La Conquête : mythe ou réalité ? *

6 mai 2007. Nicolas Sarkozy est élu Président de la République. D’avril 2002 à cette journée si particulière, Nicolas Sarkozy a tout fait pour accéder à la magistrature suprême. Pourtant en ce jour qui consacre une carrière, le futur président n’est pas à la fête : Cécilia n’est pas à ses côtés.

Dans le genre du biopic, biographie cinématographique, La Conquête se veut le film de l’accession au pouvoir de Nicolas Sarkozy. Cette accession au pouvoir comporte un corolaire, la destruction d’un mariage. Au moyen de flashback et de flash forward, Xavier Durringer découpe le film entre le déroulé du quinquennat de Jacques Chirac, et la journée du 6 mai 2007 au cours de laquelle Nicolas Sarkozy comprend qu’il sera seul à l’Elysée, et que tout est définitivement terminé avec Cécilia… qui n’ira pas voter.

En ce sens, le film suit une chronologie factuelle très proche de la réalité. De l’annonce à Nicolas Sarkozy par Jacques Chirac de la nomination de Jean-Pierre Raffarin à Matignon en avril 2002, à la fête de la victoire en mai 2007, en passant par les meetings et congrès de l’UMP, les réunions que l’on peut dater, les épisodes très médiatiques comme le voyage de Nicolas Sarkozy en Chine, les vacances du couple Sarkozy à Arcachon, ou encore les universités d’été de la Baule en 2005 avec le fameux jogging sur la plage de Dominique de Villepin, les faits sont précis et aisément reconnaissables.

Dans le même esprit, la mise en scène accorde une grande importance au cadre politique, jusqu’aux plus petits détails, par le choix des costumes, du maquillage, ou encore des décors. Si chacun peut aisément reconnaître l’Elysée, il faut imaginer le même niveau de reconstitution pour d’autres lieux moins connus du grand public, comme le ministère des Finances, ou encore, plus troublant, la fidélité quasi-totale à la salle de la commission exécutive comme au bureau de Nicolas Sarkozy à l’UMP.

Plus encore, la direction d’acteurs est époustouflante dans sa volonté de coller aux personnages dont elle s’inspire. Denis Podalydès, méconnaissable, incarne à la perfection un Nicolas Sarkozy finalement moins caricatural que l’on pourrait s’y attendre. L’accumulation des détails, des talonnettes aux gesticulations, s’efface relativement vite devant la force de l’incarnation du personnage et de son caractère. Bernard Lecoq dépeint un Chirac plus vrai que nature, certes parfois desservi par un texte très caricatural. Quant à Hyppolite Girardot, il campe un Claude Guéant parfait, avec toujours au coin des lèvres le même sourire ironique.

Moins réussies, en revanche, les incarnations de Dominique de Villepin par Samuel Labarthe, physiquement et psychologiquement éloigné du vrai, de Pierre Charron par Dominique Besnehard, à hurler de rire mais trop caricatural et vraiment beaucoup moins putassier que le vrai, ou encore Franck Louvrier, trop effacé par rapport au véritable personnage, plus volubile, plus populo, et beaucoup plus proche de la presse.

Une fois notés les éléments cinématographiques permettant de décrire le cadre, La Conquête montre très vite ses limites par rapport au sujet : tout cela reste une simple comédie. Si les répliques font mouches, certaines n’ont pas été sorties dans le contexte dans lequel elles sont présentées dans le film. Pour les fins connaisseurs de la vie politique, ce catalogue de petites phrases est parfois lassant… Le film fait de nombreuses impasses, probablement liées pour une part au temps cinématographique, et pour une autre part à des aspects juridiques. Ainsi, Cécilia est présentée comme étant partie non « sur un coup de tête, mais sur un coup de cœur ». Hum, si la petite phrase est vraie, l’histoire qui l’a menée à ce coup de coeur est un peu plus complexe… Ou des limites d’évoquer la vie privée sans risquer le procès.

De même, sur la conquête du pouvoir, en tant que telle, le film fait l’impasse sur un certain nombre de points. On ne voit pas qu’avant 2004, Sarkozy se fiche pas mal de l’UMP, ni qu’il ne pèse qu’un tiers des adhérents au moment de son élection… ce qui justifie sa stratégie envers les nouveaux adhérents, pour conquérir le parti, et réussir sa campagne présidentielle. C’est pourtant là son coup de génie dans la prise de l’UMP. Sans compter l’étonnante absence du personnage d’Alain Juppé, évoqué mais non représenté dans le film.

Politiquement, enfin, La Conquête ne présente aucun intérêt. Xavier Durringer réalise une comédie, et utilise pour ce biopic les ressorts de la parodie ou du moins, de la très franche exagération. Dominique de Villepin est décrit comme un conspirateur voulant à tout prix éviter à Nicolas Sarkozy d’être président, Chirac comme un président dépassé par les événements. C’est oublier que pendant ce même quinquennat, l’un a fait le discours de l’ONU, l’autre celui de Johannesburg ou encore celui du Vel d’Hiv. Pas vraiment des fous.

Que retenir alors de La Conquête ? Vraiment pas grand-chose…
Passé la lecture de premier niveau, qui apprend finalement assez peu de choses sur les coulisses de la vie politique tant la caricature réduit le propos, il ne reste qu’une accumulation de moments copiés / collés des offs et autres confidentiels des journalistes politiques, destinés à montrer une progression temporelle et de carrière, parallèlement à une régression sentimentale. Certes, beaucoup découvriront la double face de Nicolas Sarkozy, avide d’atteindre la plus haute marche du podium politique, et en pleine douleur personnelle lorsqu’il y parvient. Ou encore, l’importance pour Nicolas Sarkozy de disposer d’un équilibre dans sa vie sentimentale comme moteur de sa vie politique, de l’influence de sa vie privée sur son caractère et donc, dans ses réactions… et parfois les décisions qu’il prend. Même si encore, le trait est très exagéré, comme le montre la fameuse réplique sur la Ferrari.

Malheureusement, les faits relatés ne sont qu’abordés dans un large catalogue, sans aucune mise en perspective. Pire, en se voulant comique, le film tombe parfois dans l’excès, en usant d’un arrière goût de café du commerce, qui atteint son summum dans l’évocation romanesque mais non crédible de l’affaire Clearstream. Le génie politique de Nicolas Sarkozy passe également au second plan, le scénario préférant mettre en valeur l’urgence du carriériste, au mépris de la construction d’une stratégie politique brillante.

Enfin, La Conquête est légèrement vacharde pour Chirac, et vraiment à charge contre Cécilia Attias et Dominique de Villepin. De quoi casser le mythe d’un film destructeur pour le président… qui au contraire, bénéficie d’un traitement plus que sympathique, pour donner un film finalement très convenu qu’il faut voir pour être dans le vent, mais que l’on oubliera très vite.

*Cet article a été écrit pour Politiko et publié à cette adresse

Black Swan

Black SwanLe lac des cygnes revisité par Darren Aronosfky. Après PiRequiem for a dreamThe FountainThe Wrestler, on peut se demander ce que Darren Aronofsky est allé faire à filmer des entrechats. Ayez confiance… Que vous aimiez ou détestez ce film, vous n’en sortirez pas indemnes. Parés pour le voyage ?

Nina Sayers est une sage ballerine étouffé par une mère à la carrière avortée pour cause de polichinelle dans le tiroir, qui surcouve sa fille pour en faire l’étoile qu’elle n’a pas été. A 28 ans, Nina est trop technique, trop douce, trop propre sur elle… Pour parvenir à la perfection, il va falloir se salir un peu. Accepter son côté sombre. Grandir… Sera-t-elle à la hauteur ?

Poussée dans ses retranchements, luttant seule face à elle-même, Nina parviendra-t-elle à devenir celle qu’elle est ? Saura-t-elle passer de l’autre côté du miroir ? La caméra d’Aronosfky se fait enivrante pour filmer les corps et la douleur, utilisant les codes du film d’horreur pour mieux faire ressortir la violence qu’exige la métamorphose. Bourré de références (CarrieLes Chaussons rouges, mais aussi les propres films d’Aronofsky), oscillant entre rêve et réalité, pulsions et fantasmes, la construction se fait toujours plus dure, toujours plus intime, toujours plus douloureuse. Vincent Cassel en maître de ballet fou, à la fois mentor et initiateur, entraîne une Natalie Portman complètement habitée par le rôle sur son chemin de traverse.

D’une technique parfaitement maîtrisée, l’intensité de la scène finale n’est pas sans rappeler celle de Requiem for a dream. Jouant avec la grammaire cinématographique comme un savant fou, sans aucune retenue et ainsi parfaitement raccord avec le dépucelage qu’il met en image, Darren Aronosfky parvient à son but ultime : scotcher le spectateur pour qu’il assiste à ce moment rare, la naissance d’une femme, ou l’émotion à l’état pur, orgasmique. J’en tremble encore…

Panic Room*

Meg Altman vient de se séparer de son mari. Ce pont de l’industrie pharmaceutique lui offre une maison en plein centre de Manhattan, pour que le couple reste proche géographiquement, dans l’intérêt de Sarah, leur fille. Une fois leur choix fixé, sur une immense maison de quatre étages, doté d’une chambre de sécurité, Meg et Sarah commencent leur nouvelle vie.

Mais dès la première nuit, trois cambrioleurs s’introduisent dans la maison. Leur objectif : s’emparer d’un magot laissé par le précédent propriétaire, décédé. Les deux femmes n’ont que le temps de se réfugier dans la chambre forte, sans savoir que c’est précisément à cet endroit que se situe ce que les hommes cherchent. Assiégées dans cet espace, elles vont devoir se livrer à un face-à face aussi long qu’éprouvant.

Haute tension

Si l’on pouvait douter de parvenir à tenir sur un tel scénario pendant près de deux heures, David Fincher (Fight Club, Seven, The Game) a encore réussi un coup d’éclat. D’une part, parce que le scénario de David Koepp recèle de rebondissements plus ou moins forts, et toujours savamment dosé.

Vous ne verrez pas ici des tonnes d’explosions, l’intervention de l’armée, ou autre excès typiquement hollywoodien. Mais en jouant sur les mêmes effets, à savoir maintenir un certain équilibre entre les moments de tension et les instants de répit, moments de panique et instants de désespoir, Panic Room suit un rythme suffisamment soutenu pour que l’attention du spectateur ne retombe jamais.

Jodie Foster, mère célibataire d’une ado pas toujours facile, se trouve à la croisée des chemins. Elle doit reconstruire sa vie sans mari, tout un apportant un certain équilibre à une ado qui vit mal la situation. Dans l’épreuve, elle se révèle convaincante dans l’alternance entre la combativité et les moments de doute. Dans le camp d’en face, il convient de saluer Forest Whitaker.

Sous un aspect proche de son rôle de Ghost Dog(même look, même attitude détachée), il incarne un chef d’entreprise devenu voleur pour nourrir ses enfants. Intelligent et disposant des informations essentielles à la conduite des opérations, c’est de lui que dépend la réussite  de ce coup insensé. Affublé d’un cerveau sans cervelle (Jared Leto) et d’un troisième homme ultra violent, il est le seul à savoir que la partie ne sera pas si facile.

Parallèlement, le scénario est admirablement servi par une technique et des choix de réalisation extrêmement intelligents. Cloîtré dans une maison dont chaque recoin est vite visité, David Fincher n’a d’autre choix pour apporter une certaine diversité que de le filmer sous tous les angles, avec un maximum d’innovations. Caméras au sols, comédiens filmés en pied, caméra au plafond, caméra, caméra, caméra… C’est un tourbillon de plans qui s’enchaînent, le plus souvent en mouvement. Bien que clos, le lieu déborde de vie et de mouvements.

Filmé avec une musicalité étonnante, le film est une véritable symphonie sur quatre étages. Avec en toile de fond cette question angoissante : qu’est-ce que la sécurité ?

*Article écrit pour Objectif Cinéma et publié à cette adresse

Huit Femmes*

Dans manoir sous la neige, coupé du monde, la veille de Noël, un homme est découvert mort. Dans cette maison bourgeoises, huit femmes, liées par le sang ou par l’argent, se croisent et s’accusent : qui est la coupable ?

Famille, je vous hais

La première réussite d’Ozon réside dans la réunion d’un casting de choc. Huit grandes comédiennes françaises ont accepté de tourner avec celui qui filma si magnifiquement Charlotte Rampling dans Sous le sable l’an dernier. Qui aurait refusé ? Personne…

Sauf que pour Huit femmes, il fallait accepter de partager l’affiche. Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, Emmanuelle Béart, Firmine Richard, Virgine Ledoyen, Fanny Ardant, Ludivine Sagnier et Danielle Darrieux ont osé le pari, et n’auront pas à le regretter.

Dans cette comédie policière inspirée d’une pièce et Robert Thomas, les comédiennes s’en donnent à cœur joie. Autour de la question centrale « qui a tué le maître de maison », les huit femmes, mystérieuses, pimbêches, revêches, perverses ou encore malicieuses, s’accusent mutuellement d’avoir commis le crime.

Dans ce huis-clos très féminin s’entremêlent très naturellement les secrets et les révélations, au fur et à mesure que les clans se font et se défont en fonction des intérêts de chacune. Ce qui n’en rend que plus savoureuse une intrigue de prime abord relativement simpliste. D’ailleurs, au terme de cette comédie policière désopilante, vous vous apercevrez que la vérité est ailleurs. Et qu’à la fois si loin et si proche des romans d’Agatha Christie, vous aurez surtout beaucoup ri.

Au-delà de la résolution de ce Cluedo très stylisé, l’intérêt du film réside dans sa mise en scène. D’abord dans la direction des actrices, évidemment. Dans un registre assez décalé, proche de l’univers kitsch de Gouttes d’eau sur pierre brûlantes, les huit comédiennes se crêpent le chignon sans jamais se pousser les unes les autres pour rester dans le cadre, acceptent de casser leur image, et interprètent chacune une chanson célèbre du répertoire des années 60. Mais au-delà du jeu, Huit femmes met en avant le sens aigu de la cinématographie d’Ozon.

Véritable hommage au cinéma, le film démarre par un clin d’œil à Douglas Fairbank, fait référence à François Truffaut, et parodie la musique de Vertigo. Mais plus encore, Ozon rend hommage à tous ces petits riens qui, ensemble, font le cinéma, avec une mention spéciale aux décors et costumes.

Une fois de plus, le cinéaste a fait mouche, grâce à ce subtil mélange très stylisé entre le film de genre, les clins d’œil cinématographiques, la comédie musicale, l’humour décalé et le kitch. Comme le bon vin, François Ozon se bonifie en vieillissant, et livre un excellent cru 2002. Au cinéma français de maintenant reconnaître à sa juste valeur celui qui est devenu en cinq longs métrages un cinéaste incontournable.

*Article écrit pour Objectif Cinéma et publié à cette adresse

The Others (Les Autres)*

Ile de Jersey, 1945. Grace vite seule avec ses deux enfants dans un immense manoir isolé. En raison d’une étrange maladie, les deux enfants ne peuvent être exposés à la lumière du jour.

Aussi Grace les élève dans la pénombre et veille constamment sur eux, en leur inculquant jour après jour une éducation strictement basée sur la religion catholique.

Peu après l’arrivée de trois domestiques, l’ordre est soudain remis en question par des intrus, sans que l’on sache ni par qui ni comment cette organisation vitale est bouleversée.

La vérité est ailleurs

Il est toujours inquiétant de voir un talent s’expatrier à Hollywood, surtout quand il est produit par Tom Cruise. Dans le cas d’Alejandro Amenabar, c’est une totale réussite : la traversée de l’Atlantique n’a rien enlevé à l’atmosphère si particulière du cinéma de l’espagnol. Mieux, The Others a séduit l’Amérique, en totalisant plus de 96 millions de dollars de recettes, et figure en bonne place parmi les prétendants aux Oscars.

Comme dans Thesis et Ouvre les yeux, Alejandro Amenabar insuffle à The Others une atmosphère mêlant l’étrange à l’angoisse et la terreur. Dans le rôle de la matrone glaciale, Nicole Kidman montre, après Moulin Rouge, qu’elle peut tenir la distance sur un film, seule aux commandes de surcroît.

Alors que l’on s’enfonce à fond dans l’univers froid de Grace, Amenabar joue à fond sur les peurs enfantines pour faire trembler le spectateur : la pénombre, les longs couloirs, l’atmosphère glacée de ce manoir perdu au milieu de nulle part, l’arrivée d’étrangers, et bien sûr l’intrusion de forces obscures car invisibles et donc non identifiables. La musique, composée par le réalisateur lui-même, dans un esprit tout aussi sombre et mélancolique, renforce constamment l’anxiété qui étreint le spectateur.

Tout le film tourne donc autour de la psychologie, de l’état dans lequel se trouve emprisonnée le spectateur, et dont il ne peut s’échapper. L’imagination s’emballe, le rythme cardiaque s’accélère, et Amenabar règne en maître sur les sentiments primaires de chacun d’entre nous. Et pour enfoncer le clou, la religion qui régit la maisonnée vient réveiller la conscience et le rapport au péché. Grace, si religieuse, va devoir réviser ses positions lorsqu’elle comprendra que ses enfants sont entrés en contact avec la mort. Elle trouvera d’abord refuge dans l’incrédulité, avant de ne plus pouvoir reculer devant l’évidence.

Dans cette seconde phase, Alejandro Amenabar aborde le thème délicat de la remise en question des croyances les plus profondes. Méticuleusement construit, le film met en place une histoire, pour mieux la déconstruire dans la seconde partie. Entre naturel et surnaturel, chacun suit le labyrinthe qui mène à la résolution de l’énigme. Laissons entier le mystère… et précipitez-vous dans les salles.

*Article rédigé pour Objectif Cinéma et publié à cette adresse