel devrait succéder un tome 3 à une date de plus en plus hypothétique, en dépit de mes pressions répétées, ce qui démontre mon haut degré d’influence sur les auteurs.