Le Tsunami : retour sur une présidentielle hors-norme

Après UMP, un univers impitoyable et Bal tragique à l’UMP, Le tsunami, chronique secrète d’une année politique pas comme les autres (Plon) est la troisième collaboration entre Jean-Baptiste Marteau et Neila Latrous, tous deux journalistes politiques spécialistes des droites françaises.

Après avoir raconté les coulisses de l’UMP dans le premier puis la rocambolesque élection à la présidence de l’UMP en 2012 dans le deuxième, ils se sont cette fois attelés à suivre ensemble, chacun pour leur média respectif (France 2 et BFM TV) la campagne présidentielle de 2017.

L’intérêt de cet ouvrage réside dans ce choix : celui de suivre à deux, chacun pour son média, la même campagne présidentielle, auprès du même candidat. Journalistes embarqués en immersion dans celle de Marine Le Pen, Jean-Baptiste Marteau et Neila Latrous ont vécu de l’intérieur les multiples rebondissements de cette campagne. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ça a secoué !

Ce troisième opus m’a semblé plus abouti que les précédents. Peut-être parce qu’il a été envisagé comme un livre dès le départ de cette aventure présidentielle. Peut-être aussi parce que les auteurs ont gagné en maturité. Peut-être enfin parce que cette année présidentielle fut complètement dingue. Ou alors, pour toutes ces raisons.

Quoi qu’il arrive, je vous le conseille : ce livre vous séduira à la fois par le rappel des épisodes d’une année politique pas comme les autres, mais aussi par le recul qu’il prend sur ce qu’est une campagne et comment elle est menée, tant par les professionnels de la politique que par les journalistes chargés de la relater.

Ce qui leur permet d’obtenir des off intéressants et donc, un éclairage nouveau sur certaines personnalités, comme Nicolas Sarkozy. En off, le président se déclare favorable à la GPA, ce qui est tout de même l’inverse de ses positions de meeting. De telles informations apportent un éclairage capital sur la présidentielle de 2017 et sur les stratégies choisies. Nicolas Sarkozy a fait le pari d’une dérive à droite pour retenter le hold-up de 2007, alors que ses propres convictions sont bien plus progressistes.

Pas de chance pour lui, c’est un candidat progressiste qui sera élu. Soyons honnêtes : à droite, Juppé avait préempté la thématique du progressisme. Et je reste persuadée que si Juppé l’avait emporté à la primaire, Macron n’aurait pas gagné la présidentielle. Ça n’est en effet qu’après sa défaite qu’il a repris et incarné bon nombre de ses idées… jusqu’à nommer à Matignon un de ses proches ! Dans cet ouvrage, les auteurs démontrent que finalement, lors de la présidentielle 2017, Nicolas est resté prisonnier de Sarkozy.

Autre élément passionnant, la campagne de Marine Le Pen. Les deux journalistes ont délibérément demandé à la suivre et à les lire, ils ont eu raison. Parce que si le Front National occupe aujourd’hui une place de poids sur l’échiquier politique, il reste mal connu des Français. Pouvoir le décrypter restait donc un exercice intéressant. A force d’anecdotes que les lecteurs auront plaisir à découvrir, Neila Latrous et Jean-Baptiste Marteau dépeignent un parti resté amateur dans sa gestion et de fait, incapable de mener une campagne électorale.

Que ce soit par pure paranoïa ou par incompétence, le parti de Marine Le Pen ne sait pas organiser des événements -hormis peut être le happening chez les Good Year dans l’entre-deux tours- et encore moins communiquer autour de sa campagne. Cet amateurisme éclatera aux yeux de tous lors du débat de l’entre-deux tours, pour lequel la candidate du FN n’a pas su se préparer. Comment alors espérer l’emporter ? Les deux journalistes ont parfaitement su montrer, au fil des pages, que ces failles organisationnelles portaient en elles les germes de la défaite. Tant que le FN ne se professionnalisera pas, les portes du pouvoir lui resteront fermées.

Enfin, les deux auteurs ont su prendre de la distance sur ce qu’ils ont vu dans cette campagne, sur ce qu’on leur a dit, sur leurs conditions de travail, sur les contradictions des candidats, sur leurs relations avec les candidats. Au fil des pages, ils racontent ces coulisses avec beaucoup de distance et livrent une vision mature et sans fausse naïveté de leur métier.

Pour toutes ces raisons, Le tsunami, chronique secrète d’une année politique pas comme les autres m’a passionnée. Je ne peux que vous encourager à vous le procurer et le lire au plus vite !

Références : Le Tsunami, Chronique secrète d’une année politique pas comme les autres, Jean-Baptiste Marteau & Neila Latrous, Ed. Plon, 2018, 316 pages.

Plongée en Rase Campagne

9782709659598-001-xHasard ou coïncidence, c’est au moment où Alain Juppé prend la parole pour annoncer qu’il ne sera (toujours) pas candidat à cette présidentielle folle que j’écris ces lignes.

Toujours pas remise des 20 et 27 novembre 2016 et du #PenelopeGate. Deux jours après, aussi, une table ronde passionnante sur l’émotion et la décision en politique à laquelle participait justement Gilles Boyer.

Emotion qui me submerge à l’heure où le Patron renonce et où je ressens un double sentiment contradictoire : l’immense fierté de mes 15 ans de petit militantisme, faits de loyauté et de fidélité à Alain Juppé, mêlée à la tristesse de constater une fois de plus la hauteur de vue de cet homme d’Etat dont la France a besoin et dont la droite ne veut pas. Regrets éternels pour la France que de la savoir ainsi privée de son meilleur atout.

Emotion qui m’a submergée aussi à la lecture de Rase Campagne, de Gilles Boyer*, qui raconte les deux années durant lesquelles l’auteur a dirigé la campagne d’Alain Juppé pour la primaire de la droite. Primaire perdue, donc. Juppéiste Canal Historique (hystérique ?) tendance #SansJuppeOnEstAPoil, j’avais toutes les raisons de me jeter sur Rase Campagne. Parce que j’ai participé à cette campagne de l’intérieur et de l’extérieur mais surtout, parce que j’aime profondément Gilles Boyer. Etrange sensation de découvrir qu’en fait, c’est son propre livre qui explique le mieux pourquoi.

20 août 2014. Alain Juppé se déclare candidat à la primaire. 27 mois plus tard, il la perd. Entre les deux, Gilles Boyer dirige la campagne. En temps que collaborateur « le moins éloigné » du Patron, il a la charge de le faire gagner. Mais il perdra. Comment ? Pourquoi ? Autant de questions que se posent l’auteur dans ce livre.

L’intérêt de l’ouvrage réside en trois points. D’abord, c’est un retour de l’intérieur sur une aventure hors norme. Qu’un directeur de campagne perdant se livre à une autopsie chirurgicale d’une défaite politique quelques jours à peine après le résultat mérite que l’on s’y attarde tant c’est exceptionnel. Réaliser cette analyse à froid alors que le résultat est encore chaud témoigne en outre de l’exceptionnel capacité de Gilles Boyer à prendre de la distance par rapport aux événements. Une qualité essentielle dans son métier de conseiller. Inconsciemment, il démontre qu’il était l’homme de la situation.

Comment peut-il alors croire une seconde être responsable de la défaite ? L’homme est humble et sait prendre sa part de responsabilité. Ne cherchons pas là d’explications psychanalytiques de comptoir : c’est dans l’ADN juppéiste que d’adopter de tels comportements. Chez les vrais, il s’entend. Pour autant, est-il coupable ? Bien sûr que non. Et bien qu’il prenne dans Rase Campagne sa part de responsabilité, il y a bien trop de paramètres sur lesquels il n’avait aucune prise pour porter cet échec et accessoirement, il n’était pas non plus tout seul dans le bateau. D’où la question qui le taraude : au fond, son métier est-il encore utile ? Bien sûr qu’il l’est.

Ensuite, quiconque s’intéresse à la politique aura pu remarquer que 2017 est une année électoralement folle. Plus rien n’est certain. Les techniques de gestion de campagne sont en train de changer. Gilles Boyer explique précisément que tout ce qu’il sait de son métier est désormais dépassé, que le logiciel a changé. Que tous ses repères ont disparu et qu’il va falloir en trouver de nouveaux pour répondre à l’attente des Français, qui a évolué. Il se sert de cet argument pour se mettre hors-jeu mais c’est bien sûr un artifice que ne renierait pas un renard des surfaces.

Parce que l’homme vit, boit, mange, respire et dort (parfois) politique. C’est son monde. A la fois sa respiration et l’amour de sa vie. Celui vers lequel, en dépit de quelques infidélités, il reviendra toujours. Une drogue dure dont on croit pouvoir se passer pour toujours y replonger. Aussi, si Gilles Boyer quitte le monde des apparatchiks, il reste bel et bien en politique et tentera d’être transféré au FC Députés dès le prochain mercato, puisqu’il sera candidat aux législatives dans la 8ème circonscription des Hauts-de-Seine. M’est avis qu’il ne restera pas sur le banc de touche…

Enfin, c’est un livre profondément humain. L’auteur se raconte et raconte son métier avec une pudeur, une affection et une justesse qui ne peut que toucher. L’homme est pétri de principes aussi l’ouvrage est toujours correct : il ne balance pas, il raconte. Ses propres turpitudes. Ses propres tourments. Dans Rase Campagne, Gilles Boyer parvient à trouver le ton juste, à bonne distance, pour raconter sa campagne tellement mieux que ceux qui ont parfois tenté de le décoder, sans jamais y arriver.

L’homme est aussi à mourir de rire : de ce côté là, Rase Campagne n’est pas en reste et fait le plein d’autodérision et de drôlerie, notamment avec ses hilarantes notes de bas de page. Il sait aussi décocher quelques flèches, très subtilement, sans jamais oublier de s’en tirer quelques-unes.

Pour toutes ces raisons, Rase Campagne est un must-read pour tous les passionnés de politique mais aussi pour ceux qui n’y connaissent rien et qui découvriront ce monde décrit avec une profonde affection par son meilleur amant. Au final, ce livre est à l’image de Gilles Boyer : très bien écrit, distancié, honnête, pudique, attachant. A ne manquer sous aucun prétexte.

*Gilles Boyer est également auteur de Un Monde pour Stella (2015), un roman passionnant sur l’avenir de notre planète, et coauteur avec Edouard Philippe de deux polars géniaux se déroulant dans l’univers politique, Dans l’Ombre (2011) et L’Heure de Vérité (2007) et auquel devrait succéder un tome 3 à une date de plus en plus hypothétique, en dépit de mes pressions répétées, ce qui démontre mon haut degré d’influence sur les auteurs.