Bourgi ou l’art du service commandé

Plus c’est gros, plus ça passe, disait Jacques Chirac sur le ton de la boutade. En ce dimanche, Robert Bourgi n’y est pas allé avec le dos de la cuillère, mais plutôt avec le tank.

Dans ses révélations au JDD, bien opportunes, il a en effet affirmé avoir été porteur de valise pour Chirac et Villepin, leur apportant l’argent liquide des dirigeants africains, pour financer la campagne de Chirac en 2002.

La Françafrique, les réseaux Foccart, c’est un sujet en soi, que je ne vais pas traiter faute d’info réellement fiable sur le sujet : le vrai se mêle à l’intox depuis des décennies, loin de moi l’envie de m’y brûler les ailes. Non, ce qui m’intéresse plutôt, c’est le jeu joué par Robert Bourgi, et la campagne orchestrée contre les réseaux chiraquiens.

Bon, déjà, on peut rire de quelques formules de cette interview. Robert Bourgi nous apprend ainsi que le nom de code de Villepin était « Mamadou ». Franchement… il aurait pu trouver un prénom africain moins cliché, ça m’aurait paru plus crédible. Parce que celui-là, je pouvais l’inventer moi-même. La loi de la proximité ne fonctionne pas sur tout, Bob…

Sur l’info ensuite, Bourgi nous apprend qu’il a présenté Villepin aux chefs d’Etat africains en 1997. Ah parce que Villepin, entre 1995 et 1997, il se grattait les couilles ? Dis Bob, révise un peu : Villepin a été Secrétaire Général de l’Elysée dès 1995, et donc au cœur de la machine élyséenne et de sa politique africaine dès cette époque. Pour qu’on croit à cette pseudo info, il faudrait que les dates soient cohérentes…

Sur la méthode, ensuite. Je comprends l’envie de Bourgi de se faire un peu de promo dans la presse. Ce que je comprends moins, c’est pourquoi, s’il a des preuves de ce qu’il avance, il n’en parle pas à la justice. Sérieusement, c’est pas comme si en France on respectait le secret de l’instruction ! En parlant à un juge, ça se serait aussi retrouvé en Une. Alors, Bob, pourquoi ? T’as rien, c’est ça ?

D’autre part, si Bourgi a vraiment du biscuit, pourquoi ne pas l’avoir révélé plus tôt, par exemple lorsqu’il a tourné le dos aux chiraquiens pour mieux assurer sa survie en se vendant à Nicolas Sarkozy ? Les révélations tardives, qui plus est sans le moindre début de commencement d’une preuve, c’est toujours suspect.

D’autant que la dernière fois que quelqu’un a dit avoir vu quelque chose devant Villepin, y’a tellement pas eu de quoi fouetter un chat qu’il a été relaxé, malgré Courroye et le fait qu’il ait été présumé coupable par l’actuel locataire de l’Elysée himself -qui, par là même, se torchait avec la présomption d’innocence et la séparation des pouvoirs, un principe qui aurait nécessité qu’il la ferme sur une affaire judiciaire en cours, mais bon, ça doit être un détail ça, hein. C’était Clearstream, dont l’acte II s’est joué au printemps, et trouvera son issue mercredi prochain. Cette nouvelle affaire fleure bon le croc de boucher…

Enfin, sur toute boule puante sorti en pré-campagne présidentielle –et en toutes circonstances, de toutes façons- il convient de se poser une question : à qui profite le crime ? Et là, le lien avec Sarkozy est immédiat. Et ce même si le JDD oublie opportunément d’en parler, ce qui discrédite un peu plus ce journal. En effet, Bourgi n’est-il pas son conseiller officieux sur la politique africaine ? Manifestement, en la matière, la jurisprudence Bettancourt n’aura pas fonctionné : si Mamie Gaga avait laissé un gode en or sur sa table de chevet lorsqu’elle avait été interrogée par TF1, Robert Bourgi aura, lui, oublié de retirer le joli portrait de Sarko*.

Qu’une telle bombe sorte de la bouche d’un conseiller du président en exercice pose vraiment question : peut-on sérieusement imaginer que Bourgi parle sans son aval ? Soit l’actuel président n’a pas donné son accord, et dans ce cas il est incapable de contrôler ses conseillers –fussent-ils occultes-, ce qui témoigne de sa profonde incapacité à diriger le pays.

Soit il les instrumentalise, usant de la presse au lieu de s’adresser à la justice, ce qui est gravissime. L’article 40 du Code de Procédure Pénale est en effet clair à ce propos : Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. A ce que je sache, la Présidence de la République est une autorité constituée. Non ? Dans les deux cas, j’ai mal à la République.

D’autant que la boule puante a un double effet kiss cool : elle sert à affaiblir un adversaire… mais aussi à protéger son obligé. En la matière, le bouquin de Péan –La république des mallettes, qui sort par le plus pur des hasards le 14 septembre, jour du verdict dans l’affaire Clearstream- ne sera pas sans effet, les relations de la Sarkozie avec Ziad Takieddine étant franchement gênantes dans l’optique de 2012… et bien au-delà. En effet, elles ramènent bien vite aux contrats Sawari II et Agosta. Et donc à Karachi, dont l’ombre plane au-dessus de Sarkozy. De plus en plus bas…

[Edit : A la suite de cet article du JDD et au regard des accusations qu’il contient, Jacques Chirac porte plainte pour diffamation. A noter que l’ancien Président n’avait jamais usé de cette arme. Y’a un début à tout…

Deux heures plus tard, Dominique de Villepin annonce au journal de 20 heures de France 2 faire de même. Réaction sur Twitter de Bruno Jeudy, rédacteur en chef au JDD ci-dessus. Sérieusement, qu’espérait-il ?]

Tout ceci donne bien le ton de la campagne de 2012, et l’état d’esprit du président sortant. Au plus mal dans les sondages -quel que soit le candidat sortant des primaires, il ne tire aucun bénéfice de leur différence de score, et stagne à 22-23%- il a bien conscience que ce sera difficile pour lui de rempiler. Et comme toujours lorsque l’alarme sonne, Sarko perd ses nerfs.

Vision de court terme… et oubli de l’effet boomerang qui ne manquera pas de le frapper un jour. Ainsi va la politique politicienne. Et sinon la politique, on en fait quand ?

* Merci @The_M1 pour la Twitpic !