Condamné, et après ?

Jeudi 15 décembre, 10h30. Déjà trente minutes que le président Pauthe lit le jugement rendu par son tribunal.

Jacques Chirac est reconnu coupable d’abus de confiance, détournements de fonds publics et prise illégale d’intérêt et condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis pour avoir « multiplié les connexions entre son parti et la municipalité parisienne » et « manqué à l’obligation de probité qui pèse sur les personnes publiques au mépris de l’intérêt général ». C’est ce que retiennent les médias du jugement.

Dans un communiqué, l’ancien président s’en félicite : « Je me réjouis, comme je l’avais toujours demandé, que mes collaborateurs de l’époque ne soient pas pénalement sanctionnés. J’étais le Maire. C’est à moi et à moi seul d’assumer. » Non seulement le procès n’a pas été ajourné, mais c’est bien Jacques Chirac et lui seul qui a été reconnu responsable. Conformément à ce qu’il avait souhaité dans la lettre qu’il avait adressée au président du tribunal le 2 septembre dernier.

Tout en rappelant : « sur près de 470 emplois examinés, il n’en reste, après des années de procédure, que 19 qui me sont imputés et encore partiellement. » Pourtant dans le détail, Jacques Chirac bénéficie d’une relaxe partielle. Sur 28 emplois retenus par le tribunal pour le procès, sur un total de 470 étudiés, 9 sont écartés par le Tribunal. Soit une relaxe sur un tiers d’entre eux. Et sur les 19 restants, certaines embauches sont considérées comme parfaitement valides, l’emploi étant devenu fictif au fil du temps lorsque l’employé ne se présentait plus. Etait-ce bien au maire de vérifier si l’ensemble de ses employés pointaient ? En conséquence, Jacques Chirac «l’affirme avec honneur : aucune faute ne saurait m’être reprochée. ».

Nombreux sont ceux aujourd’hui à se féliciter de la fin du système Chirac. Un système. 19 emplois sur 470, un système. 4% des emplois étudiés par le tribunal, un système. Quid des 96% restants ? La Mairie de Paris aurait-elle fonctionné à 96% hors système ? C’est bien évidemment ridicule, et une fois encore, les petits Robespierre ont un bel os à ronger. Mais ces chiens se rendent-ils compte du réflexe purement pavlovien qu’ils adoptent ? Peu importe que leur raisonnement soit malhonnête, il leur permet de satisfaire leur besoin de vengeance, en vertu du syndrome Louis XVI, qui exige que l’on guillotine l’ancien puissant au nom précisément de cette puissance passée.

Auront-ils vu que le tribunal n’a fait que suivre les volontés exprimées par Jacques Chirac dans sa lettre adressée président du tribunal le 2 septembre dernier ? Il souhaitait notamment voir son procès aller jusqu’à son terme, et « assumer ses responsabilités ». Enfin, il avait rappelé « son attachement à un des principes qui fondent notre pacte républicain et qui veut que tous les français soient égaux face à la justice ». Le tribunal a tenu compte de ses demandes. Le justiciable Chirac n’a pas échappé à la justice, elle l’a même entendu.

Car ce procès, Jacques Chirac le voulait. Contrairement à ce que ses détracteurs, les petits Robespierre, avaient prétendu, non seulement Jacques Chirac s’est toujours tenu, dès la fin de son immunité présidentielle, à la disposition de la justice, mais il tenait à ce que la justice puisse se faire, qu’elle soit la même pour tous, et l’avait rappelé dans cette lettre au tribunal. Les chiens qui hurlent avec la caravane de la vindicte populaire se sont trompés là-dessus, comme sur le fait que le procès ait lieu –que n’a-t-on entendu sur le fait qu’il serait ajourné !- et même sur la condamnation, les mêmes ayant jugé dès les débats que l’ancien président serait relaxé… Sur tous les plans, ils ont hurlé, et sur tous les plans, ils se sont trompés. Justice a été faite.

Bien que blessé par certains termes du jugement, un peu sévères, l’ancien président n’a pourtant pas fait appel. S’il reconnaît ne plus en avoir la force – « Je n’ai plus hélas toutes les forces nécessaires pour mener par moi-même, face à mes juges, le combat pour la vérité »il met surtout en avant son souci de l’intérêt supérieur de nos institutions : « J’ai conscience aussi que ce qui est en jeu ce n’est pas seulement l’honneur d’un homme, mais la dignité de la fonction présidentielle que j’ai assumée depuis. Et je crois qu’aujourd’hui le respect de nos institutions exige que l’apaisement vienne ».

Nos institutions. Face au attendus de ce jugement, comment ne pas penser à l’avenir ? Ce procès Chirac ayant fait un précédent, ses successeurs savent désormais à quoi s’en tenir : s’ils sont mis en cause par la justice, ils passeront par la case tribunal, et ce rapidement après la fin de leur immunité présidentielle.

Nombreux étaient ceux à avoir hurlé qu’il serait relaxé au motif que le procureur avait demandé la relaxe. Mais de qui dépend le procureur ? Cette hiérarchie là cherchait-elle à préserver l’ancien président, ou le futur ex président ? Et depuis quand le président du tribunal suit il obligatoirement le réquisitoire d’un procureur ? Les mêmes qui aujourd’hui, braillent sur la thématique de la lenteur de cette procédure, ou sur le fait que l’ancien président soit membre de droit au Conseil Constitutionnel. Les petits Robespierre sont de sortie, mais pour quelle réalité ?

D’une part, la procédure a été longue en vertu du droit. En tant que président de la République, Jacques Chirac bénéficiait d’une immunité présidentielle qui couvrait les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions, et interdisait les poursuites pendant la durée du mandat présidentiel pour les actes commis hors de ses fonctions. Il ne pouvait donc, en vertu du droit, être jugé avant d’avoir achevé ses mandats de président de la République. Entendu par la justice dès juin 2007, soit un mois après l’expiration de son mandat, on ne peut pas dire que la justice ait traîné à reprendre son cours.

Mais les petits Robespierre ont le chicot dur et ne relâchent pas ainsi une proie tenue pendant des années, qui leur a permis de se faire tant de publicité. En mal d’os à ronger, ils renchérissent déjà sur le Conseil Constitutionnel. Notamment par leur chef de meute, Eva Joly, candidate à la présidentielle en mal de sondages favorables et donneuse de conseil en chef, qui appelle l’ancien président à démissionner du Conseil Constitutionnel. Hum… La candidate verte à la plus haute fonction de l’Etat devrait relire la Constitution -dont elle aspire à devenir la garante en vertu de l’article 5 de ladite Constitution- et notamment son article 56 : il n’est pas possible pour un ancien Président de démissionner de la vénérable institution.

En revanche, au lieu de ronger son os jusqu’à s’en étouffer avec, elle pourrait faire preuve d’honnêteté intellectuelle, et reconnaître que Jacques Chirac s’est mis lui-même en congé de cette institution avant son procès. D’autant que contrairement à l’idée répandue, il ne touche plus de traitement à ce titre. Non, Jacques Chirac n’est pas un Sage fictif ! Même si légalement il pourrait y retourner, il est peu probable qu’il le décide, pour les mêmes raisons qui l’avait amené à s’en éloigner.

Reste de nombreuses questions qu’il appartiendra au législateur de trancher. D’une part, naturellement, se pose la question du statut juridique du Chef de l’Etat. Non seulement le Chef de l’Etat est, à l’heure actuelle, dispensé de devoir répondre à la justice durant le temps de son mandat –ce qui allonge le traitement des affaires en cours par la justice et c’est un point aujourd’hui en débat-, mais en outre, deux jurisprudences récentes posent problème :

  • Celle qui étend l’irresponsabilité reconnue par l’article 67 de la Constitution aux actes effectués au nom de président de la République par ses collaborateurs (décision du Parquet de Paris du 25 oct. 2010). Il va de soi que ce n’est pas au Parquet d’interpréter la constitution et qu’il faudra qu’une QPC ou une révision de la Constitution vienne préciser ce point.
  • Celle qui autorise le président de République à intenter une action civile ou pénale contre une autre personne -par exemple au cas où il a été victime d’une escroquerie à la carte bancaire- au motif qu’il agit comme un citoyen ordinaire, ordinaire … sauf qu’il ne peut être lui-même condamné, ce qui viole le principe d’égalité des parties.

Cette dernière jurisprudence démontre bien que l’on tend à considérer le président comme un citoyen ordinaire, en lui permettant d’intenter une action. Il y a donc une véritable incohérence à ne pas permettre son jugement, en tant que citoyen ordinaire, pour des faits antérieurs à son mandat.

En outre, il faudra réformer l’article 56 de la Constitution, afin de préciser si les anciens présidents doivent toujours siéger automatiquement au Conseil Constitutionnel, et si oui, quels seraient les cas d’empêchement de cette fonction de membre de droit. Cette condamnation démontre la nécessité de gérer le vide juridique qui entoure une telle situation…  d’autant que si Jacques Chirac décidera probablement de ne plus siéger, ce cas de figure peut en effet se reproduire à l’avenir. Autant le régler.

Enfin, il faudra s’attacher à résoudre les questions relatives à la séparation des pouvoirs, notamment entre l’exécutif et le législatif. En effet, il n’est plus tolérable, dans notre démocratie, que le Parquet puisse être soumis au pouvoir en place et que les doutes à l’égard du Parquet puissent jeter ainsi l’opprobre sur le bon fonctionnement de notre justice. Nombreuses sont les affaires à l’avoir mis en exergue ces derniers temps et d’ailleurs, le procureur Philippe Courroye devra prochainement en répondre. Là encore, il serait bon de renforcer nos institutions.

Certains candidats à la présidentielle proposent de telles améliorations. Dominique de Villepin, par exemple, plaide pour un Procureur Général de la Nation, nommé par le CSM et investi par le Congrès à la majorité des trois cinquièmes pour un mandat de sept ans non renouvelable. Il aurait une autorité hiérarchique et un pouvoir de nomination sur les procureurs généraux et les procureurs de la République, eux-mêmes indépendants du pouvoir politique. Le Garde des Sceaux gèrerait le budget et définira la politique pénale, mais ne pourra plus intervenir dans les dossiers, ni dans les nominations. Dans une telle configuration, la justice serait vraiment indépendante de l’exécutif.

Au final, cette décision de justice apporte une réponse dans un cas particulier, mais pose de nombreuses questions plus générales, qui devront être traitées. Faute de quoi, elle n’aura servi qu’à assouvir un besoin de vengeance symbolique du peuple sur un puissant. Si ce procès aura au moins servi à démontrer que dans notre démocratie, la justice est la même pour tous, il serait opportun d’en tirer les conséquences pour améliorer le fonctionnement de nos institutions. Voilà le défi qui attend aujourd’hui le législateur : la balle est dans le camp de l’actuelle majorité.

Un fait divers, une loi*

Il n’aura pas fallu longtemps pour que le gouvernement s’empare du drame de la petite Agnès, ado violée puis tuée et brûlée par un de ses camarades d’internat, qui a déjà, semble-t-il, commis un viol sur mineur l’année passée.

Je mets même ma main au feu qu’une QAG sera posée demain à l’Assemblée, pour lancer la promo du projet de loi de programmation judiciaire qui a été annoncé ce soir par le Garde des Sots Sceaux.

Sur cette affaire, on a tout entendu, et notamment que le jeune homme était récidiviste. Si ce fait semble avéré, il n’en reste pas moins qu’il est juridiquement faux : la lenteur de la justice aidant, le jeune assassin n’a pas encore été jugé pour le premier viol, et il n’a donc pas été condamné. En l’état, on ne peut pas parler de récidive sur le plan juridique.

Accessoirement, ce meurtrier reste un justiciable. Qui a des droits. Parmi ceux là, le droit au respect du secret de l’instruction. Il est donc naturel qu’il n’ait pas été fait de publicité autour des actes commis. Qui s’intéresse aujourd’hui à lui accorder un procès équitable, alors que les droits de la défense sont foulés au pied ?

Alors certes, l’on aurait pu estimer que l’école aurait du être informée, étant donné que l’acte commis préalablement  concernait une mineure. Et pourtant que c’était parfaitement contraire au secret de l’instruction. Restait alors le rapport entre les parents et l’établissement. Sur ce point, il semble que le projet pédagogique de l’établissement était justement d’accueillir un public en difficulté, sans questionnement. Dès lors, l’Etat n’a pas à s’en mêler.

Sarkozy, fan de Minority Report

Et pourtant, moins de 48h après, il s’en mêle. Par la voix du gouvernement, qui propose un projet de loi de programmation judiciaire pour prévenir encore plus fortement les cas de récidive… sur la base de ce faits divers particulier. Cela pose question.

Voici les dispositions qui ont fait l’objet d’une publicité ce soir, par la voix du Premier Ministre et du Garde des Sceaux, sans que ne soit disponible à cette heure le Projet de Loi qui sera soumis au Parlement

  • Les inscriptions dans les établissements scolaires seront soumises à information complète préalable. Et hop, une petite mesure liberticide de derrière les fagots… Non seulement ce gouvernement voulait déjà ficher les gosses dès la maternelle, mais maintenant, avant de les inscrire, il faudra tout savoir sur eux.
    Ceci constitue un grave manquement au secret de l’instruction comme au secret médical, et cela entraînera, selon les magistrats, des refus de scolarisation pour des cas pourtant tout à fait réinsérables. Ou comment ce fait divers est utilisé pour la mise en place d’une politique ultra sécuritaire, à base de fichage généralisé. Big Brother is watching your kids
  • Tout mineur commettant un crime sexuel grave devra obligatoirement aller dans un centre éducatif fermé. Parce qu’un ado n’a pu maîtriser ses pulsions, et a commis un crime odieux, tous les autres mineurs commettant un acte gravissime, certes, sera marqué au fer rouge, et n’aura pas la chance de pouvoir intégrer un cursus scolaire classique, qui les préparerait pourtant à la vie dans la société.Juste une question : après le centre éducatif fermé, on en fait quoi ? On les met en prison ? Pour quel avenir ? Est-ce notre projet de société que de rejeter quiconque a commis une faute grave, sans offrir aucune possibilité de rédemption et donc, de réinsertion ?
  • L’évaluation de la dangerosité de ces mineurs auteurs de crimes sexuels sera renforcée. Si la volonté d’éviter la récidive est louable, les magistrats soulignent qu’aucun psychiatre ne peut prédire toutes les récidives et que, quelle que soit la durée d’incarcération, l’intensité du suivi ou les dispositifs, le risque ne peut être totalement éliminé. Faire croire le contraire à la population serait purement démagogique.

Ou quand le principe de précaution, pour éviter la récidive, transforme notre société en Minority Report : tous les criminels seront considérés comme des potentiels criminels à vie.

Ou comment le pouvoir instrumentalise un fait divers terrible pour se livrer à une politique ultra-sécuritaire, et donner encore un peu plus de pouvoir à Big Brother.

S’interroger, pour vivre son émotion

Il est normal que la société s’interroge sur la réponse à apporter face à un pareil cas. Le meurtrier, après quatre mois de préventive, a été soumis à un contrôle judiciaire, visant à lui assurer les meilleures chances de réinsertion. Ce contrôle imposait l’inscription dans un internat. Etait-ce une erreur ? Si oui, vient-elle de la justice, ou de la psychiatrie qui l’a recommandée ?

Il est normal que les citoyens s’interrogent sur cet odieux crime, et cherchent à savoir si on aurait pu éviter la mort de cette jeune fille. Il est naturel qu’ils s’interrogent sur leur propre réaction par rapport à leurs enfants, qu’ils soient le fils meurtrier ou la fille assassinée. Comment réagirait-on si l’un de ces deux ados était notre enfant ?

Mais il est anormal que le pouvoir politique apporte une réponse en 48 heures, sous le coup de l’émotion, au prétexte d’une émotion populaire qui n’exprime même pas une pression sur le pouvoir politique, le tout sans avoir pris le temps d’une réflexion raisonnée sur le sujet. Ca n’est pas le rôle de l’Etat que de répondre à un crime par une loi de programmation judiciaire à partir d’un fait divers unique.

Que dit le droit ?

Revenons aux fondamentaux. Qu’est-ce que la loi ? Selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « la loi est l’expression de la volonté générale ». En ce sens, la règle de droit n’est pas l’expression de la volonté plus ou moins arbitraire du chef mais elle résulte de la volonté générale. Le véritable auteur du texte juridique n’est donc pas une personne physique (la personne qui le signe) mais une personne abstraite (le peuple), une notion. Cette volonté ne peut s’exprimer que par un texte neutre.

Le droit n’a pas pour objectif de réduire à zéro la délinquance. En effet, les règles de droit sont transgressées en permanence, car l’être humain est libre et si on supprime la liberté, on supprime l’être humain. On ne peut donc pas tout contrôler, par principe. De plus, en pratique, l’Etat n’a pas les moyens de tout contrôler. Le rôle de l’Etat se résume, en revanche, à ne pas renoncer (sauf à prendre le risque de disparaître lui-même) et  à tenter de faire respecter le droit.

Mais surtout, ces textes ont une portée générale et sont applicables à tous, ou plus précisément à toutes les personnes qui composent des catégories prévues par ces textes. Ces catégories sont bien entendu toujours abstraites, elles ne visent jamais personne en particulier, mais un groupe de gens. Cette portée générale permet le respect du principe d’égalité que l’on trouve également dans l’article 5 de la  Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Elle (la loi) doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».

Ne pas ériger le cas particulier en cas général

Or dans le cas de ce faits divers, nous sommes dans un cas très rare.  Et cette loi de programmation judiciaire prend justement pour cadre ce fait divers unique, pour l’étendre à toute une catégorie de criminels, et les écarter de la société au nom du sacro-saint principe de précaution.

Quitte à ce qu’il viole, dans ce cas, les droits du justiciable, et renforce la stigmatisation de ceux qui n’ont pas commis de tels actes, mais qui subiront les effets de la loi visant ce cas particulier. Ou quand la manipulation politique à des fins électoralistes, en usant de la thématique sécuritaire, tue le droit.

*Papier publié sur Marianne à cette adresse

Impunité à l’Elysée

Cette semaine, la justice a tranché : selon l’arrêt rendu le 7 novembre par la Cour d’Appel de Paris dans l’affaire des sondages de l’Elysée, commandée par Emmanuelle Mignon, directrice de cabinet du Chef de l’Etat, à Patrick Buisson via sa société Publifact, l’immunité présidentielle peut s’étendre aux proches collaborateurs.

Peu importe que la Cour des Comptes ait jugée la convention signée par Emmanuelle Mignon exorbitante -1,5 millions d’euros, tout de même !- ou qu’elle ait été passée avec Patrick Buisson sans aucun appel d’offres, ça n’est pas nos oignons. Ni ceux des députés, qui n’avaient déjà pu obtenir de commission parlementaire. Ni celle de la justice, bien que le juge d’instruction Serge Tournaire ait ouvert une information judiciaire le 9 mars dernier, à la suite de la plainte d’Anticor.

C’était sans compter sur la créativité du  Parquet et de la Cour d’Appel de Paris. Dès le lendemain de cette action intolérable d’un juge d’instruction un peu trop indépendant, le paillasson du pouvoir –le Parquet de Paris- avait gelé les investigations, au motif qu’Emmanuelle Mignon n’avait «pas de pouvoir propre ou personnel», et qu’elle n’aurait été qu’une sorte de prolongement du Président… ce qui lui vaudrait l’immunité. Emmanuelle Moignon, il fallait oser… mais la Cour d’appel de Paris vient de le confirmer.

Une nouvelle fois, la justice est mise au pas par le pouvoir en place : un Parquet soumis qui use de subterfuges, des décisions qui font obstacle au bon fonctionnement des institutions, … tout ceci pour éviter au président d’être éclaboussé par les conséquences du comportement de ses proches, soupçonnés dans ce dossier de délit de favoritisme. Horripilant lorsque l’on sait que depuis, l’Elysée a régularisé la situation et fonctionné au moyen d’appels d’offres. Pourquoi l’aurait-elle fait si elle avait été certaine d’être dans son bon droit ?

Heureusement, comme le signale Médiapart dans son article sur cette décision qui enterre le scandale, la Cour d’Appel n’a tout de même pas suivi toutes les réquisitions du Parquet. Les magistrats du siège, inféodés, avaient en effet invoqués l’irresponsabilité des collaborateurs, au fondement de l’alinéa 1 de l’article 67 de la Constitution. La Cour d’appel n’a retenu que l’inviolabilité, elle-même contenue dans l’alinéa 2 du même article. En effet, l’irresponsabilité protège ad vitam eternam des actes accomplis durant le mandat, l’inviolabilité limite aux actes détachables de sa fonction le temps du mandat.

En conséquence, ce dossier pourrait être ouvert à l’issue du mandat de Nicolas Sarkozy. Il serait en effet souhaitable que la justice puisse tirer au clair cette histoire, et déterminer s’il y a eu faute ou non dans la gestion de cette convention. D’ici là, l’Elysée peut gérer tranquillement la campagne de Nicolas Sarkozy, à grand renfort de ces sondages fort précieux, et rêver à son éventuelle réélection… qui lui garantirait 5 nouvelles années à l’abri de la justice. Mais attention : au plus tard en 2017, il faudra rendre des comptes…

Ticket modérateur pour la justice

Parmi les votes passés inaperçus cet été, une mesure qui va changer bien des choses pour les justiciables. Depuis aujourd’hui, la justice civile devient payante.

Chaque personne qui portera une affaire civile devant le tribunal tribunal devra s’acquitter d’un timbre fiscal de 35 euros. A l’exception des personnes titulaires de l’aide juridictionnelle. La décision rendue pourra toutefois en exiger le remboursement au titre des frais de justice.

Officiellement, ce ticket modérateur est destiné à payer la coûteuse réforme de la garde à vue. Selon le Ministère de la Justice,  « Il s’agit d’un droit nouveau accordé au justiciable, il est normal que ce soit lui qui le finance ». Pour info, Monsieur Ministère de la Justice, toutes les affaires civiles ne sont pas concernées par la garde à vue, et heureusement. Par exemple, pour les arriérés de loyers. Ou les différents liés à l’achat d’un matériel défectueux. Ou encore les prud’hommes. Mais qu’importe, vous paierez !

Parce que derrière cette décision ; il y a une autre idée : le ministère de la Justice entend « responsabiliser » les personnes qui souhaitent saisir la justice. Hum, après les chômeurs et les bénéficiaires d’allocations familiales, les justiciables seraient ils aussi d’odieux délinquants ?  Une fois de plus, pour quelques-uns qui abusent du recours au tribunal, on veut punir tous les autres ?

Le recours à la justice relevait déjà d’un choix délicat pour les ménages, en raison du coût des frais de justice. Il touche cette fois des procédures qui ouvraient les portes de la justice sans forcément le recours à un avocat. En limitant les petites actions en justice, cette décision permettra surtout à certains filous de s’en sortir tranquilles et de perpétrer leurs petits délits. Pas sûr que la justice en sorte vraiment grandie.

Drôle de conception en effet que de la limiter le recours en justice par une accession censitaire : nous sommes en 2011, quelle régression que de mettre un terme à la justice pour tous ! Autrement dit qu’en ce jour, elle porte fort mal son nom… à l’heure où pourtant les citoyens réclament plus de justice dans tous les champs de notre société. Terrible décalage…

Sarko m’a tuer

Glaçant. C’est le premier mot qui me vient à l’esprit pour décrire le livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Sarko m’a tuer.

Le concept est simple : raconter par le menu les coups bas menés par la Sarkozie sur un échantillon représentatif de 27 personnalités kärcherisées : hauts fonctionnaires, élus, anciens ministres, magistrats, journalistes, grands patrons… Aucun corps n’a été épargné.

Pour chacun, l’objectif de la Sarkozie est simple : les neutraliser. Ou acter la mort, non pas physique, mais professionnelle ou politique de la cible.  Car il ne fait pas bon s’opposer au Président. Hyper coléreux, il peut assez vite péter les plombs lorsqu’il s’estime menacé. Et déchaîner ses foudres, en usant de toutes les ficelles que lui offrent le pouvoir. Ou le fait du Prince.

Pourquoi tant de haine ? Comme le dit Daniel Bouton, ex-patron de la Société Générale au moment du scandale Kerviel, fustigé pour avoir caché la crise pendant 4 jours afin d’y trouver une solution sans embraser les marchés : « Il a la même réaction à chaque mauvaise nouvelle : il fait tomber une tête, et voter une nouvelle loi. Il ne peut pas s’en empêcher, il a besoin de trouver un coupable ; tout événement désagréable provient de l’erreur de quelqu’un ».

Le sarkozysme, c’est une méthode : on est avec ou contre Sarkozy. Et si on est contre, on en subit les conséquences : tout crime de lèse Sarkozy est sévèrement puni. Car la Sarkozie sait s’acharner, que ses cibles soient puissantes ou misérables. Tous les moyens sont bons : pressions, manipulations, dossiers, fuites dans la presse, utilisation de la vie privée, mutations en forme de placards, …

En ce sens, cet ouvrage est passionnant, parce qu’il décrit précisément les moyens qui ont été utilisés contre chacune des personnes dont l’histoire est relatée dans ce libre. Mais ce livre est rude : à chaque page, le lecteur ressent la violence du rouleau compresseur Sarkozy, et des méthodes utilisées par ses sbires. Effroyable. Et donc, indispensable à lire !