Enquête sur un juge au-dessus de tout soupçon : Philippe Courroye, un pouvoir

Pour peu que vous suiviez l’actualité, le nom de Philippe Courroye ne peut que vous être familier. Depuis les années 90, ce juge s’est spécialisé dans les affaires politico-financières, extrêmement médiatisées. Peu  à peu, il s’est fait un nom. Notamment en faisant condamner Patrick Poivre d’Arvor, Michel Noir et Alain Carignon, maires de Lyon et de Grenoble.

Pourtant, et peu de nos concitoyens le savent, il a commencé sa carrière par une faute lourde, et en a commis un paquet. Ce qui ne manque pas de m’interpeller : la justice semble bien clémente avec les siens ! Et Philippe Courroye n’arrêtera pas là ses méfaits. Non content d’accrocher à son tableau de chasse des noms prestigieux, il se fait un plaisir de les humilier. Les faire passer devant le juge, c’est trop peu à ses yeux. Les menotter, abuser de la détention préventive, ou même céder au faux en écriture en antidatant une pièce : rien ne l’arrête.

Il se construit alors une réputation de juge indépendant. Mais l’est-il vraiment ? Devenu procureur du tribunal de Nanterre, il développe de nombreuses relations avec des grands patrons et hommes politiques, franchissant parfois la ligne jaune en matière de conflit d’intérêts. La manière dont il se saisit de certains dossiers, sans les mener à terme, pose elle aussi question. Les repères se brouillent…

Si le juge se fait fort de stopper les agissements abusifs des puissants, pendant longtemps, personne ne vient stopper les siens. Chaque fois qu’il se retrouve sur la sellette, le petit monde judiciaire fait corps et le soutient allègrement : il peut donc continuer de nuire en toute impunité. Même lorsqu’un dossier est entaché de mort. C’est l’affaire Bédier : stressée par la garde à vue, Chantal Guéroult, épouse d’un élu de Poissy, décède. Suicide ou accident, nul ne peut le prouver. Reste que l’épreuve, démesurée, lui aura été fatale. L’ouvrage d’Airy Routier lui est d’ailleurs dédicacé.

Carriériste, il n’est pas affilié à un homme politique, et use de l’ouverture d’enquêtes préliminaires et des dossiers en cours pour mieux tenir ses interlocuteurs : un peu pour Chirac, un peu pour Sarko, autant d’assurances vie qui pourraient lui permettre de tirer les marrons du feu. Trafic d’influence ou chantage ? Dans un cas comme dans l’autre, ça n’est pas très moral, tout ça… Alors il use également d’une autre pommade, en se faisant courtisan des puissants. Mais déjà, les nuages s’amoncellent au dessus de Philippe Courroye.

Après sa calamiteuse gestion du dossier Woerth Bettencourt, qui met en exergue ses liens avec le pouvoir –Mme Bettencourt, l’une des parties est averti par l’Elysée d’une de ses décisions… trois mois avant qu’il ne la rende ! Honteuse iniquité de la justice-, ses méthodes malsaines, son inimitié exacerbée pour Isabelle Prévost-Desprez, et son sentiment de toute puissance, le regard change. Le prestigieux poste de Procureur de Paris, qui lui était promis par Sarkozy –lequel l’avait décoré de l’Ordre du Mérite en 2009 !-, lui échappe. Désormais, c’est la chute. En premier lieu, la presse ne le voit plus que comme une Courroye de transmission du pouvoir, un procureur aux ordres, ayant oublié la séparation des pouvoirs. Il est décrédibilisé dans l’opinion.

Mais dans la magistrature également, des voix s’élèvent désormais contre celui qui avait finit par se laisser emporter par son complexe de supériorité et se croire intouchable… le poussant ainsi à se brûler les ailes. Pour qu’enfin cette corporation cesse ce soutien aveugle, il aura tout de même fallu attendre qu’il commette l’erreur fatale : s’attaquer à un autre magistrat, en la personne de son ancienne collègue et amie, devenue ennemie, Isabelle Prévost-Desprez.

Pour Courroye, le masque est certes tombé. Après la lecture de cette enquête passionnante d’Airu Routier, reste une question : la justice sera-t-elle capable d’en tirer les leçons, et de faire le nécessaire travail d’inventaire sur ses habitudes corporatistes ? Rien n’est moins sûr…

Chirac et les petits Robespierre

Depuis hier, je suis connectée H24 pour suivre l’événement politique du moment : le procès de Jacques Chirac.

Un ancien président de la République dans le prétoire, voilà de quoi faire les choux gras de la classe de 4ème B de la politique, sans oublier la 3ème techno de la presse. Tout le monde est au rendez-vous… On ne voit rien d’autre sur les images des chaînes infos que des forêts de perches et de caméras. Et l’on se prend à trembler qu’un avocat finisse écrasée sous la meute…

Lundi 7 mars, 16h20. La première audience s’achève sur la défense par Maître Le Borgne, avocat de Rémy Chardin, ancien directeur de cabinet de Jacques Chirac à la mairie de Paris, d’une QPC. Ne sors pas ton manuel du Petit Juriste, je vais t’expliquer. Il s’agit qu’une Question Prioritaire de Constitutionnalité, procédure rendue possible par la réforme de 2008 et portant sur le délai de prescription de cette affaire.

Déjà l’on s’agite chez les commentateurs, qui ne manque pas de voir là la main de Jacques Chirac –qui aurait utilisé les avocats de son ex directeur de cabinet en sous marin- voire de Nicolas Sarkozy –qui aurait créé la QPC pour sauver le soldat Chirac-. Comme au foot, quand il y a main, il y a carton rouge. Pour Chirac. Et hurlement de l’équipe adverse parce que l’arbitre n’a pas sifflé la faute… imaginaire.

Tout au long de la soirée de lundi, le suspense sur un renvoi ou non du procès a été largement commenté. Et notamment les quatre options qui s’offraient au président Pauthe :

  • Estimer recevable la QPC mais poursuivre le procès intégral en choisissant de surseoir au jugement
  • Estimer recevable la QPC et la soumettre à la cour de Cassation en reportant uniquement le volet « Paris » du procès
  • Estimer recevable la QPC et la soumettre à la cour de Cassation en reportant l’intégralité du procès (volets « Paris » et « Nanterre »)
  • Estimer non recevable la QPC

Mardi 8 mars, 14h20. Fin de l’audience sur le renvoi du procès. Le président Pauthe a décidé que la QPC déposée par Maître Le Borgne était recevable, et de la renvoyer à la Cour de Cassation. Et d’attendre donc l’avis de la haute cour pour la tenue du procès. Sur le volet « Paris » du procès. Les dossiers « Paris » et « Nanterre » étant joints, il a logiquement renvoyé également la partie « Nanterre ». Le procès se voit intégralement reporté. Une audience de fixation se tiendra le 20 juin pour décider d’une nouvelle date.

Aussitôt Jérôme Karsenti, avocat d’Anticor, partie civile, nous lâche son gros point Le Pen : « si aujourd’hui Marine Le Pen est à 23% dans les sondages, on sait aussi que c’est parce que les puissants échapprent finalement à leurs responsabilités ». Chapeau l’avocat, tu me donnes très envie de guacamole… D’une part, il est évident que le président Pauthe a estimé cette QPC recevable en fonction du droit, et non de l’agenda politique. D’autre part, en tant qu’avocat, il est bien placé pour savoir qu’il est assez logique que l’avocat d’un des prévenus utilise tous les moyens de procédure pour éviter un procès à son client qui, rappelons le, n’est pas Chirac… C’est le jeu ma pauv’ Lucette alors tant que mauvaise foi…

Et surtout, que vient faire Marine là dedans ? Depuis le fumeux sondage d’Harris (pas les brioches du petit dej, l’autre !) on met Marine à toutes les sauces, et on rend responsable n’importe qui de ces fameux 23% pour le FN. Que le sondage soit frelaté, on s’en fiche, il FAUT commenter. Quitte à manipuler l’opinion en agitant ce chiffon rouge trempé dans la sauce gribiche de la tête de veau.

Car tout le monde reconnaît qu’elle monte, la Marine. Alors vite, des coupables, et au trou ! Sauf que si le FN monte, les causes sont multiples. Oui, il y a un sentiment de fracture politique entre le peuple et les puissants. Pas Chirac qui chercherait à échapper à son procès en particulier, ne serait-ce que parce que le sondage a eu lieu AVANT. Léger détail, hein. Mais aussi le bling bling érigé en mode de vie de ce quinquennat, Jean Sarkozy à l’EPAD, les jets privés ministériels, etc, tout ça mis en relation –et c’est important- avec la hausse du chômage, l’appauvrissement des classes basses et moyennes, le poids de la dette, et l’inadaptation de nos institutions.

Quelles propositions en ce domaine ? J’ai lu ici ou là des « Chirac en prison ». Hum, la belle affaire… D’une part si on met Chirac en prison pour ces faits là, il va falloir construire fissa de nouvelles prisons pour mettre toute une partie de la population en zonzon, car soyons clairs, il n’a aucune chance de s’y retrouver. D’autre part, cela enrayera-t-il la baisse du FN ? Sérieusement ? Chirac en prison, ça résoudrait les problèmes de la France ?

Non, ça assouvirait le désir humain mais inavoué du peuple de couper la tête d’un puissant. A la Louis XVI. Nous voilà revenus sous la Terreur, médiatique cette fois. N’a-t-on donc rien retenu de cette période si noire de notre histoire pour que des Robespierre de pacotille fantasment de rejouer cette triste pièce ?

[Edit à la suite d’un échange sur Twitter : Le parallèle est volontairement provocateur et utilise des ressorts tout aussi dramatiques et démesurés que ceux que je peux entendre dans les médias -retour à l’envoyeur, je sais ça fait mal- et dans un but unique et assumé : nous interroger sur les discours tenus par les uns et les autres, en comparant les paroles des plateaux aux actes politiques. Veut on brûler une effigie, ou utiliser cette expérience pour améliorer la vie de la cité ?]

Jacques Chirac, contrairement à ce que j’ai lu, comparaitra devant ses juges. Tardivement, probablement. Mais en vertu de notre droit actuel. Puisque tout le monde s’accorde à dire que cela ne convient pas, au lieu de vociférer sur le système qui lui a permis de retarder l’échéance –en tout légalité et en tout respect du droit, comme le ferait n’importe quel citoyen donc stop à cette hypocrisie- ne faut il pas plutôt dépenser notre énergie à changer les choses ? Au lieu de verser dans la haine et la Terreur, ne vaut il pas mieux que chacun des candidats à la présidentielle s’engage, via un pacte, à réformer le statut pénal du Chef de l’Etat ?

J’entends beaucoup hurler, à coup de petites phrases, mais bizarrement tous ces politiques n’en profitent pas pour balancer leurs propositions en la matière… A-t-on à ce point renoncé à l’action politique dans ce pays ? Et ce ne serait pas plutôt une vraie piste pour expliquer la montée des extrêmes ?

Que chacun, dans tous les partis, se montre responsable ! A moins qu’il n’y ait pas de volonté politique de changer les choses ? Politiques, et surtout candidats, à vous de jouer : à l’aube de la présidentielle, la balle est dans votre camp !

Clearstream et tout fout le camp…

Enorme boulette de Sarko sur TF1 hier : faisant fi de la présomption d’innocence, il a employé le terme « coupables » pour désigner ceux qui sont prévenus dans le procès Clearstream. Alors, la présomption d’innocence selon Sarko, c’est aux chiottes et on tire la chasse ???

Petit problème, en tant que président de la République, Nicolas Sarkozy est également président du Conseil de la Magistrature, et semble-t-il pour lui accessoirement, garant des institutions… dont fait partie la justice. Là, j’ai mal à la Vème République !