Chaos, histoires secrètes de la guerre des droites

J’aime les livres politiques. Je les dévore. Ils me permettent d’alimenter sans cesse ma réflexion sur notre vie politique et d’y confronter mes propres analyses. C’est toujours un moment douloureux pour moi que de choisir de lire l’un ou l’autre, faute d’avoir les moyens de tous les acheter et d’avoir une bibliothèque locale trop peu pourvue en la matière. Mais pour les raisons qui vont suivre, Chaos, histoires secrètes de la guerre des droites, de Frédéric Lefebvre, figurait en haut de ma liste.

Octobre 2005. Je suis licenciée de mon poste d’assistante de direction par mon employeur, l’UMP, au terme d’un long processus qui ne comptera pas moins de quatre entretiens -trois préalables et celui m’annonçant la décision- tous plus surréalistes les uns que les autres. Mon dernier interlocuteur, le moins gradé, m’informe que la décision finale a été prise par Frédéric Lefebvre, qui devient par là même mon coupeur de tête.

L’idée aurait été de sacrifier une petite employée travailleuse et tranquille afin de menacer les autres permanents. Autrement dit, faire régner la terreur sur le personnel de l’UMP afin que tout le monde marche au pas. Un licenciement préventif destiné non pas à me sanctionner de fautes que j’aurais commises -le dossier était d’ailleurs vide…- mais à servir d’avertissement à des permanents qui aiment s’appeler ainsi parce qu’eux le sont quand les politiques passent. D’autres sources me « confirmeront » que Frédéric Lefebvre est à l’origine de cette idée machiavélique pour mâter les troupes.  Minority report, en pire : la condamnation de quelqu’un qui n’a rien fait pour éviter que d’autres ne commettent des méfaits. Ubuesque.

Cette histoire personnelle, sur laquelle je ne souhaite pas m’étendre car personne ne peut réellement le comprendre si ce n’est ceux qui ont vécu le même genre de mésaventure, marque le point culminant de la violence que j’ai pu subir dans ce milieu. Il en restera une blessure profonde : celle d’avoir été catégorisée par des gens -anonymes, bien sûr- comme étant d’un camp, ce alors qu’ils ne me connaissaient même pas : j’étais une petite main, reconnue comme faisant bien mon travail -ce qui n’a pas toujours été le cas de tous les permanents de partis- et ne bougeant pas une oreille. Par quel truchement suis-je devenue un danger ? Par l’affrontement fratricide de deux camps. Par le jeu des circonstances. Parce que tout simplement, j’étais au mauvais endroit, au mauvais moment. Au mauvais poste, aussi. Celui de la mouche à merdes.

Malgré ses ailes coupées, la mouche a survécu. Merci à mes vétérinaires.

Il y a quelques années, j’ai redécouvert Frédéric Lefebvre, par le biais de Twitter. Sa nouvelle manière de faire de la politique, loin du rôle de porte-flingue de Nicolas Sarkozy, un rôle auquel on l’a trop souvent réduit. Moi la première, je lui en ai mis plein la gueule. Il est probable que ce blog compte quelques anciens articles en ce sens. Parce que je lui en ai voulu. Profondément. Sans haine. Mais dans une opposition à un camp qui m’avait tant fait souffrir.

J’étais alors encore dans l’incompréhension face à la violence inouïe et totalement démesurée qui s’est déchaînée sur la mouche que j’étais : assistante de direction au service des jeunes, je n’avais aucun pouvoir, j’étais au plus bas dans la hiérarchie des petites mains, autrement dit je ne menaçais personne. Et surtout pas l’accession inéluctable au pouvoir de Nicolas Sarkozy. Et c’est précisément pour cela que c’est tombé sur moi.

Pourtant, lorsque j’ai redécouvert Frédéric Lefebvre, j’ai eu envie de m’intéresser à sa manière d’envisager son rôle d’élu comme celui d’un politique libre. Comment cet homme pouvait avoir changé ? Qu’est ce qui expliquait ce virage dans sa pratique de l’exercice politique ? Cela m’intriguait, précisément parce qu’il avait par le passé suivi aveuglément Nicolas Sarkozy. J’avais envie de comprendre les ressorts de cette mutation.

Nous avons commencé à échanger. Oh, je ne me suis pas gênée pour lui rappeler qu’il m’avait virée. Il a été étonné, et m’a pudiquement dit ne pas se rappeler d’avoir commis cet acte alors qu’il gardait un bon souvenir de moi. Je l’ai senti sincère et j’en ai été la première surprise. Alors, j’ai poursuivi les échanges et je me suis intéressée à sa mue. En constatant la réalité de sa transformation, je l’ai pardonné, sans le lui dire.

Avril 2018. Alors que je suis environ à la moitié de Chaos, histoires secrètes de la guerre des droites, écrit par Frédéric Lefebvre, l’évidence me saute à la figure : ça ne peut pas être lui qui a pris la décision finale. C’est impossible pour des raisons techniques et humaines. Je lui envoie donc un message pour lui faire part de cette conviction. Et il me le confirme : il n’a pas été ce bras armé et encore moins l’inventeur de ce stratagème qui a fait une victime : la mouche, moi.

En plus d’être immonde, celui qui a pris cette décision n’a même pas eu le courage de l’assumer et a fait porter le chapeau à un autre. On n’est décidément jamais à court de mauvaises surprises, dans la guerre des droites. C’est bien la première fois que je pardonne quelqu’un d’un méfait qu’il n’a pas commis et c’est assez cocasse. Mais l’honnêteté intellectuelle m’oblige : après tout ce que je lui ai mis dans la tête durant ses années Sarkozy -du jour où la Sarkozie a décidé que j’étais contre eux, je le suis assez naturellement devenue…- il mérite que je le réhabilite par les mêmes moyens.

Ce long préambule explique pourquoi, a priori, je ne portais pas Frédéric Lefebvre dans mon cœur et comment, par son seul comportement politique, j’ai évolué très favorablement dans la perception que j’ai de lui.  C’était nécessaire. Et rien de tel que la lecture de Chaos, histoires secrètes de la guerre des droites pour vous en convaincre.

Ce témoignage d’un homme qui s’est engagé très tôt, est dense et passionnant. Et il mérite vraiment que l’on s’y arrête. A travers son histoire personnelle, évoque son parcours politique, de ses années Sarkozy (mais pas seulement) à son choix d’être un élu libre, guidé par ses seules convictions. Au-dessus des partis, dans le sens où le parti ne dirige pas ses votes et c’est heureux : le mandat de parlementaire n’est pas impératif, c’est l’article 27 de la Constitution qui le dit ! A l’heure où l’on nous parle du changement des usages et des pratiques dans la vie politique -avec notamment la loi Confiance, votée à coups de flonflons et trompettes après l’accession à la présidence de la République d’Emmanuel Macron, je vous engage à découvrir ce qu’est réellement la modernité de la pratique politique, en lisant un homme qui la pratique au quotidien.

Mais ce livre, c’est avant tout une histoire d’amour. Pour sa femme, d’abord, et pour ses enfants. Au fil des pages, on comprend à quel point leur indéfectible soutien est capital. Leur amour pour lui alors que la politique le leur vole. C’est touchant et profondément humain. Une histoire d’amour avec la politique, aussi. Son parcours, très détaillé, évoque son engagement et ce que lui ont apporté ceux qu’il a pu côtoyer depuis tant d’années. Mais aussi, les convictions qu’il s’est forgé et la manière dont il s’est employé à les servir, à travers tant d’actions concrètes qui mettent en lumière le travail des élus sur le terrain, hélas méconnus de nos concitoyens. Une histoire d’amour pour la France et le monde, et plus largement, pour l’humanité.

L’autre grand intérêt du livre, c’est l’analyse politique livrée sur les guerres intestines auxquelles se livrent la droite depuis des décennies, véritable antichambre de sa dissolution dans la ligne Buisson. Car aujourd’hui, la droite, qui a délaissé le débat d’idées, se résume à quelques formules marketing destinée à promouvoir une ligne brune inquiétante. Frédéric Lefebvre livre en plusieurs chapitres une enquête fournie et circonstanciée sur la stratégie de rapprochement avec l’extrême droite poursuivie par Laurent Wauquiez, destinée à la conquête du pouvoir. Une mise en œuvre relativement peu apparente aux yeux du grand public, mais bien réelle dans les tréfonds des réseaux. C’est incontestablement l’un des points forts de l’ouvrage que de le mettre en lumière, avec précision.

Au fil des pages, le lecteur ressentira enfin toute la douleur de Frédéric Lefebvre dans la fin de sa relation avec Nicolas Sarkozy, qui l’a particulièrement maltraité. Ces pages plus sombres sont aussi un témoignage de la violence qui peut s’exercer dans ce milieu, hélas trop souvent, quand les hommes perdent toute notion d’humanité par goût du pouvoir. Dont ils ne font pas toujours grand-chose… Et à quel prix : celui de sacrifier des gens, petites mains ou fidèles, vouées aux gémonies pour avoir commis l’outrage de penser parfois différemment et de voter selon ses convictions au lieu de suivre bêtement les consignes du parti.

Ces pages-là m’ont touchée. En raison de mon histoire, bien sûr. Lire ses souffrances m’a rappelé les miennes et il m’est pénible de constater l’existence d’autres victimes, même si j’ai bien conscience qu’il y en a un paquet d’autres. Cela me rapproche évidemment de l’homme : bien que nos situations soient très différentes, nous avons en commun d’avoir vécu des choses difficiles et de pouvoir nous comprendre.

Mais le plus important, c’est de transformer cette violence subie en quelque chose de positif. Frédéric Lefebvre est resté humaniste, malgré tout. Il n’a pas sombré dans la haine, il a su trouver la force de dépasser tout cela pour mettre ce qu’il était intrinsèquement au service de l’action publique. Fidèle à lui-même, loyal à ses valeurs. C’est en cela que ce livre a tant résonné en moi. Parce que cet ouvrage traduit un espoir : non, nous ne sommes pas condamnés à nous coucher devant un système dont tout le monde a conscience qu’il doit changer.

Au contraire, c’est parce que nous avons connu les pires travers des coulisses du pouvoir que nous devons rester en politique : pour être nous-mêmes les acteurs de ce changement et éradiquer ces pratiques. Pour lutter contre les haines fratricides qui se jouent dans la conquête du pouvoir et remettre de l’humanité en lieu et place de la politique politicienne. C’est exactement pour cela que malgré le dégoût que m’a inspiré cette violence, j’ai choisi de poursuivre mon engagement.

Vous me direz que je suis utopiste, et c’est en partie vraie. Mais l’exemple de résilience de Frédéric Lefebvre démontre que c’est possible, pour un peu qu’on le veuille. Agir, plutôt que réagir, tel est le maître mot.

Le Tsunami : retour sur une présidentielle hors-norme

Après UMP, un univers impitoyable et Bal tragique à l’UMP, Le tsunami, chronique secrète d’une année politique pas comme les autres (Plon) est la troisième collaboration entre Jean-Baptiste Marteau et Neila Latrous, tous deux journalistes politiques spécialistes des droites françaises.

Après avoir raconté les coulisses de l’UMP dans le premier puis la rocambolesque élection à la présidence de l’UMP en 2012 dans le deuxième, ils se sont cette fois attelés à suivre ensemble, chacun pour leur média respectif (France 2 et BFM TV) la campagne présidentielle de 2017.

L’intérêt de cet ouvrage réside dans ce choix : celui de suivre à deux, chacun pour son média, la même campagne présidentielle, auprès du même candidat. Journalistes embarqués en immersion dans celle de Marine Le Pen, Jean-Baptiste Marteau et Neila Latrous ont vécu de l’intérieur les multiples rebondissements de cette campagne. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ça a secoué !

Ce troisième opus m’a semblé plus abouti que les précédents. Peut-être parce qu’il a été envisagé comme un livre dès le départ de cette aventure présidentielle. Peut-être aussi parce que les auteurs ont gagné en maturité. Peut-être enfin parce que cette année présidentielle fut complètement dingue. Ou alors, pour toutes ces raisons.

Quoi qu’il arrive, je vous le conseille : ce livre vous séduira à la fois par le rappel des épisodes d’une année politique pas comme les autres, mais aussi par le recul qu’il prend sur ce qu’est une campagne et comment elle est menée, tant par les professionnels de la politique que par les journalistes chargés de la relater.

Ce qui leur permet d’obtenir des off intéressants et donc, un éclairage nouveau sur certaines personnalités, comme Nicolas Sarkozy. En off, le président se déclare favorable à la GPA, ce qui est tout de même l’inverse de ses positions de meeting. De telles informations apportent un éclairage capital sur la présidentielle de 2017 et sur les stratégies choisies. Nicolas Sarkozy a fait le pari d’une dérive à droite pour retenter le hold-up de 2007, alors que ses propres convictions sont bien plus progressistes.

Pas de chance pour lui, c’est un candidat progressiste qui sera élu. Soyons honnêtes : à droite, Juppé avait préempté la thématique du progressisme. Et je reste persuadée que si Juppé l’avait emporté à la primaire, Macron n’aurait pas gagné la présidentielle. Ça n’est en effet qu’après sa défaite qu’il a repris et incarné bon nombre de ses idées… jusqu’à nommer à Matignon un de ses proches ! Dans cet ouvrage, les auteurs démontrent que finalement, lors de la présidentielle 2017, Nicolas est resté prisonnier de Sarkozy.

Autre élément passionnant, la campagne de Marine Le Pen. Les deux journalistes ont délibérément demandé à la suivre et à les lire, ils ont eu raison. Parce que si le Front National occupe aujourd’hui une place de poids sur l’échiquier politique, il reste mal connu des Français. Pouvoir le décrypter restait donc un exercice intéressant. A force d’anecdotes que les lecteurs auront plaisir à découvrir, Neila Latrous et Jean-Baptiste Marteau dépeignent un parti resté amateur dans sa gestion et de fait, incapable de mener une campagne électorale.

Que ce soit par pure paranoïa ou par incompétence, le parti de Marine Le Pen ne sait pas organiser des événements -hormis peut être le happening chez les Good Year dans l’entre-deux tours- et encore moins communiquer autour de sa campagne. Cet amateurisme éclatera aux yeux de tous lors du débat de l’entre-deux tours, pour lequel la candidate du FN n’a pas su se préparer. Comment alors espérer l’emporter ? Les deux journalistes ont parfaitement su montrer, au fil des pages, que ces failles organisationnelles portaient en elles les germes de la défaite. Tant que le FN ne se professionnalisera pas, les portes du pouvoir lui resteront fermées.

Enfin, les deux auteurs ont su prendre de la distance sur ce qu’ils ont vu dans cette campagne, sur ce qu’on leur a dit, sur leurs conditions de travail, sur les contradictions des candidats, sur leurs relations avec les candidats. Au fil des pages, ils racontent ces coulisses avec beaucoup de distance et livrent une vision mature et sans fausse naïveté de leur métier.

Pour toutes ces raisons, Le tsunami, chronique secrète d’une année politique pas comme les autres m’a passionnée. Je ne peux que vous encourager à vous le procurer et le lire au plus vite !

Références : Le Tsunami, Chronique secrète d’une année politique pas comme les autres, Jean-Baptiste Marteau & Neila Latrous, Ed. Plon, 2018, 316 pages.

Hein, quoi, les députés gagnent 24 000 € par mois ???

Bien sûr que non.

Avant d’aller dire à la machine à café que « vraiment, ces députés sont des nantis », je vous demande de tourner sept fois votre langue dans votre bouche. Et de mettre ce temps à profit pour aller lire les explications de notre amie @ProjetArcadie, qui fait un boulot extraordinaire pour décrypter les coulisses du Parlement, ainsi que les nombreux liens qu’elle a compilés.

Ainsi, vous pourrez vous forger une opinion plus complète, au lieu de faire de l’antiparlementarisme de base, sous prétexte que vous aurez crû tout ce que racontait la télé.

La République des Citoyens : ensemble, modernisons la vie politique !

bannerQuatre jours après le scrutin, et en dépit de la déferlante Star Wars, tout le monde a encore en tête ces Régionales. Le score du FN, tant au national que dans les régions où il a été si près de l’emporter. L’abstention, qui marque la désaffection des citoyens pour la politique. Les réactions de certains irresponsables politiques, nettement plus préoccupés par leur intérêt particulier que par l’intérêt général qu’ils ont pourtant mandat de défendre.

Aujourd’hui, nous sommes nombreux à faire le constat d’une France en fin de régime, marquée par une classe politique envenimée dans une logique de communication plus que d’action, finissant par se rendre illisible à force d’abuser des effets d’annonce non suivi de réformes et de résultats, et de buzz politique souvent à côté de la plaque et sans impact sur la chose publique. Le système est mort, il faut se renouveler.

Alors, que faire ?

La République des Citoyens, composée de citoyens d’origine diverses qui ne sont pas des professionnels de la politique et surtout qui ne sont au service de personne, propose de s’unir pour changer la vie politique en profondeur. Cela implique d’importantes modifications institutionnelles, qui permettront de faire émerger une nouvelle mentalité que nous appelons tous de nos vœux, afin de renouveler l’offre politique dans une organisation démocratique modernisée :

  • Sortir du système des partis, totalement sclérosé, incohérent et dépassé : droite et gauche, aujourd’hui, ne sont plus des références pertinentes
  • Réduire le nombre d’élus
  • Limiter strictement les mandats dans l’espace et dans le temps
  • Définir un statut de l’élu, indispensable pour déprofessionnaliser la vie politique et lever les freins qui empêchent aujourd’hui certaines catégories de s’engager
  • Instaurer le scrutin à la proportionnelle, seule gage d’une véritable représentativité.
  • Instaurer une stricte parité
  • Renforcer les pouvoirs du Parlement

Ces propositions visent à rénover complètement la manière de penser et de faire de ma politique : en permettant d’échapper au régime des partis, de renforcer le rôle et l’efficacité des élus tout en réduisant leur coût, et d’assurer une véritable représentativité de tous dans les instances politiques tout en cassant le concept de classe politique et en évitant que l’engagement public ne soit un métier, elles permettront d’instaurer à nouveau le lien de confiance entre le peuple et ses élus et de rendre à l’action politique la sincérité qui lui est nécessaire.

La République des Citoyens propose de mobiliser ceux qui se sentent concernés pour inventer la France de demain. Alors, on se bouge ?

Appel de La République des Citoyens

Rejoindre La République des Citoyens

L’Europe doit se réinventer… ou mourir

grece-failliteAutant démarrer clairement ce billet : je ne suis pas une spécialiste des questions européennes.

Et pourtant, je vais me fendre d’un billet. Un billet citoyen, la vision d’une quarantenaire née dans l’Europe et qui se demande comment on a pu échouer à ce point dans la construction européenne. Au point de rejeter nos amis grecs.

L’Europe, j’en overdose. D’éditions spéciales sur les chaînes spéciales en débats et journaux télévisés, j’en suis au point d’écœurement. Surtout dans ce que j’en entends. On se demande si on va sauver la Grèce et aider les grecs. Tiens, on a construit une famille, par contrat –un peu comme un mariage- et on se demande si on va aider l’un des nôtres. Je m’étrangle.

A quel moment les technocrates de Bruxelles ont-ils à ce point fondu les plombs pour ne plus raisonner que selon l’économique, en oubliant totalement que la politique est avant tout la vie de la cité ? Et face à qui ? Face aux grecs qui ont inventé la démocratie ? Tu m’étonnes que la Grèce ait rejeté le concept. Grèce qui, n’oublions pas de le dire, a commencé une série de difficiles réformes. La Grèce a besoin de temps, il n’est pas possible de demander plus. Et soyons honnêtes, nous ne le demanderions pas s’il s’agissait de la France.

Critiquer la gestion grecque aujourd’hui est une aberration européenne : peut-être aurait-il fallu se demander plus tôt si elle était capable d’entrer dans l’Euro et bien avant cela, dans la CEE. Or pourquoi a-t-on fait entrer l’Europe du Sud dans la CEE ? Pour des raisons politiques. A cette époque, on se souvenait encore de l’idée de l’Europe telle qu’elle a été conçue. Les technocrates de Bruxelles n’avaient pas encore assez de pouvoir pour gérer dictatorialement l’économie, sans aucun poids réel des politiques sur ce magnifique outil qui leur a échappé.

Aujourd’hui, l’Union Européenne compte 28 pays et la Zone Euro 19 pays. Il y a eu beaucoup d’entrées ces dernières années, les processus de décisions se sont complexifiés. On nous explique que, en gros, « ça suffit de payer pour les grecs ». On ne paye pas pour les grecs, on paye pour éviter la faillite des banques privées qui ont prêté à la Grèce, qui est en cessation de paiement. Les banques, pour qui on paye depuis la crise de 2008. Merci qui ?

Moi, je suis prête à payer pour les grecs. Je ne vois pas en quoi l’Europe pourrait ne pas le faire. L’Europe, la vraie, j’entends. L’Europe qui s’est fondée sur les ruines brûlantes de la seconde guerre mondiale, avec l’idée que partager un marché économique pourrait éviter de nouveaux conflits armés. Pour cela, l’Europe a fait preuve de beaucoup de générosité avec l’Allemagne. De générosité économique, ce que Merkel a tendance à omettre. Mais aussi de générosité humaine, un peu plus de 10 ans après les millions de morts lors de ce conflit.

Et on s’en prend aux grecs ? Sérieusement ? On est inhumains au point de se rappeler sur quelles valeurs on a construit cette Europe désormais tentaculaire ? A un moment donné, il faut se poser et dresser le constat : l’Europe nous a échappé et n’est plus celle dont nous avions rêvé. C’est devenu un marché économique contraignant, éloigné du peuple, sans réel projet commun. Et c’est évident vu le programme intense d’adhésions qu’il y a eu ces dernières années : comment concilier tout ce petit monde sur un programme commun ?

Le vrai choix courageux, aujourd’hui, serait que les politiques repensent l’Europe. Qu’à la manière de De Gaulle et Adenauer, ou Mitterrand et Kohl, ils préparent la mutation de l’espace actuel en quelque chose d’autre. Parce qu’à dire vrai, l’Europe traîne depuis 10 ans les refus de la Constitution Européenne et n’a pas réussi à se réinventer, faute d’accord entre les différents pays, lors de tous ces nombreux sommets européens « de la dernière chance ».

L’Europe, sous sa forme actuelle, a tué toutes ses vies. Celle-ci doit mourir et sur ses cendres, faire renaître un véritable projet européen. Un projet qui ne pourra pas se contenter de l’économique, mais devra intégrer le politique. Oui, l’Europe est notre avenir. Mais définitivement pas celle-là… A nous de savoir nous réinventer : tel est le défi auquel nous sommes confrontés. Et je n’entends hélas pas grand-monde en parler…