Dimanche je voterai… François Hollande

Longtemps, je me suis demandée ce que j’allais bien pouvoir voter lors de cette présidentielle. En tant que ChiracoJuppéiste absolument pas convaincu par le bilan de Nicolas Sarkozy, je suis naturellement orpheline de candidat, faute d’un choix plus probant à droite.

Durant deux années, j’ai milité pour Dominique de Villepin, tout en doutant de ses capacités non pas de président, mais de candidat. La suite de l’histoire m’a d’ailleurs donné raison, puisqu’il ne s’est pas qualifié. N’étant représentée par personne, que faire ?

Nombreux ont été les amis à tenter de m’orienter vers deux candidats. D’une part, Nicolas Dupont Aignan. Au nom du gaullisme. Bon, j’ai toussé. De nos jours, aucun candidat n’est réellement gaulliste. Ce terme est tellement galvaudé par les profanateurs de croix de Lorraine que j’ai du mal avec ceux qui s’en prétendent.

Mais surtout, je déteste les petits candidats qui font des promesses qu’ils ne pourraient jamais tenir s’ils étaient élus. NDA nous propose de sortir de l’Euro. Mais alors, pourquoi chiffre-t-il son programme en Euro ? Pourquoi ne pas parler en francs et estimer la parité qui pourrait exister ? Parce que ça ferait mal ? Pour sûr. Lorsque j’en ai parlé à ceux qui me conseillaient NDA, j’ai tout de même eu droit à un argument collector : « OK, mais à part ça ? Il est gaulliste ». A part ça ? Ca ne me semble pas un détail…

On a aussi essayé de m’orienter vers Bayrou. Soit disant le plus proche de mes idées. Un de ses soutiens a même poussé le vice jusqu’à me dire qu’il était gaulliste. J’ai toussé aussi. Je me suis également demandé pourquoi  tout le monde tenait à utiliser avec moi l’argument du gaullisme. Sûrement un raccourci de plus en raison de mon parcours Chiraco-Juppéiste avec un passage chez Villepin. C’est très court, mais bon. C’est aussi ça les élections.

Revenons à Bayrou. Certains points du programme me séduisent. Mais voilà, ça ne me suffit pas. La présidentielle, dans notre Constitution, c’est avant tout la rencontre entre un homme et un peuple. Le programme fait partie de l’homme. Mais ne fait pas l’homme. Et en 2007, j’ai déjà voté Bayrou au premier tour. Pour quoi ? Pour que le soufflé retombe, que le Modem reste à 56k, et qu’il ne se passe rien pendant 5 ans. Jusqu’à la présidentielle.

Si encore Bayrou avait eu mieux à faire que de monter un parti, comme par exemple faire son job de député à l’Assemblée nationale, j’aurais pu me laisser tenter. Oui mais voilà… L’homme qui entend rendre la présence obligatoire au Parlement affiche un bilan en la matière… quasi nul. Encore une fois, je n’aime pas qu’on me prenne pour une truffe.

Cette situation, je l’avais anticipée dès l’été dernier. A l’époque, je venais de quitter Villepin, imaginant déjà qu’il n’irait pas au bout, et j’imaginais que peut être, Bayrou finirait par me convaincre. Mais faute d’en être certaine, je m’étais préparée à voter pour le candidat de gauche. J’ai donc participé à la primaire, pour choisir celui pour lequel je serais prête à voter sous réserve de sa qualification si au second tour le candidat PS venait à être opposé à Nicolas Sarkozy. J’avais choisi François Hollande.

Restait alors la question du premier tour. J’ai un temps envisagé l’abstention, faute de ne pas trouver de candidat qui me permette d’exprimer ma sensibilité. Non, NDA n’est pas proche de moi. Non, je ne suis plus dans le mood(em) de la génération orange, déçue de 2007. Et enfin non, je ne voterai jamais Nicolas Sarkozy. Question de principe.

J’ai d’ailleurs évoqué cette idée de m’abstenir sur Twitter. Certains retours m’ont outrée tant le politiquement correct a désormais envahi cet espace. J’ai eu de l’argument collector. Par exemple, « tes grand-mères se sont battues pour que tu puisses voter ». Non, mes grand-mères ne se sont jamais battues pour ça, merci de ne pas les mêler à ces clichés. Il y a eu de nombreuses batailles dans ma famille, mais pas celles-ci. En même temps, elles étaient toutes les deux en cloque.

J’ai aussi eu droit à « des gens sont morts pour qu’on puisse voter ». Euh… des gens sont aussi morts pour la monarchie. Et les gens qui sont morts pour qu’on puisse voter, c’était à quelle époque et avec quel résultat ? Nan je demande…

Bref, les gens ont globalement du mal à comprendre qu’il existe deux types d’abstentionnistes. Celui qui n’en a rien à faire de la politique et qui a la flemme de bouger jusqu’au bureau de vote. Et puis il y a celui qui ne trouve pas parmi les dix candidats quelqu’un qui lui convienne, qui sait que le vote blanc et nul n’est jamais commenté, et qui se dit qu’en s’abstenant, il aura un vrai poids. Il pourra faire passer son message. Et ça, c’est aussi de la politique. Toujours se souvenir qu’en toute chose il y a le champ et le contre-champ…

Bref, j’ai tergiversé. Réfléchi. Etudié la question. Et pensé à 2007. Cette année là, il était hors de question pour moi de voter pour Ségo –je n’avais pas été l’une des animatrices du site Segostop pour rien- et encore moins Sarko. Au premier tour, j’ai choisi Bayrou. Les terres du milieu. La génération orange. Qui m’a déçue ensuite, mais sur le coup c’était chouette. Et au second tour… j’ai voté Chirac.

Si c’était en 2007 l’expression d’une fidélité sans faille au président –j’ai toujours voté Chirac- ça n’a plus de sens aujourd’hui, même si ma fidélité à Chirac sera éternelle. Elle est simplement plus affective que politique depuis qu’il est retiré des affaires, ce qui ne lui accorde plus vraiment de place sur un bulletin de vote.

Reste alors le plan B. Celui pour lequel j’ai voté lors de la primaire socialiste en octobre dernier. Lorsque j’ai fait le choix d’y participer, c’était précisément pour me donner une chance de « choisir » le socialiste qui pourrait figurer au second tour… dans l’idée de voter pour lui contre Nicolas Sarkozy.

Aujourd’hui, je souhaite toujours le départ de Nicolas Sarkozy, au terme d’un quinquennat à mes yeux calamiteux sur bien des plans, notamment sur les libertés et les institutions (dont la réforme territoriale), sans parler de la déliquescence de la fonction présidentielle, de sa confusion avec l’UMP et même sa famille, de cette habitude de dresser les français les uns contre les autres, de voir des délinquants partout (y compris chez les chômeurs et les malades), d’user de l’appareil législatif à chaque fait divers, des pressions sur ceux qui le dérangent, et de flirter avec l’extrême droite. De nombreux articles sur ce blog expliquent mes divergences avec Sarkozy et bien qu’étant de droite, je ne mettrai jamais un bulletin portant son nom dans l’urne.

Et je veux voir face à lui celui qui dispose des meilleures chances de l’emporter, mais également de gérer la France. Donc, qualifier au second tour celui qui à mes yeux, et parmi ces dix candidats, est le meilleur. Bayrou m’ayant démontré ses limites en 2007 en terme d’équipes, je crois toujours que c’est François Hollande qui pourra non seulement battre Nicolas Sarkozy, mais aussi gouverner. Pour toutes ces raisons, je voterai dès le premier tour pour François Hollande.

Condamné, et après ?

Jeudi 15 décembre, 10h30. Déjà trente minutes que le président Pauthe lit le jugement rendu par son tribunal.

Jacques Chirac est reconnu coupable d’abus de confiance, détournements de fonds publics et prise illégale d’intérêt et condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis pour avoir « multiplié les connexions entre son parti et la municipalité parisienne » et « manqué à l’obligation de probité qui pèse sur les personnes publiques au mépris de l’intérêt général ». C’est ce que retiennent les médias du jugement.

Dans un communiqué, l’ancien président s’en félicite : « Je me réjouis, comme je l’avais toujours demandé, que mes collaborateurs de l’époque ne soient pas pénalement sanctionnés. J’étais le Maire. C’est à moi et à moi seul d’assumer. » Non seulement le procès n’a pas été ajourné, mais c’est bien Jacques Chirac et lui seul qui a été reconnu responsable. Conformément à ce qu’il avait souhaité dans la lettre qu’il avait adressée au président du tribunal le 2 septembre dernier.

Tout en rappelant : « sur près de 470 emplois examinés, il n’en reste, après des années de procédure, que 19 qui me sont imputés et encore partiellement. » Pourtant dans le détail, Jacques Chirac bénéficie d’une relaxe partielle. Sur 28 emplois retenus par le tribunal pour le procès, sur un total de 470 étudiés, 9 sont écartés par le Tribunal. Soit une relaxe sur un tiers d’entre eux. Et sur les 19 restants, certaines embauches sont considérées comme parfaitement valides, l’emploi étant devenu fictif au fil du temps lorsque l’employé ne se présentait plus. Etait-ce bien au maire de vérifier si l’ensemble de ses employés pointaient ? En conséquence, Jacques Chirac «l’affirme avec honneur : aucune faute ne saurait m’être reprochée. ».

Nombreux sont ceux aujourd’hui à se féliciter de la fin du système Chirac. Un système. 19 emplois sur 470, un système. 4% des emplois étudiés par le tribunal, un système. Quid des 96% restants ? La Mairie de Paris aurait-elle fonctionné à 96% hors système ? C’est bien évidemment ridicule, et une fois encore, les petits Robespierre ont un bel os à ronger. Mais ces chiens se rendent-ils compte du réflexe purement pavlovien qu’ils adoptent ? Peu importe que leur raisonnement soit malhonnête, il leur permet de satisfaire leur besoin de vengeance, en vertu du syndrome Louis XVI, qui exige que l’on guillotine l’ancien puissant au nom précisément de cette puissance passée.

Auront-ils vu que le tribunal n’a fait que suivre les volontés exprimées par Jacques Chirac dans sa lettre adressée président du tribunal le 2 septembre dernier ? Il souhaitait notamment voir son procès aller jusqu’à son terme, et « assumer ses responsabilités ». Enfin, il avait rappelé « son attachement à un des principes qui fondent notre pacte républicain et qui veut que tous les français soient égaux face à la justice ». Le tribunal a tenu compte de ses demandes. Le justiciable Chirac n’a pas échappé à la justice, elle l’a même entendu.

Car ce procès, Jacques Chirac le voulait. Contrairement à ce que ses détracteurs, les petits Robespierre, avaient prétendu, non seulement Jacques Chirac s’est toujours tenu, dès la fin de son immunité présidentielle, à la disposition de la justice, mais il tenait à ce que la justice puisse se faire, qu’elle soit la même pour tous, et l’avait rappelé dans cette lettre au tribunal. Les chiens qui hurlent avec la caravane de la vindicte populaire se sont trompés là-dessus, comme sur le fait que le procès ait lieu –que n’a-t-on entendu sur le fait qu’il serait ajourné !- et même sur la condamnation, les mêmes ayant jugé dès les débats que l’ancien président serait relaxé… Sur tous les plans, ils ont hurlé, et sur tous les plans, ils se sont trompés. Justice a été faite.

Bien que blessé par certains termes du jugement, un peu sévères, l’ancien président n’a pourtant pas fait appel. S’il reconnaît ne plus en avoir la force – « Je n’ai plus hélas toutes les forces nécessaires pour mener par moi-même, face à mes juges, le combat pour la vérité »il met surtout en avant son souci de l’intérêt supérieur de nos institutions : « J’ai conscience aussi que ce qui est en jeu ce n’est pas seulement l’honneur d’un homme, mais la dignité de la fonction présidentielle que j’ai assumée depuis. Et je crois qu’aujourd’hui le respect de nos institutions exige que l’apaisement vienne ».

Nos institutions. Face au attendus de ce jugement, comment ne pas penser à l’avenir ? Ce procès Chirac ayant fait un précédent, ses successeurs savent désormais à quoi s’en tenir : s’ils sont mis en cause par la justice, ils passeront par la case tribunal, et ce rapidement après la fin de leur immunité présidentielle.

Nombreux étaient ceux à avoir hurlé qu’il serait relaxé au motif que le procureur avait demandé la relaxe. Mais de qui dépend le procureur ? Cette hiérarchie là cherchait-elle à préserver l’ancien président, ou le futur ex président ? Et depuis quand le président du tribunal suit il obligatoirement le réquisitoire d’un procureur ? Les mêmes qui aujourd’hui, braillent sur la thématique de la lenteur de cette procédure, ou sur le fait que l’ancien président soit membre de droit au Conseil Constitutionnel. Les petits Robespierre sont de sortie, mais pour quelle réalité ?

D’une part, la procédure a été longue en vertu du droit. En tant que président de la République, Jacques Chirac bénéficiait d’une immunité présidentielle qui couvrait les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions, et interdisait les poursuites pendant la durée du mandat présidentiel pour les actes commis hors de ses fonctions. Il ne pouvait donc, en vertu du droit, être jugé avant d’avoir achevé ses mandats de président de la République. Entendu par la justice dès juin 2007, soit un mois après l’expiration de son mandat, on ne peut pas dire que la justice ait traîné à reprendre son cours.

Mais les petits Robespierre ont le chicot dur et ne relâchent pas ainsi une proie tenue pendant des années, qui leur a permis de se faire tant de publicité. En mal d’os à ronger, ils renchérissent déjà sur le Conseil Constitutionnel. Notamment par leur chef de meute, Eva Joly, candidate à la présidentielle en mal de sondages favorables et donneuse de conseil en chef, qui appelle l’ancien président à démissionner du Conseil Constitutionnel. Hum… La candidate verte à la plus haute fonction de l’Etat devrait relire la Constitution -dont elle aspire à devenir la garante en vertu de l’article 5 de ladite Constitution- et notamment son article 56 : il n’est pas possible pour un ancien Président de démissionner de la vénérable institution.

En revanche, au lieu de ronger son os jusqu’à s’en étouffer avec, elle pourrait faire preuve d’honnêteté intellectuelle, et reconnaître que Jacques Chirac s’est mis lui-même en congé de cette institution avant son procès. D’autant que contrairement à l’idée répandue, il ne touche plus de traitement à ce titre. Non, Jacques Chirac n’est pas un Sage fictif ! Même si légalement il pourrait y retourner, il est peu probable qu’il le décide, pour les mêmes raisons qui l’avait amené à s’en éloigner.

Reste de nombreuses questions qu’il appartiendra au législateur de trancher. D’une part, naturellement, se pose la question du statut juridique du Chef de l’Etat. Non seulement le Chef de l’Etat est, à l’heure actuelle, dispensé de devoir répondre à la justice durant le temps de son mandat –ce qui allonge le traitement des affaires en cours par la justice et c’est un point aujourd’hui en débat-, mais en outre, deux jurisprudences récentes posent problème :

  • Celle qui étend l’irresponsabilité reconnue par l’article 67 de la Constitution aux actes effectués au nom de président de la République par ses collaborateurs (décision du Parquet de Paris du 25 oct. 2010). Il va de soi que ce n’est pas au Parquet d’interpréter la constitution et qu’il faudra qu’une QPC ou une révision de la Constitution vienne préciser ce point.
  • Celle qui autorise le président de République à intenter une action civile ou pénale contre une autre personne -par exemple au cas où il a été victime d’une escroquerie à la carte bancaire- au motif qu’il agit comme un citoyen ordinaire, ordinaire … sauf qu’il ne peut être lui-même condamné, ce qui viole le principe d’égalité des parties.

Cette dernière jurisprudence démontre bien que l’on tend à considérer le président comme un citoyen ordinaire, en lui permettant d’intenter une action. Il y a donc une véritable incohérence à ne pas permettre son jugement, en tant que citoyen ordinaire, pour des faits antérieurs à son mandat.

En outre, il faudra réformer l’article 56 de la Constitution, afin de préciser si les anciens présidents doivent toujours siéger automatiquement au Conseil Constitutionnel, et si oui, quels seraient les cas d’empêchement de cette fonction de membre de droit. Cette condamnation démontre la nécessité de gérer le vide juridique qui entoure une telle situation…  d’autant que si Jacques Chirac décidera probablement de ne plus siéger, ce cas de figure peut en effet se reproduire à l’avenir. Autant le régler.

Enfin, il faudra s’attacher à résoudre les questions relatives à la séparation des pouvoirs, notamment entre l’exécutif et le législatif. En effet, il n’est plus tolérable, dans notre démocratie, que le Parquet puisse être soumis au pouvoir en place et que les doutes à l’égard du Parquet puissent jeter ainsi l’opprobre sur le bon fonctionnement de notre justice. Nombreuses sont les affaires à l’avoir mis en exergue ces derniers temps et d’ailleurs, le procureur Philippe Courroye devra prochainement en répondre. Là encore, il serait bon de renforcer nos institutions.

Certains candidats à la présidentielle proposent de telles améliorations. Dominique de Villepin, par exemple, plaide pour un Procureur Général de la Nation, nommé par le CSM et investi par le Congrès à la majorité des trois cinquièmes pour un mandat de sept ans non renouvelable. Il aurait une autorité hiérarchique et un pouvoir de nomination sur les procureurs généraux et les procureurs de la République, eux-mêmes indépendants du pouvoir politique. Le Garde des Sceaux gèrerait le budget et définira la politique pénale, mais ne pourra plus intervenir dans les dossiers, ni dans les nominations. Dans une telle configuration, la justice serait vraiment indépendante de l’exécutif.

Au final, cette décision de justice apporte une réponse dans un cas particulier, mais pose de nombreuses questions plus générales, qui devront être traitées. Faute de quoi, elle n’aura servi qu’à assouvir un besoin de vengeance symbolique du peuple sur un puissant. Si ce procès aura au moins servi à démontrer que dans notre démocratie, la justice est la même pour tous, il serait opportun d’en tirer les conséquences pour améliorer le fonctionnement de nos institutions. Voilà le défi qui attend aujourd’hui le législateur : la balle est dans le camp de l’actuelle majorité.

Alain Juppé, l’orgueil et la vengeance

Personne parmi les éditeurs et journalistes, n’avait vu venir le retour en grâce d’Alain Juppé, celui que l’on donnait mort depuis ce jour noir du 30 janvier 2004, lorsque le tribunal de Nanterre le condamna en première instance à une peine infamante, certes réduite en appel, mais qui jeta un voile noir sur la suite de sa carrière.

Personne… ou presque. Anna Cabana, la délicieuse, avait senti que l’homme finirait par accepter d’être un recours. Et s’est intéressé au pourquoi de ce positionnement : pourquoi accepter de revenir au gouvernement ? Et au-delà, quel avenir pour Alain Juppé, pour qui le champ s’est considérablement ouvert ? Qu’a-t-il envie de faire de ce nouvel engouement ? Autant de raisons d’interroger l’ancien Premier Ministre. En ressort Juppé, l’orgueil et la vengeance, un ouvrage passionnant, à lire absolument.

Pour Anna Cabana, l’attitude actuelle de Juppé correspond autant à son orgueil qu’à la manière qu’il peut avoir de se venger, d’où le titre de son ouvrage. Juppé n’est pas homme à quémander, mais il aime se faire désirer. Accepter immédiatement une charge, fusse-t-elle passionnante, serait baisser trop vite les armes face à un rival qu’il tient pour largement responsable de ses ennuis judiciaires. Mais pourquoi accepter in fine ?

Parce qu’il est LE recours. Sans lui, Sarkozy n’a plus aucun élément crédible dans son gouvernement, qui manque de hauteur. Fillon a été rabaissé à la position de simple collaborateur dès le début du quinquennat, et reste écrasé par un Sarkozy omni Premier Ministre à défaut d’être président. Dès lors, il faut une caution. Sarkozy a besoin de Juppé. Sarkozy ne peut se passer de Juppé. Tellement qu’il lui cède en sacrifiant Borloo lors du remaniement. Juppé de nouveau au centre du jeu. Parce que Sarko n’est pas assez fort tout seul. Parce qu’il ne peut en être autrement. Parce qu’il reste le meilleur d’entre nous.

Et ça, c’est Juppé. La cause de tous ses malheurs, mais aussi de ceux des autres. Quand Sarkozy trahit Chirac en rejoignant Balladur à l’automne 1993, c’est parce qu’il a compris que quel que soit son investissement auprès de Chirac, Juppé sera toujours le préféré. Conscient de ne point pouvoir avoir son heure autrement que dans l’ombre du fils préféré, l’homme pressé à jouer un autre cheval. Et s’est planté. Avant de reprendre sa course vers la plus haute marche du podium, sans hélas convaincre de sa capacité à présider. Et d’être obligé de rappeler Juppé. Echec et mat.

Mais il n’a pas été le seul à sous-estimer le poids de Juppé. Quand en juin dernier Villepin est profondément blessé en juin par la sortie de Jacques Chirac, ça n’est pas -contrairement à ce que les observateurs ont trop vite pensé- par son humour corrézien. Mais par la seconde partie de la phrase, qui limitait ce choix d’Hollande à une condition : « si Juppé n’y va pas ». Car si Villepin n’a jamais été souhaité la mise à l’écart de son ancien patron, il n’a pas hésité à s’en écarter très vite une fois devenu Premier Ministre. Se voyant enfin un destin, il a quitté le nid, adoptant parfois un comportement peu sympathique à l’égard de Juppé, comme le rappelle cruellement Anna Cabana, qui connaît bien les deux hommes.

Dix-huit ans après Sarkozy, quel soufflet pour Villepin que de constater que pour Chirac, Juppé est toujours resté l’héritier ! Telle est l’histoire de la droite. Telle est la vengeance de Juppé. Avouez qu’après les épreuves traversées, il a de quoi savourer son plaisir… Et après ? Il n’a renoncé à rien, mais qu’importe : en revenant en grâce, jusqu’à être sollicité pour se présenter, il a déjà tout gagné.

Les Fauves

Ce dimanche, France 2 diffusait enfin, après une première déprogrammation en mai, Les Fauves, le documentaire de Patrick Rothman consacré aux relations entre Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin.

Les deux hommes se connaissent depuis longtemps. Leur rencontre comme leur affrontement date de la campagne de 1993. Nicolas Sarkozy, alors membre du premier cercle de Jacques Chirac, dirigeait la cellule présidentielle de celui-ci depuis le printemps lorsqu’à l’automne, il décida de rejoindre le staff d’Edouard Balladur…

D’ailleurs tout le monde confirme dans ce documentaire le rôle prépondérant que tenait Nicolas Sarkozy dans cette campagne : cela aura probablement intéressé aussi le juge Van Ruymbeke ! Mais revenons à nos moutons, et au choix que fait alors le ministre du Budget en soutenant le Premier Ministre Balladur : une véritable trahison de la part de celui qui était si proche de Jacques Chirac. Qui déclenche l’arrivée dans le dispositif chiraquien de Villepin, alors directeur de cabinet d’Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères et meilleur d’entre nous.

L’affrontement de deux candidats à travers ces deux hommes. Tout au long de leurs carrières respectives, ils ne feront que se recroiser, se jauger, se juger…  sans jamais vraiment se détacher de cette campagne de 1995, véritable déchirure de la droite qui n’est pas encore totalement soignée. A partir d’images d’archives et de témoignages de politiques – François Baroin, Xavier Darcos, Jean-François Copé, Michèle Alliot-Marie, Jean-Pierre Raffarin-, Les Fauves retrace cette époque où se trouvent les racines du mal qui ronge encore la droite aujourd’hui : la guerre n’a jamais vraiment cessé entre balladuriens-sarkozystes et chiraquiens.

Ce documentaire n’apprendra rien à ceux qui ont vécu cette histoire, aucune information ne vienant s’ajouter aux faits déjà connus. Cependant, ceux qui n’appartiennent pas à l’un ou l’autre des états majors en apprendront beaucoup sur ces vingt dernières années de vie politique à droite. Et notamment sur le véritable caractère de Nicolas Sarkozy, homme politique brillant mais horriblement teigneux et revanchard… et qui trahit par deux fois : en 1993, en rejoignant Balladur, et en 2006, en sabotant le CPE de Villepin en allant négocier avec Bruno Julliard, président du syndicat étudiant UNEF.

Véritable négatif de La Conquête, le film sorti en mai qui évoque l’ascension de Nicolas Sarkozy sous un angle plutôt positif, Les Fauves ne passe rien à l’actuel locataire de l’Elysée… qui apparaît tel qu’il est : calculateur, et plein de rancœur. Là où au contraire, Villepin est apte à passer par delà leurs affrontements, le remettant même en selle pour réintégrer les cercles chiraquiens à l’aube de 2002. Non seulement Sarko est rancunier, mais il entend aussi tuer politiquement ceux qu’il accuse de ses malheurs, et Villepin le premier. Comme avec l’affaire Clearstream, derrière laquelle il voit une manipulation de Villepin. La justice tranchera : Villepin sera relaxé deux fois, en première instance comme en appel.

Alors Sarkozy est-il capable de jugement ou sacrifierait-il père et mère pour être président ? C’est bien la question qui se pose après la vision de ce documentaire. Coléreux, impétueux, irrespectueux, ne reculant devant aucune trahison pour faire avancer sa carrière, l’actuel président n’en ressort pas grandi. Les Fauvesun documentaire à voir et revoir, pour voter en conscience lors des présidentielles de 2012.

Bourgi, simple pion

Robert Bourgi, content de sa sortie dans le JDD, poursuit sa tournée médiatique, atteint par le virus du quart d’heure de gloire cher à Andy Warhol.

Non seulement il persiste et signe, en dépit des plaintes en diffamation posée par le Président Chirac et Dominique de Villepin, mais il sème au gré des plateaux télé de nouvelles révélations… toujours aussi peu crédibles.

Dès ce matin, sur Europe 1, il annonce ne disposer d’aucune preuve de ce qu’il avance. Hum, c’est embêtant. Surtout quand on vient de se prendre deux plaintes pour diffamation, une de Jacques Chirac, et l’autre de Dominique de Villepin. Et l’Ordre des avocats ne goûte guère cet humour là. Dans la journée, le bâtonnier diligente une enquête déontologique sur Robert Bourgi : Le bâtonnier rappelle que les principes qui gouvernent la profession d’avocat ne permettent en aucun cas de procéder aux actions telles que relatées dans la presse », indique-t-il dans son communiqué.

Pendant ce temps, Jacques Godfrain, ministre de la Coopération entre 1995 et 1997, remet les points sur les i dans une déclaration à l’AFP : « Lorsque Jacques Chirac m’a nommé à la Coopération, il m’a convoqué à l’Elysée et a été absolument formel. Il m’a donné pour consigne absolue de tenir Robert Bourgi à l’écart de tout ce qui concerne les questions africaines », a assuré à l’AFP M.Godfrain. « Dans ces conditions, je le vois mal laisser entrer Robert Bourgi dans son bureau à l’Elysée avec des valises et compter lui-même les billets. C’est totalement inimaginable », a-t-il jugé.

Suite de la tournée des plateaux TV avec BFM TV. Reçu par Ruth Elkrief, Robert Bourgi refait le coup du scoop, et révèle que Jean-Marie Le Pen aurait également touché des fonds d’Omar Bongo pour sa campagne présidentielle de 2008. Euh… pourquoi pas, mais alors, avec quel mobile ? Un peu plus tard dans la soirée, Le Pen démentira avec vigueur : « Si c’est M. Bourgi qui était chargé de me remettre les fonds il a du les garder pour lui. Je crois que la source doit être la même que celle qui disait qu’il faisait des passes au bois de Boulogne, mais je ne l’ai jamais cru ». Classe… Le vieux lion d’extrême droite a encore un sacré coup de patte.

Enivré par cette spirale médiatique, Bourgi enchaîne avec Le Grand Journal, où il réitère immédiatement ses accusations selon lesquelles il aurait remis 20 millions de dollars à Jacques Chirac : « J’ai vu de l’argent chez Chirac (mairie de Paris), chez Chirac à l’Elysée, dans le bureau de Dominique de Villepin. C’était pour financer la campagne de Chirac ». Sauf que Robert Bourgi est incapable de décrire le mode de transfert de ces fonds, et évoque des pièces sonnantes et trébuchantes. Sur 20 millions de dollars, il aurait fallu des containers de pennys… Nan parce que le coup du djembé, de Mamadou et de Monceau Fleurs, j’ai pas gobé. Ariane Massenet lui évoque alors les mallettes, et Bourgi aquiesque. Bon, on n’arrivera pas à savoir la forme de cette monnaie que Chirac et Villepin étaient censés compter dans leurs bureaux…

Cette non-réponse me rappelle ce grand moment énorme de télévision qui s’est passé il y a des années dans Ciel Mon Mardi, de Christophe Dechavanne. Alors qu’il reçoit sur son plateau Raël, gourou de la secte des raëliens, l’animateur a conscience qu’il risque de se prendre les pieds dans le tapis et de lui faire de la publicité. Raël prétendant avoir été enlevé par les extra-terrestres pendant six jours, Dechavanne poste une question simple : « Et pouvez-vous nous décrire leurs toilettes ? ». Le public rit, pensant à une blague. Sauf que Raël est incapable de répondre. L’animateur insiste, expliquant que la question n’est pas idiote, car en six jours sans, il est forcément allé au pipiroom… Ou comment le gourou, venu faire sa pub, s’est retrouvé totalement discrédité.

Bref, la crédibilité de Robert Bourgi tangue sérieusement dans cette affaire. Et ce n’est pas la première fois. Comme le rappelle l’AFP, au début de l’été, Robert Bourgi avait affirmé à plusieurs médias français avoir été réveillé dans la nuit du 27 au 28 juin par Karim Wade, le fils du président sénégalais Abdoulaye Wade, qui lui demandait d’appeler les plus hautes autorités françaises pour une intervention de l’armée française à Dakar, en proie à de violentes manifestations contre les coupures d’électricité. Karim Wade avait alors dénoncé des « élucubrations ».

Interrogé sur ses déclarations tardives, Robert Bourgi verse dans le pathos : « La prise de conscience prend du temps. Et personne n’est maître de ce temps. Ca me taraudait depuis un bout de temps ». Michel Denisot ne lâche rien –pour une fois- et lui demande ce qu’il porte à la boutonnière, en référence à sa légion d’honneur, puis qui lui a remise. Tout penaud, Robert Bourgi répond : « Jacques Chirac sur un quota de Renaud Dutreil avant l’accession au pouvoir de Nicolas Sarkozy ». Et là, c’est le flagrant délit de mensonge. Cette décoration a été demandé par Renaud Dutreil en 2005, et remise par Nicolas Sarkozy en 2007. La preuve : Le discours prononcé par Nicolas Sarkozy lorsqu’il a remis la Légion d’Honneur à Robert Bourgi été déniché par Médiapart… A lire, c’est savoureux. Surtout entre les lignes, hein. D’ailleurs les médias ne s’y sont pas trompés : France 2 a diffusé dès ce soir les images de la remise du ruban rouge… par Nicolas Sarkozy.

Et c’est bien sur le terrain de ses relations avec Nicolas Sarkozy que le discours de Robert Bourgi se trouble. Jean-Michel Apathie lui indique qu’il pourrait mentir, et Bourgi ne sait que répondre : « Moi je sais que je dis la vérité ». Un peu court… Lorsque Jean-Michel Apathie insiste, rappelant que dans son livre, Pierre Péan indique que Bourgi aurait versé de l’argent à Sarko, il dément. Et se retrouve bien dépourvu lorsqu’on lui demande pourquoi alors, lui dirait la vérité… Bourgi, poussé dans ses retranchements, demande alors les preuves de Péan. Le coup de grâce ne tarde pas à tomber lorsqu’on lui demande les siennes. Et là, tout devient confus, confus, confus… Les témoins, selon Bourgi, seraient tous morts. Hum, la grande faucheuse a vraiment le dos large…

Arnaud Montebourg, présent sur le plateau, conseille alors à Robert Bourgi d’aller voir la justice plutôt que les médias. Remarque on ne peut plus censée, j’en parlais hier. Gonflé, Robert Bourgi annonce alors se tenir à la disposition de la justice. Hum… A ce stade, le Parquet n’a lancé aucune enquête… Tout le monde pense que c’est parce que le chef suprême du Parquet est Nicolas Sarkozy. Oui, mais ça n’empêche pas une enquête préliminaire : au contraire, ça permet éventuellement d’enterrer le dossier, une méthode chère à Philippe Courroye. L’homme de la situation en pareil cas mais hélas il est en disgrâce tant au Château que dans sa corporation, et par conséquent, ce serait un peu trop voyant. Autre option, un juge est saisi, et là il faudrait faire en sorte que le juge ne soit pas trop indépendant comme c’est pourtant son job… Eviter Isabelle Prevost-Desprez par exemple. Bref, mêler la justice à cette histoire qui sent un peu trop le souffre, c’est compliqué.

D’autant que le but n’est pas là. L’objectif n’est pas de trouver la vérité, qui comme chacun le sait depuis X-Files, est ailleurs. Non, le but de la manœuvre est tout autre, et c’est une bien belle partie de billard à douze bandes. Observons un peu le calendrier, et arrêtons nous sur la date de mercredi, le 14 septembre. Hum… Mercredi, deux événements politiques se téléscopent : le verdict dans l’affaire Cleastream, et la sortie du livre de Pierre Péan, La République des mallettes.

En cas de verdict un peu trop clément au goût du Château pour Dominique de Villepin, ces révélations jetteraient de nouveau l’oprobe sur l’ancien Premier Ministre, qui n’a pas encore renoncé à se présenter à la magistrature suprême. Attention Nicolas, ça pourrait le pousser plus que l’arrêter… Pas dupe de la manipulation, Villepin, sur France 3, enfonce le clou sur les relations Bourgi/Sarkozy : « Bourgi se dit Conseiller de l’Elysée, interrogez donc l’Elysée sur cette sortie… ».

Vu le tollé provoqué par ces « révélations », on ne peut que constater l’assourdissant silence du Château, jusqu’à cette surprenante sortie d’Henri Guaino. Selon ce conseiller de Nicolas Sarkozy, Bourgi ne serait pas conseiller de Nicolas Sarkozy. Hum, qui de Bourgi ou Guaino ment ? L’Elysée prendrait-il ses distances, faute que la sauce ne prenne ? Tous aux abris ? Comme je le disais hier, Sarko a peut être mal évalué le second effet kiss cool de cette boule puante…

Et pourtant non. Car tout ceci n’est qu’un écran de fumée, la première boule de billard d’une partie à douze bandes. Et c’est la seconde partie qui va se jouer ce mercredi qui inquiète le plus l’Elysée. Dans La République des mallettes, sur le financement de la vie politique, Péan se lâcherait un peu trop sur Sarkozy… ce qui mettrait un sérieux caillou dans la chaussure de celui qui se réclamait de La République exemplaire. C’est sûr que ça fait tâche. Il y a donc urgence à éteindre cet incendie là, en noyant le poisson.

Finalement, la bombe de Bourgi ressemble à celle que ferait n’importe quel gamin dans une piscine : il saute, en cherchant à éclabousser le plus de monde possible, dans l’objectif de faire un maximum de dommages collatéraux. Parmi les gens de droite qui pourraient soutenir un candidat autre que Sarkozy –l’actuel président actuel n’aime pas l’humour corrézien-, se présenter eux-mêmes, ou avoir un de ses enfants en campagne. Totalement au hasard, donc. Et sans le moindre intérêt personnel pour l’actuel locataire de l’Elysée, il va de soi. Et la marmotte…

Vous connaissiez déjà Pinot, simple flic, voici Bourgi, simple pion. Petit soldat de la Sarkozie, envoyé pour déminer l’épineux bouquin qui pourrait empoisonner la campagne présidentielle. Avec en filigrane les relations entre Sarkozy et Alexandre Djhouri  -qui, comme le rappelait ce soir Alain Madelin sur BFM TV, a obtenu la tête de Jean-Marie Bockel, secrétaire d’Etat à la Coopération, et qui voulait… remettre en cause la Françafrique !- et Zaid Takkiédine qui elles, pourraient ramener à Karachi. Une toute autre bombe…