Jeudi 15 décembre, 10h30. Déjà trente minutes que le président Pauthe lit le jugement rendu par son tribunal.
Jacques Chirac est reconnu coupable d’abus de confiance, détournements de fonds publics et prise illégale d’intérêt et condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis pour avoir « multiplié les connexions entre son parti et la municipalité parisienne » et « manqué à l’obligation de probité qui pèse sur les personnes publiques au mépris de l’intérêt général ». C’est ce que retiennent les médias du jugement.
Dans un communiqué, l’ancien président s’en félicite : « Je me réjouis, comme je l’avais toujours demandé, que mes collaborateurs de l’époque ne soient pas pénalement sanctionnés. J’étais le Maire. C’est à moi et à moi seul d’assumer. » Non seulement le procès n’a pas été ajourné, mais c’est bien Jacques Chirac et lui seul qui a été reconnu responsable. Conformément à ce qu’il avait souhaité dans la lettre qu’il avait adressée au président du tribunal le 2 septembre dernier.
Tout en rappelant : « sur près de 470 emplois examinés, il n’en reste, après des années de procédure, que 19 qui me sont imputés et encore partiellement. » Pourtant dans le détail, Jacques Chirac bénéficie d’une relaxe partielle. Sur 28 emplois retenus par le tribunal pour le procès, sur un total de 470 étudiés, 9 sont écartés par le Tribunal. Soit une relaxe sur un tiers d’entre eux. Et sur les 19 restants, certaines embauches sont considérées comme parfaitement valides, l’emploi étant devenu fictif au fil du temps lorsque l’employé ne se présentait plus. Etait-ce bien au maire de vérifier si l’ensemble de ses employés pointaient ? En conséquence, Jacques Chirac «l’affirme avec honneur : aucune faute ne saurait m’être reprochée. ».
Nombreux sont ceux aujourd’hui à se féliciter de la fin du système Chirac. Un système. 19 emplois sur 470, un système. 4% des emplois étudiés par le tribunal, un système. Quid des 96% restants ? La Mairie de Paris aurait-elle fonctionné à 96% hors système ? C’est bien évidemment ridicule, et une fois encore, les petits Robespierre ont un bel os à ronger. Mais ces chiens se rendent-ils compte du réflexe purement pavlovien qu’ils adoptent ? Peu importe que leur raisonnement soit malhonnête, il leur permet de satisfaire leur besoin de vengeance, en vertu du syndrome Louis XVI, qui exige que l’on guillotine l’ancien puissant au nom précisément de cette puissance passée.
Auront-ils vu que le tribunal n’a fait que suivre les volontés exprimées par Jacques Chirac dans sa lettre adressée président du tribunal le 2 septembre dernier ? Il souhaitait notamment voir son procès aller jusqu’à son terme, et « assumer ses responsabilités ». Enfin, il avait rappelé « son attachement à un des principes qui fondent notre pacte républicain et qui veut que tous les français soient égaux face à la justice ». Le tribunal a tenu compte de ses demandes. Le justiciable Chirac n’a pas échappé à la justice, elle l’a même entendu.
Car ce procès, Jacques Chirac le voulait. Contrairement à ce que ses détracteurs, les petits Robespierre, avaient prétendu, non seulement Jacques Chirac s’est toujours tenu, dès la fin de son immunité présidentielle, à la disposition de la justice, mais il tenait à ce que la justice puisse se faire, qu’elle soit la même pour tous, et l’avait rappelé dans cette lettre au tribunal. Les chiens qui hurlent avec la caravane de la vindicte populaire se sont trompés là-dessus, comme sur le fait que le procès ait lieu –que n’a-t-on entendu sur le fait qu’il serait ajourné !- et même sur la condamnation, les mêmes ayant jugé dès les débats que l’ancien président serait relaxé… Sur tous les plans, ils ont hurlé, et sur tous les plans, ils se sont trompés. Justice a été faite.
Bien que blessé par certains termes du jugement, un peu sévères, l’ancien président n’a pourtant pas fait appel. S’il reconnaît ne plus en avoir la force – « Je n’ai plus hélas toutes les forces nécessaires pour mener par moi-même, face à mes juges, le combat pour la vérité »– il met surtout en avant son souci de l’intérêt supérieur de nos institutions : « J’ai conscience aussi que ce qui est en jeu ce n’est pas seulement l’honneur d’un homme, mais la dignité de la fonction présidentielle que j’ai assumée depuis. Et je crois qu’aujourd’hui le respect de nos institutions exige que l’apaisement vienne ».
Nos institutions. Face au attendus de ce jugement, comment ne pas penser à l’avenir ? Ce procès Chirac ayant fait un précédent, ses successeurs savent désormais à quoi s’en tenir : s’ils sont mis en cause par la justice, ils passeront par la case tribunal, et ce rapidement après la fin de leur immunité présidentielle.
Nombreux étaient ceux à avoir hurlé qu’il serait relaxé au motif que le procureur avait demandé la relaxe. Mais de qui dépend le procureur ? Cette hiérarchie là cherchait-elle à préserver l’ancien président, ou le futur ex président ? Et depuis quand le président du tribunal suit il obligatoirement le réquisitoire d’un procureur ? Les mêmes qui aujourd’hui, braillent sur la thématique de la lenteur de cette procédure, ou sur le fait que l’ancien président soit membre de droit au Conseil Constitutionnel. Les petits Robespierre sont de sortie, mais pour quelle réalité ?
D’une part, la procédure a été longue en vertu du droit. En tant que président de la République, Jacques Chirac bénéficiait d’une immunité présidentielle qui couvrait les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions, et interdisait les poursuites pendant la durée du mandat présidentiel pour les actes commis hors de ses fonctions. Il ne pouvait donc, en vertu du droit, être jugé avant d’avoir achevé ses mandats de président de la République. Entendu par la justice dès juin 2007, soit un mois après l’expiration de son mandat, on ne peut pas dire que la justice ait traîné à reprendre son cours.
Mais les petits Robespierre ont le chicot dur et ne relâchent pas ainsi une proie tenue pendant des années, qui leur a permis de se faire tant de publicité. En mal d’os à ronger, ils renchérissent déjà sur le Conseil Constitutionnel. Notamment par leur chef de meute, Eva Joly, candidate à la présidentielle en mal de sondages favorables et donneuse de conseil en chef, qui appelle l’ancien président à démissionner du Conseil Constitutionnel. Hum… La candidate verte à la plus haute fonction de l’Etat devrait relire la Constitution -dont elle aspire à devenir la garante en vertu de l’article 5 de ladite Constitution- et notamment son article 56 : il n’est pas possible pour un ancien Président de démissionner de la vénérable institution.
En revanche, au lieu de ronger son os jusqu’à s’en étouffer avec, elle pourrait faire preuve d’honnêteté intellectuelle, et reconnaître que Jacques Chirac s’est mis lui-même en congé de cette institution avant son procès. D’autant que contrairement à l’idée répandue, il ne touche plus de traitement à ce titre. Non, Jacques Chirac n’est pas un Sage fictif ! Même si légalement il pourrait y retourner, il est peu probable qu’il le décide, pour les mêmes raisons qui l’avait amené à s’en éloigner.
Reste de nombreuses questions qu’il appartiendra au législateur de trancher. D’une part, naturellement, se pose la question du statut juridique du Chef de l’Etat. Non seulement le Chef de l’Etat est, à l’heure actuelle, dispensé de devoir répondre à la justice durant le temps de son mandat –ce qui allonge le traitement des affaires en cours par la justice et c’est un point aujourd’hui en débat-, mais en outre, deux jurisprudences récentes posent problème :
- Celle qui étend l’irresponsabilité reconnue par l’article 67 de la Constitution aux actes effectués au nom de président de la République par ses collaborateurs (décision du Parquet de Paris du 25 oct. 2010). Il va de soi que ce n’est pas au Parquet d’interpréter la constitution et qu’il faudra qu’une QPC ou une révision de la Constitution vienne préciser ce point.
- Celle qui autorise le président de République à intenter une action civile ou pénale contre une autre personne -par exemple au cas où il a été victime d’une escroquerie à la carte bancaire- au motif qu’il agit comme un citoyen ordinaire, ordinaire … sauf qu’il ne peut être lui-même condamné, ce qui viole le principe d’égalité des parties.
Cette dernière jurisprudence démontre bien que l’on tend à considérer le président comme un citoyen ordinaire, en lui permettant d’intenter une action. Il y a donc une véritable incohérence à ne pas permettre son jugement, en tant que citoyen ordinaire, pour des faits antérieurs à son mandat.
En outre, il faudra réformer l’article 56 de la Constitution, afin de préciser si les anciens présidents doivent toujours siéger automatiquement au Conseil Constitutionnel, et si oui, quels seraient les cas d’empêchement de cette fonction de membre de droit. Cette condamnation démontre la nécessité de gérer le vide juridique qui entoure une telle situation… d’autant que si Jacques Chirac décidera probablement de ne plus siéger, ce cas de figure peut en effet se reproduire à l’avenir. Autant le régler.
Enfin, il faudra s’attacher à résoudre les questions relatives à la séparation des pouvoirs, notamment entre l’exécutif et le législatif. En effet, il n’est plus tolérable, dans notre démocratie, que le Parquet puisse être soumis au pouvoir en place et que les doutes à l’égard du Parquet puissent jeter ainsi l’opprobre sur le bon fonctionnement de notre justice. Nombreuses sont les affaires à l’avoir mis en exergue ces derniers temps et d’ailleurs, le procureur Philippe Courroye devra prochainement en répondre. Là encore, il serait bon de renforcer nos institutions.
Certains candidats à la présidentielle proposent de telles améliorations. Dominique de Villepin, par exemple, plaide pour un Procureur Général de la Nation, nommé par le CSM et investi par le Congrès à la majorité des trois cinquièmes pour un mandat de sept ans non renouvelable. Il aurait une autorité hiérarchique et un pouvoir de nomination sur les procureurs généraux et les procureurs de la République, eux-mêmes indépendants du pouvoir politique. Le Garde des Sceaux gèrerait le budget et définira la politique pénale, mais ne pourra plus intervenir dans les dossiers, ni dans les nominations. Dans une telle configuration, la justice serait vraiment indépendante de l’exécutif.
Au final, cette décision de justice apporte une réponse dans un cas particulier, mais pose de nombreuses questions plus générales, qui devront être traitées. Faute de quoi, elle n’aura servi qu’à assouvir un besoin de vengeance symbolique du peuple sur un puissant. Si ce procès aura au moins servi à démontrer que dans notre démocratie, la justice est la même pour tous, il serait opportun d’en tirer les conséquences pour améliorer le fonctionnement de nos institutions. Voilà le défi qui attend aujourd’hui le législateur : la balle est dans le camp de l’actuelle majorité.