Le complexe de l’étoile

footPour sa dernière journée, l’Université d’été du Medef proposait un débat sur “Le sport, filière d’avenir”, auquel participait, entre autres, Bernard Lama, ancien gardien de l’équipe de France et champion du monde 1998.

Intelligent, censé et posé, Bernard Lama fait partie de ces footballeurs qui ont su faire fructifier leurs capacités intellectuelles parallèlement à leurs jolis muscles, et tirer quelque chose de leur expérience de sportif de haut niveau, notamment en matière de mental. Humble, il sait rappeler que « Le sportif de haut niveau, tous les jours il se remet en question, tous les jours il doit aller gagner sa place ».

Si c’est totalement vrai en club, où la compétition est acharnée, c’est nettement moins vrai dans l’équipe de France actuelle qui démontre le contraire en continuant de sélectionner et de titulariser un joueur en manque de réussite depuis près de 15 mois, Karim Benzema, et au sein de laquelle la plupart des cadres considèrent leur sélection comme acquise.

C’est là que pour moi, le bât blesse. Bernard Lama dépeint avec cœur et conviction ce qu’il a connu, à savoir son monde de 1998, avec ce formidable moment où tout un peuple a basculé dans l’allégresse lorsque la France a emporté la victoire finale et accroché sur son maillot sa première étoile. L’ennui, c’est qu’il est resté bloqué à cette date, sans réellement analyser ce qu’il s’est passé depuis.

Pour lui, « en 98 on gagne la coupe du monde et nous devenons les héros de la société, c’est là le problème ». Et pourtant non. Il n’y a pas de problèmes à être devenu des héros ou des modèles, certains joueurs étaient déjà des stars dans leurs clubs respectifs, d’autres le sont dans d’autres pays sans que leur sélection n’en pâtisse.

Le problème vient plutôt de l’exploitation de ce statut de héros par la sphère publicitaire, qui a peu à peu gangrené l’équipe de France et surtout profondément modifié le rapport des joueurs aux maillots. S’il restait naturel de faire fructifier leur statut de champion du monde, les héros de 1998 se sont gavés sur ce juteux marchés, ont passé beaucoup de temps à négocier des contrats et à user et abuser de la poule aux œufs d’or.

Tirant alors de forts revenus d’autres sources que leur métier et sport, leur rapport à l’équipe de France c’est profondément modifié. Devenus chers et demandés, la sélection nationale, peu rémunératrice en monnaie, est devenue une annexe moins attirante. Si entre 1998 et 2000 il était intéressant de tenter le doublé Coupe du monde / Euro, la période qui a suivi a été un vaste n’importe quoi. C’était tout juste si ce n’était pas à l’équipe de France d’être honorée d’avoir tel ou tel champion dans ses rangs.

La sanction prendra la forme d’une bonne douche froide lors de la Coupe du Monde 2002, qui verra les champions du monde en titre repartir la queue entre les jambes, dès le premier tour du mondial qu’elle quitte sans aucune victoire, affichant deux défaites et un match nul. 2004 ne sera pas vraiment plus brillant, la France quittant l’Euro en quart de finale face à la Grèce, qui remportera l’Euro, après une compétition qui ne restera pas dans les annales.

Mais le pire reste à venir. Le pire, qui intervient au meilleur moment : la finale de la Coupe du Monde 2006. C’est à ce moment, alors que la France pouvait accrocher sa seconde étoile, qu’elle est tombée dans un trou noir. Revenons sur ce match au cours duquel tout a basculé, créant un chaos dont aujourd’hui encore, sept ans après, l’équipe de France peine à se débarrasser.

Qu’on se comprenne bien : la France n’a pas perdu la Coupe du Monde 2006, l’Italie l’a gagnée. Contrairement à l’imaginaire collectif, qui cumule mauvaise foi et désamour des défaites avec le traumatisme du pétage de plomb de Zizou, l’Italie n’a volé personne. Ce serait même presque le contraire tant le pénalty qui offre à la France l’ouverture du score est généreux : Florent Malouda a effectué un superbe plongeon et sept ans après il est temps de le reconnaître, Materazzi n’a jamais touché Malouda. En outre, la France a été chanceuse puisque Zidane ose une panenka sur Buffon, mais c’est surtout la transversale qui marque.

La suite, vous la connaissez. Materazzi égalise au score, et on part pour de longues prolongations au cours desquelles les drames vont s’enchaîner : le claquage de Vieira, la tête de Zidane magnifiquement claquée par l’arrêt du siècle de Gigi Buffon, l’exclusion de Zidane pour coup de boule sur Materazzi, et enfin le tir au but de Trézéguet stoppé par la transversale (et non Buffon comme je l’avais précédemment écrit, victime de mon amour immodéré pour le grand Gigi) qui permet à l’Italie de remporter une quatrième étoile bien méritée.

Quid de la France ? Elle a raté le coche, se laissant prendre au piège de la pression des grandes finales, et c’est LE joueur phare de l’équipe, la tête de gondole –dans tous les sens du terme- qui a craqué. Pire, elle s’est enfoncée dans la suffisance, sans jamais se remettre en question. Zidane a arrêté sa carrière sur ce match, et l’idole n’a jamais été réellement questionné ou critiqué pour ce geste mais au contraire, toujours excusé, la France préférant vilipender Marco Materazzi. Mais depuis quand on excuse les agresseurs et on condamne les victimes ? Parce que la France doit conserver le beau rôle ? Parce que le foot français ne peut assumer la réalité ?

Pourtant, il y aurait à redire sur la déchéance de l’icône de 1998. Sur ces 8 années qui séparent ce moment de grâce du 12 juillet 1998 de l’enfer du 9 juillet 2006. 8 années de Danone, Mc Do et autres sponsors. 8 années de starisation extrêmes. 8 années à exiger des sportifs des exhibitions alors que leur corps réclamait du repos. Car Zidane n’est pas l’unique fautif de ce craquage : les choix de gestion de l’équipe de France ont grandement contribué à gripper la machine. Comme ce match amical joué avant le mondial, au cours duquel il est aligné bien que blessé, en vertu d’un accord avec les sponsors. Alors qu’il a joué une saison complète et épuisante en club, et qu’il se prépare pour la coupe du monde.

Reconnaissons-le enfin : après 1998, le football français a pété les plombs, et s’est vu plus grand qu’il n’était. Au lieu de privilégier l’aspect sportif, il a eu envie de faire tourner la machine à cash, parfois à outrance. Les joueurs n’ont pas été en reste, puisqu’on laissait les sponsors les approcher. Tout ce petit monde a voulu faire fructifier le titre, jusqu’à l’overdose. Ce qui laissait peu de place au sport et amoindrissait les chances de renouveler l’exploit.

Peu à peu, les joueurs ont accordé moins d’importance à l’équipe de France. Cet esprit s’est répandu dans le groupe, touchant également les nouveaux entrants. La fierté de porter le maillot tricolore s’est effacée devant l’intérêt d’être sélectionné pour bénéficier de nouveaux revenus n’ayant rien à voir avec le foot. Ainsi gangrenée, l’équipe de France va connaître une période bien noire qui trouvera son apogée lors de la coupe du monde 2010.

Souvenez-vous, l’Afrique du Sud… Persuadés d’être des stars au-dessus de tout, les joueurs n’ont pas respecté leur entraîneur, et sont allés jusqu’à faire grève refusant de descendre du bus pour se rendre à l’entraînement. Implosion du foot français devant les caméras du monde entier. Ignominie. Honte.

Aujourd’hui encore, à part quelques auteurs de livres sur le football français –je vous invite à lire La décennie décadente du foot français de Bruno Godard et Jérôme Jessel- trop peu de monde relie le séisme de Knysna et les difficultés actuelles de discipline dans l’équipe de France à la très mauvaise gestion de l’après 1998 dont le cycle s’est achevé avec la défaite de 2006. Et ça n’est en rien la faute des joueurs : ces gamins se retrouvent en centre de formation à 13 ans, c’est là qu’on leur inculque les valeurs du foot français. Reste à voir lesquelles on choisit de leur transmettre !

Quand on persiste à se mettre des œillères et qu’on refuse de voir qu’on a transformé la FFF en poule aux œufs d’or –qu’on a fini par tuer- en oubliant de faire primer l’équipe sur le fric, on a transmis aux générations suivantes l’individualisme, leur laissant croire que la performance individuelle suffirait à leur ouvrir les portes de l’équipe nationale. Ce qui s’est passé. Aujourd’hui, nombre de joueurs scrutent leurs statistiques personnelles sans se projeter dans un système de jeu collectif en équipe nationale… alors qu’en club, s’ils agissent de la sorte, ils goûtent aux joies du banc.

Ca n’est donc pas un problème de footballeurs, sur lesquels on aime trop souvent taper avec beaucoup trop de facilité -alors que Benzema ou Ribéry, par exemple, réussissent en club-, mais bien de gestion humaine d’une équipe. Mais voilà en France, l’omerta règne sur le petit monde du foot français. Il est impossible d’oser remettre en question la gestion faite par la FFF. On se borne à changer les entraîneurs, pensant que cela résoudra tout. Mais comment l’entraîneur de l’équipe A pourrait résoudre une question qui relève de la politique footballistique en France, et donc du président de la FFF ?

Autant vous le dire clairement, rien ne changera. Benzema ne marquera pas plus de buts –venir en équipe de France suffit à assurer son statut d’international et la place est acquise, la compétition inexistante, comment le motiver et donc l’aider à marquer ? Pourtant il réussit en club !-, la génération 1987 commettra toujours des boulettes comportementales qui seront ultra commentées –elle a été éduquée comme ça !- et la FFF pensera toujours que si on ne va pas aussi loin qu’on le voudrait dans les compétitions internationales, c’est parce qu’on est tombés sur une équipe plus forte, même s’il est évident qu’on n’a pas forcément tout donné.

Voilà pourquoi la France n’est pas prête de décrocher sa deuxième étoile. Le football français retrouvera son vrai niveau lorsqu’il cessera de se comporter comme un ado, et acceptera de regarder la réalité en face. Il y verra des qualités, sur lesquelles il pourra capitaliser, et des défauts, qu’il pourra travailler à effacer. Le football français ne brillera que lorsqu’il fera sa mue, et deviendra un homme. D’ici là, le laisser se complaire dans un niveau très inférieur à ce qu’il pourrait réaliser n’est pas l’aider et encore moins l’aimer.

Mi chiamo France… L’Italia chiamò, si !


Je m’appelle France. Comme mon pays.

Et pourtant, depuis le 9 juillet 2006, je soutiens l’Italie. Sans avoir aucune origine italienne.

Perché ?

Parce que les histoires d’amour finissent mal… en général.

La belle histoire

Je n’ai pas toujours été pro-Italie. Au contraire. Aussi loin que remontent mes souvenirs de foot, ils sont liés à l’équipe de France. Tout démarre en 1978. Haute comme trois pommes, à tout juste quatre ans, j’ignore tout du mouvement anti Coupe du Monde des intellectuels, et je suis à fond dans Argentina 78.

On ne va pas se mentir, les Bleus n’ont pas brillé cette année-là. En plus, ils ont eu plein de problèmes d’équipements. Ca a commencé avec l’histoire des primes Adidas, du coup les joueurs ont passé les bandes blanches au feutre pour ne pas montrer le sponsor. Trop des rebelles, les français.

Le premier match de la compétition oppose la France à…. L’Italie. Mon histoire, quelque part, est en train de s’écrire. La petite fille que je suis ne manque pas une miette du spectacle, et voit Lacombe marquer au bout de seulement 32 secondes, sur un centre de Didier Six. Mais ça, c’était avant que Rossi à la 29ème, puis Zaccarelli à la 54ème ne permettent aux italiens de l’emporter.

Mon frère, lui, se trouve à l’hôpital, pour une opération infantile de type appendicite ou amygdales. Il est de tradition de consoler un enfant seul à l’hôpital en lui offrant un présent qui pourra, si possible, l’occuper un peu. Pour son petit garçon, ma mère décide de frapper très fort, et de renoncer à son sacro-saint principe anti-Panini, en lui offrant le célèbre album à vignettes. Il choisit Bernard et Bianca, le Disney du moment. En tant que petite sœur-trop-petite-pour-comprendre, j’ai aussi droit à un album Panini. Et je choisis quoi ? Barbie ? NON. Argentina 78. La passion est née.

Quelques jours plus tard, nous affrontons l’Argentine, qui remportera chez elle la Coupe du Monde. Evidemment on se foire. Mais d’abord, on leur tient tête. Sauf que l’arbitrage est un peu local, et l’Argentine obtient un pénalty pas évident parce qu’on a touché involontairement le ballon du bras. Pire, l’arbitre laisse d’abord jouer, mais les argentins mettent la pression alors il accorde le pénalty. Bon, Platini met tout le monde d’accord en égalisant mais Six rate le but de la victoire. L’Argentine reprend la tête et la France est éliminée.

Pour le troisième match, face à la Hongrie, on joue en maillot vert et blanc. En gros boulets, on est venu avec notre maillot blanc. Comme la Hongrie. Or la Fifa nous avait demandé de venir en Bleu, comme notre nom. Du coup, l’équipe locale nous prête son maillot. Rock n’roll. Sur ce, on quitte la Coupe du Monde. Mais moi, j’ai des Bleus plein les yeux…

Dès lors, je ne raterai que peu de matchs de l’équipe de France. A la maison, mon père place une bouteille de champagne au frigo avant chaque match. Chaque victoire permet de l’ouvrir. Je grandis dans une bulle de foot. Et de champagne. La bella vita !

Tout ça nous amène en 1982. Désormais âgée de 8 ans, je maîtrise les règles du jeu, et je suis capable de reconnaître chaque joueur. Sauf que 1982, c’est une année de merde. D’abord, je perds mon grand-père, le seul homme bien de ma vie d’enfant. Ensuite, le PSG bat les Verts en coupe de France MAIS on m’offre le maillot des Verts. L’horreur. Mais le pire est encore à venir, et ce sera à Séville, ce soir du 8 juillet 1982. Schumacher. Pute. Oui, on a le droit de dire des gros mots sur Harald Schumacher. C’est même recommandé.

Sur le coup, j’ai cru qu’il avait tué Battiston. Notre joueur ne bougeait pas, il était dans le coma. Et pourtant la France s’est relevée. Un match de dingue, sous forme de montagnes russes. Et la défaite, cruelle. Ma seule consolation aura été de voir les italiens l’emporter en finale, pour moi il eût été injuste que l’Allemagne l’emporte et que Schumacher eût pu être champion. Dès lors, j’ai toujours eu de l’affection pour les italiens. Parce qu’ils nous ont vengés.

Le divorce

Ce soir du 9 juillet 2006, je suis dans un pub, avec mon meilleur ami. Nous sommes enroulés dans nos drapeaux français, maquillés, prêts à célébrer la victoire qui ne peut –pensons-nous à cette heure- nous échapper. Et pourtant.

Tout démarre bien. Dès la 7ème minute, Zidane transforme le pénalty accordé pour faute de Materazzi sur Malouda, et on se dit déjà qu’on a le cul bordé de pasta. Parce que si tu trouves quand Materazzi a touché Malouda, tu me préviens hein. C’est un pénalty très généreux.

Mais en bons français pleins de mauvaise foi, on hurle à la mort que non et d’abord on mène au score, et puis zut. En plus Zidane a collé une panenka à Buffon, c’est quand même marrant. Bon, sur le coup, on a eu peur, parce que la panenka a d’abord touché la transversale. Mais elle a rebondit derrière la ligne, et buuuuuuut de Zidane ! Douze minutes plus tard, Materazzi (avec un seul R, merci) récupère la monnaie de sa pièce. Egalisation de l’Italie, sur un corner tiré par Andrea Pirlo. Le maître Pirlo.

Forcément, tout le monde se replie en défense, des deux côtés. Les français aiment dire que les italiens pratiquent le catenaccio mais sur ce coup-là, ils rivalisent hyper bien. L’Italie domine en première mi-temps, sans parvenir à concrétiser. La France domine la seconde mi-temps, mais ses frappes ne transpercent plus la cage de Gigi Buffon. Seul fait notable, Vieira se claque, et est remplacé par Alou Diarra. Avoues que tu avais oublié. Et pourtant, c’est à partir de là que le match va vraiment changer pour les français. En mal. En très mal.

Les deux équipes étant à égalité au terme des deux périodes, elles entament les prolongations. Ribéry espère mais sa frappe passe au ras du poteau. A la 103ème se produit ce qui reste pour moi LE geste du match : Sagnol place le ballon directement sur la tête de Zidane, qui la reprend puissamment pour la diriger vers la lucarne de Buffon. Mais le maître Gigi sort une parade venue de nulle part, et claque la balle en corner. Ma-gni-fique ! Le corner, tiré par Malouda, est boxé par le gardien italien.

Mais ce dont vous vous souvenez tous se produit lors de la seconde prolongation. A la 109ème minute, Zidane donne un violent coup de tête dans le thorax de Materazzi. L’italien aurait, selon le français, proféré des insultes. A propos de sa mère, de sa sœur, ou des deux, on ne sait pas vraiment. Hum. J’y reviendrai. Zidane se prend donc un carton rouge. A l’issue des prolongations, très disputées, les tirs aux buts voient la défaite des Bleus, Trézéguet manquant le sien, qui touche la transversale. Cruelle ironie du sort pour celui que les italiens surnomment Trézégoal, et qui reste le meilleur buteur français de l’histoire en Série A avec 123 réalisations.

Voilà, on a perdu la coupe du monde. Ou plutôt, l’Italie l’a gagnée. Contrairement à ce que l’on entend encore, les italiens n’ont pas volé la victoire. Ils se sont battus, et même si nous étions probablement un peu au-dessus, eux n’ont pas craqué. Et surtout pas Gigi Buffon. Sa claquette magistrale sur la tête de Zidane est l’arrêt d’anthologie qui a pu faire douter les français, mais qui aura rassuré tout un peuple. Etonnant d’ailleurs qu’il n’ait pas, cette année-là, remporté le Ballon d’Or qu’il méritait largement.

Comme je l’ai indiqué plus haut, j’ai grandi avec les matchs. J’ai connu des victoires, et des défaites avec l’équipe de France. Les hauts des années 80, et les bas des années 90. J’ai toujours été là, à soutenir mon équipe, même lorsqu’elle ne gagnait plus. Même après le départ de la génération Platini. Mais ce soir-là, quelque chose s’est cassé. Et le fautif s’appelle Zinedine Zidane.

Comment peut-on vouloir être un grand champion, et perdre ses nerfs lors d’une finale de Coupe du Monde ? Six ans après, je n’ai toujours pas compris. Et encore moins pardonné. Qu’a dit Materazzi à Zidane pour l’énerver ainsi ? Sur un tirage de maillot, Zidane lui a dit qu’il lui donnerait à la fin du match. Materazzi a répondu que s’il voulait son maillot, il le demanderait à Inzaghi. Sachant qu’à l’époque, la rumeur courait que Madame Zidane aurait pris son pied avec Pipo… Selon Zidane, ce sont des insultes très graves qui touchent à la famille.

L’ennui, c’est que ça ne colle pas. Si encore on parlait d’un jour qui n’a jamais joué en Série A et connu pour être un petit ange tombé du nid, je veux bien. Mais on parle de Zidane. D’un joueur connu pour ne pas être facile. Qui certes joue au Real Madrid à ce moment-là, mais a passé les cinq années précédentes… à la Juventus de Turin. Alors les insultes sur le terrain en italien, il connaît. Et d’ailleurs, il n’est pas le dernier à avoir pratiqué. Et pour avoir vécu en Italie, il sait à quel point cette tactique de déstabilisation de l’adversaire est fréquemment utilisée. Bref : il ne peut prétendre avoir été surpris ou blessé par ces propos. Sauf à nous prendre pour des cons.

Soyons francs, ce qu’il s’est passé sur le terrain du stade olympique de Berlin, ce 9 juillet 2006, c’est que Zinédine Zidane a craqué. Et ça nous a peut-être coûté la coupe du Monde du fait de l’infériorité numérique qui a suivi son expulsion. Mais qui l’a dit ? En France, on a mis la faute sur Materazzi. Pourtant à l’origine, c’est Zidane qui tire le maillot de l’italien. Mais en France, on verse alors dans la mauvaise foi. Et surtout, personne ne veut toucher à l’icône Zidane. Mais quelle icône ?

Oui, Zidane est un génie de technique, un des meilleurs joueurs du monde. Mais ça n’est pas, et ça ne sera jamais, un champion. Parce qu’au moment fatidique, il a craqué. Il n’a pas eu le mental pour aller au bout. Et c’est rien de moins que tout un pays qu’il a planté. Pour son geste, il aurait dû être sanctionné. Mais comme il arrête sa carrière, il ne le sera pas. Et finalement, ce qui est tout de même un délit pénal –coups et blessures volontaires- sera totalement pardonné par tout le monde. Pardon ????

Depuis, la France du foot récupère les conséquences de cet acte, sans jamais percuter que c’est bien à la 109ème minute de ce France-Italie que ce situe l’origine du mal. Pire, on pense que c’est l’absence de Zidane qui est un problème. Allo ???

Quatre ans plus tard, à Knysna, les joueurs font la révolution, en refusant de descendre du bus pour aller s’entraîner, pour protester contre la punition d’Anelka qui aurait insulté Domenech. Des joueurs qui refusent de jouer. Mais où est-on ? Sur un terrain de poussins ou en tour préliminaire de la Coupe du Monde ? Les joueurs se représentent-ils eux-mêmes ou leur pays ? Eux-mêmes. Comme Zidane en finale de Coupe du Monde.

L’équipe de France se résume désormais à des individualités. Pas un collectif, pas un amour du maillot, pas la fierté d’avoir l’honneur de représenter son pays dans une compétition internationale de prestige… La France, c’est finalement un F de plus sur l’écusson, rien de plus. C’est cet état d’esprit auquel j’ai tourné le dos. Et ça n’est pas forcément facile. D’autant que personne ne comprend. Peut-être, mais moi j’ai le foot dans le sang.

Que n’ai-je entendu depuis sur mon manque de patriotisme. Comme si le patriotisme allait se nicher dans le sport. Donc si vous soutenez Federer au tennis, vous n’êtes pas de bons français. Certains ont poussé le vice jusqu’à me dire que l’on ne peut comparer sports individuels et collectifs. Ah bon ? Et pourquoi ? Parce qu’à plusieurs on forme une équipe à laquelle peut s’identifier la communauté nationale ? Okay mais si on prend ces arguments, parlez-moi u peu de la nation que formerait alors l’équipe de France… Je ris.

J’aime le foot, j’aime le sport, j’aime le jeu, et sous prétexte que des Footix qui ne connaissent pas la règle du hors-jeu, aiment les vuvuzelas et regardent les matchs de l’équipe de France une fois tous les quatre ans en estimant être de grands spécialistes l’ouvrent, je devrais être mise au ban de la nation ? Par des types qui ne savent même pas faire la différence entre un 8 et un 10 ? Sérieux ? Non, je n’admets pas cette argumentation bancale.

J’ai eu des maillots de l’équipe de France, je me suis souvent maquillée, j’ai même une perruque qui traîne, mais il y a bien longtemps que le drapeau n’est plus affichée à la fenêtre les soirs de matchs. Parce que justement, j’aime mon pays. Et pour le moment, l’équipe mais surtout le foot français me font honte. Ce sont eux qui représentent mal notre pays. Alors merci de ne pas inverser la vapeur. Parce que ça n’est pas forcément facile, d’être apatride du foot et d’avoir demandé le passeport Foot italien.

Forza Italia !

Cette douleur, je l’ai ressentie fortement hier à Parme, où j’ai assisté au match amical Italie-France, quand quelqu’un m’a dit « mais tu chantes les deux hymnes ??? ».

Oui, j’ai chanté les deux hymnes. Mais pas de la même façon. Et pas pour les mêmes raisons. En effet, impossible pour moi de renier la Marseillaise. Ou même, de ne pas la chanter. Question d’habitude. Question de fierté d’être française. Question de naturel.

Mais j’ai aussi chanté fièrement Fratelli D’Italia. Sans aucune fierté d’être italienne, je ne le suis pas. Même pas de loin. Même pas à la 32ème génération. Encore que peut être, si, mais forcément par alliance, parce qu’en ligne directe, je sais déjà que non. Ou alors, du côté de mon père. Dernière chance, que je sois la fille du facteur. Passons. Reste que j’ai chanté l’hymne italien, pour encourager l’équipe que je soutiens.

Côté jeu, en revanche, je n’étais pas déchirée. Sur le terrain, mon coeur battait pour Pirlo et ses coéquipiers. Sans l’ombre d’un doute. Mais j’ai eu mal. Imaginez un peu de vous retrouver face à la maîtresse/amant qui serait responsable de la rupture avec votre moitié ? Oui, le foot, c’est à ce point-là pour moi : c’est sacré.

Voir Ribéry et Evra à quelques mètres de moi -j’étais tout près de la pelouse- m’a vraiment posé problème. Je n’ai évidemment au une haine personnelle envers ces deux joueurs. Je reconnais le talent de Ribéry. Pas d’Evra, faut pas déconner. Je vois bien que Ribéry a changé. Mais c’est cassé entre nous.

Irrémédiable. Parce qu’en 2010, ils ont eu la même mentalité que Zidane quatre ans plus tôt : l’oubli du maillot. Et les dernières déclarations de Ribéry disant qu’il préfère jouer au Bayern qu’en équipe de France –même s’il a depuis rétropédalé sur ses propos- ne sont pas de nature à me démontrer un réel attachement aux Bleus.

Certes, Knysna est loin et on ne peut pas leur en vouloir éternellement. Simplement, ces deux joueurs, sans le vouloir, sont représentatifs de ce qui, quelques années avant, m’a amené au divorce avec l’équipe de France, et coupables d’avoir contribué, à Knysna, à entériner cette sensation que le concept même d’équipe avait disparu.

Du coup hier à Parme, j’en étais encore à crier à Evra « Fais gaffe, une taupe ! ». Oui, je sais, je suis drôle. Mais avoir honte de mon équipe nationale depuis 2006, c’est assez désagréable. Et ça n’est pas le dernier Euro qui m’aura convaincue. Bien sûr, les joueurs n’ont pas commis d’atrocités. Nasri qui fait mime un « Ta Gueule » à la presse, ça n’est pas un drame.

Mais ça le devient quand c’est le seul fait que l’on retient parce que sur le terrain, on ne voit aucune envie. La France a pris la Suède de haut, elle a mangé le mur, et un peu de Zlatan. Elle a joué perdante face à l’Espagne, et a logiquement perdu. Où est sa fierté ? Son orgueil ? Demandez à l’Italie…

Parce que les italiens, eux, aiment profondément leur maillot, et se sentent honorés de pouvoir jouer en Nazionale. Et ils y mettent vraiment du cœur. Tout est question d’état d’esprit. Attention, la vie de la Squadra Azzurra n’a jamais été un long fleuve tranquille. C’est une de ces équipes « montagnes russes », qui, lorsqu’elles remportent une compétition majeure, échouent souvent rapidement dans la suivante.

Et après 2006, il y a eu de nombreux problèmes de comportements, lors du mondial 2010. Certes, pas au point de Knysna. Mais l’Italie a eu elle aussi à affronter des soucis disciplinaires. Et n’a pas brillé plus que la France sur le terrain. Sauf que l’Italie, contrairement à la France, a saisi le problème à bras le corps, au lieu de rester les bras croisés à attendre que ça se passe. L’Italie a réagi, en la personne de Cesare Prandelli.

Nouvel entraîneur, qui a succédé à Marcello Lippi, dont il était l’assistant, Prandelli a joué la carte de l’humilité et de la fermeté. Humilité face à sa fonction de sélectionneur –il supervise régulièrement les joueurs en allant suivre les rencontres en clubs, pour dénicher ses futures pépites et suivre la progression des talents déjà repérés- et fermeté par rapport à la discipline.

En effet, depuis son arrivée, Prandelli a imposé un code éthique : tout joueur adoptant sur le terrain un comportement inadéquat sera privé de sélection pendant un certain nombre de matchs. Pour Parme, c’était De Rossi qui a été écarté par Prandelli : pour avoir eu un comportement violent le weekend précédent, il a pris 3 matchs.

En outre, Prandelli est confronté à un problème de génération. Les gloires de la coupe du monde 2006 ont pour la plupart arrêté leur carrière en sélection, et pour celles qu’il reste, elles n’iront pas jusqu’en 2014, à part peut-être Gigi Buffon s’il ne se blesse pas d’ici là. Le sélectionneur italien doit donc reconstruire une équipe, sur la base de celle qu’il a emmenée à l’Euro en juin dernier, et qui s’est hissée jusqu’en finale, là où seule les observateurs très attentifs la voyait. C’est-à-dire, peu ou prou personne.

Et ça marche. Pourquoi ? Parce que le sélectionneur SELECTIONNE. Ca paraît simple, dit comme ça, mais en France, il y a 60 millions de sélectionneurs. Dont hélas, les instances du foot et la presse, chacun faisant pression sur ce qu’elles pensent avoir compris des désirs du reste des 60 millions de sélectionneurs.

J’exagère un peu, mais vous avez compris. Aujourd’hui, on se prive de Nasri parce qu’il a dit « Ta Gueule » à un journaliste [alors qu’en Italie, on met 3 matchs à DDR pour avoir frappé un joueur, hein] avant même de se demander si le sélectionneur l’aurait sélectionné. Non, c’est la fédé qui a décidé de le suspendre. Le sélectionneur, en France, est pris pour un incompétent incapable de savoir s’il doit prendre un joueur ou non.

En Italie, depuis la mise en place du code éthique, les joueurs sont au parfum. Jamais on n’ira leur reprocher des comportements relatifs à leur vie privée –ils alimenteront les gazettes- mais leur comportement sur le terrain se doit d’être exemplaire, sinon la sanction tombe. Résultat, Prandelli parvient à contrôler des joueurs aussi instables que Balotelli, Cassano ou El Shaarawy.

En France, on tape sur les joueurs d’abord, mais sans jamais se demander si le système qui les a produit ne serait pas, éventuellement, défectueux. Pourtant, les Nasri et autre M’Vila sont en centre de formation depuis leur 13 ans. Ils sont donc été formés, éduqués, gérés par le foot français. Il y a fatalement une part de responsabilité.

En France, on ne veut tellement pas voir le problème qu’on s’enfonce la tête très profondément dans le sable. A deux ans, précisément. Ainsi, M’Vila a été condamné à rater la prochaine coupe du monde, pour…. Etre sorti en boîte de nuit. Sérieux ??? Je vous rappelle que Zidane, en 2006, n’a rien pris, pour coups et blessures volontaires. On croit rêver.

Certains de mes amis m’expliquent que trois matchs de suspension, ça ne marcherait pas en France, parce que les joueurs s’en fichent. C’est possible. Mais justement : si les joueurs s’en fichent, c’est bien que toute la structure a échoué à inculquer aux joueurs, depuis leur 13 ans, l’amour du maillot ? Et le problème ne date pas d’aujourd’hui : Zidane, c’était déjà ça. L’amour de soi avant l’amour du maillot.

En Italie, les joueurs sont fiers de porter le maillot de la Nazionale. Sans revenir sur le sujet des hymnes –Platini ne le chantait pas, et pourtant il avait l’amour du maillot- les italiens mettent tout leur cœur à chanter Fratelli d’Italia, non comme un hymne, mais comme un cri de guerre à la façon du haka des All Blacks. Surtout à la fin, lorsqu’ils disent « Siam pronti alla morte, l’Italia chiamo, si ! » que l’on peut traduire par « Nous sommes prêts à aller à la mort, l’Italie nous appelle, oui ! »

En France, tout ceci est oublié. Comme si après la Coupe du Monde 1998, on avait pris un melon pas possible, et oublié l’essentiel. Le problème n’est pas uniquement Zidane –même si son geste l’a brutalement mis en exergue-, mais l’absence de prise de conscience de la nécessité d’afficher cet état d’esprit.

Cet abandon des valeurs par le foot français m’a profondément marquée, agacée, écoeurée. Tant qu’il n’y aura pas de prise de conscience, je ne cautionnerai pas ce système. J’aime trop le foot pour ça.

C’est ça qui m’a brisé le cœur, le 9 juillet 2006.
C’est ça que j’ai retrouvé dans la Squadra Azzurra.
C’est pour ça qu’hier je vibrais en italien, et pas en français.

Mi chiamo France. L’Italia chiamò, si !