La campagne par le vide*

En cette fin d’automne, la campagne présidentielle semble geler. Les commentateurs commentent, les politiques s’écharpent, mais sur quelle base ?

Jusqu’ici, peu de candidats ont présenté leur programme, et notamment pas les deux grands candidats que chacun voit –un peu trop tôt- s’affronter au second tour.

D’un côté, l’UMP n’a pas peaufiné le sien, et annonce déjà que le candidat sera libre de l’utiliser partiellement ou totalement. En effet, si le parti majoritaire se réunit régulièrement à l’occasion de conventions thématiques destinées à préparer le programme, il s’agit en réalité de propositions qui seront soumises à Nicolas Sarkozy… qui pourra s’en affranchir. Seule nécessité pour lui, voir sa candidature ratifiée par le Congrès de l’UMP, en vertu de l’article XX des statuts.

Etant entendu qu’il ne s’agit pas d’une investiture. Parce qu’à droite, on aime jouer sur les mots. C’est cet événement qui lancera la campagne, probablement en février… même si le président hésite encore sur la date. La rumeur court même qu’il pourrait se laisser tenter pour faire cette grande fiesta le jour de son anniversaire. Hum… peu crédible : ses conseillers devraient tout de même finir par lui faire remarquer que cela personnaliserait un peu trop la chose, et que son image en sortirait passablement écornée.

De l’autre, le PS a déjà voté un programme… que le candidat a annoncé qu’il modifierait pour tenir compte de la situation économique, qui ne cesse de varier. Le programme voté par en Congrès n’est déjà plus qu’un vieux souvenir, et il y a fort à parier qu’il sera fortement taillé à la serpe. Sans que l’on sache exactement sur quoi. François Hollande a déjà annoncé qu’il présenterait cette version upgradée de ses propositions en janvier. Sans préciser s’il pensait au début, au milieu ou à la fin du mois. Reste que pour l’instant, nada.

D’ici là… et bien tout le monde parle dans le vide. Tous les jours, les politiques s’envoient vannes sur vannes à la figure, que ce soient sur les plateaux télévisés ou dans les hémicycles, en critiquant le programme de leurs adversaires… un programme, qui, donc, n’existe pas encore. Et personne ne le note. D’abord, le petit monde médiatique s’alimente de ces piques de pure politique politicienne, à grands renforts d’émissions prétendument politiques, alors même qu’elles ne sont que politiciennes.

Mais encore pire, les politiques eux-mêmes en viennent à utiliser le temps de débat parlementaire pour se livrer à des attaques sur ces programmes fantômes, pendant les séances de Questions au Gouvernement, bien sûr, mais aussi, pendant les séances d’études des textes. Il n’est en effet plus rare de voir ministres et députés s’invectiver sur les échéances électorales et leurs prétendus aspect programmatiques, le PLF et le PLFSS en ont été le terrain. Dangereuse déviance, qui ne grandit pas le politique.

C’est le temps de la fausse campagne. Des parasites sur les plateaux, qui cherchent la sélection pour le Prix de l’Humour politique et/ou un poste dans un hypothétique futur gouvernement. Reste que tout ceci n’est fondé sur rien. Non, il n’y a pas de programme socialiste à l’heure où j’écris ces lignes, pas plus que de programme de Sarkozy.

Il y a des supputations, beaucoup de mauvaise foi, et des papillons de lumière chargés d’occuper le terrain médiatique par ce dans quoi il excelle : le vide. Et un système politico-médiatique qui s’autonourrit, sous prétexte que la présidentielle est le sujet majeur de 2012, oubliant trop souvent de s’interroger sur l’absence de contenu.

Jusqu’au milieu de l’hiver, et tant que les grands candidats ne seront pas déclarés, il en sera ainsi. Nos journées seront rythmées par les numéros que se livreront ces artistes de cirque : qui un funambule, qui un dresseur d’éléphants, qui un cracheur de feu. Ou comment les politiques et les médias ont ressuscité La Piste aux Etoiles.

*Papier publié sur Marianne à cette adresse

Les petites phrases, ou la politique de l’attaque*


Ce week-end, la classe politique, de droite comme de gauche, s’est livrée à une descente dans les tréfonds de la politique, usant des petites phrases comme d’une corde pour pendre sa crédibilité.

La petite phrase, un exercice limité

Franc-tireur de la gauche de la gauche, le si désagréable Jean-Luc Mélenchon, personnage imbu de sa personne et persuadé de présenter mieux que les autres, transfuge du Parti socialiste sur sa gauche et bernard-l’ermite squattant la coquille communiste. Selon Méluche le Grand, François Hollande serait un  » capitaine de pédalo dans la tempête « . Autrement dit, le candidat du Parti socialiste ne serait pas suffisamment armé pour affronter la situation de crise que nous traversons. Et serait donc, si l’on file la métaphore, voué à couler.

Mais les petits partis ne sont pas les seuls à se livrer aux petites phrases racoleuses pour se faire un peu de publicité. D’autres responsables politiques n’hésitent pas à se liguer vent debout contre Hollande, décidément l’homme à abattre, en raison de sondages flatteurs. Ainsi ce dimanche, c’est Luc Chatel, ministre de l’Éducation nationale, qui a comparé le candidat socialiste à l’éléphant Babar, et Nicolas Sarkozy à Astérix. Quelle référence pour un ministre de l’Éducation Nationale qu’un ouvrage pour enfants…

Finalement, dans le cas de Mélenchon comme dans celui de Chatel, on aura moins retenu le message que le procédé. Et c’est bien fait. Car si les petites phrases de la vie politique donnent lieu à sélection pour le Prix de l’humour politique, ça n’est jamais ce qui fait avancer le débat. Par définition, la petite phrase n’a d’autre fonction que de combler le vide intersidéral de la pensée politique de celui qui la crée. Elle sert juste à occuper le terrain, faute d’un argumentaire puissant.

Et si encore, nos politiques s’arrêtaient là. Mais non. Parce que lorsqu’on n’a pas d’arguments, la meilleure des défenses reste encore l’attaque de ses adversaires. Et naturellement, du plus menaçant. Les habitués des Questions au gouvernement le savent bien : depuis un moment déjà, le gouvernement dans ses réponses, et parfois même les députés de la majorité dans leurs questions, n’ont cesse de justifier les soucis de notre pays par la faute du PS en général, et des 35 heures en particulier. Peu importe que le PS n’ait plus gouverné depuis 10 ans…

L’attaque n’est pas toujours la meilleure des défenses

L’UMP a en effet érigé l’anti PS en ligne politique. Depuis plusieurs mois, le parti majoritaire s’est fait une charte graphique à base du panneau danger du code de la route, histoire d’alerter sur la politique dangereuse que prônerait, selon lui, le Parti socialiste.

Derniers exemples en date : la tenue d’une convention sur le programme du PS, fin octobre, proposant un chiffrage largement exagéré des propositions socialistes, et la sortie ce jour d’un tract de 4 pages axé sur les propositions socialistes, et édité à 3 millions d’exemplaires.

En positionnant sa communication uniquement en défense, comme un parti de contre, l’UMP se limite aux réactions, et atteint alors sa limite : apparaître comme un parti cherchant à marquer des points par hasard, au faveur d’un contre, et non comme un meneur du jeu politique. Sidérant pour un parti au pouvoir.

La mauvaise foi institutionnalisée

Plus étrange encore, la mauvaise foi institutionnalisée. S’il reste naturel qu’un parti délivre des argumentaires et édite un comparatif entre les propositions des autres et les siennes, encore faudrait il pour cela se livrer à quelques préalables, et notamment s’assurer que l’on délivre des éléments fiables.

Sur ce tract, c’est loin d’être le cas. D’une part, le programme socialiste présenté par l’UMP est celui qui avait été voté par le PS, certes. Mais il a depuis été récusé par François Hollande, au motif qu’il avait été réalisé sur des hypothèses de croissance trop optimistes. Le candidat socialiste a annoncé qu’il présenterait la nouvelle mouture en janvier. Les éléments relatifs au PS contenus dans ce tract sont donc forcément faux, car dépassés.

D’autre part, l’UMP n’est pas plus fiable sur ses propres propositions. Si à ce jour, si l’UMP a produit une réflexion sur certains sujets épars via la tenue de conventions programmatiques, Bruno Le Maire a encore précisé ce lundi dans l’émission Mots Croisés que le candidat de l’UMP serait libre au regard de ses éléments. En d’autres termes, ce ne sera pas le programme définitif du parti majoritaire. Au final, l’UMP choisit donc d’agresser le candidat qu’elle craint le plus, sur la base d’une propagande totalement invérifiable. Et d’enfoncer le clou par la voix du Premier ministre, tout aussi vindicatif à l’égard du candidat socialiste, hier en meeting à Vertou.

A six mois de l’échéance présidentielle, quelle triste image de la politique que de constater cet enfermement permanent d’une très large partie de la classe politique, y compris au plus haut niveau de responsabilité, dans la politique politicienne, bien éloignée des préoccupations du corps électoral. Responsables politiques aspirant à la magistrature suprême, et partis les représentant, ressaisissez vous, et élevez le débat !

*Article publié sur Le Plus du Nouvel Obs à cette adresse

Le projet socialiste ne passera pas l’hiver

La révision des perspectives de croissance pour 2012 a refroidi les ardeurs socialistes.

Alors que notre bon mètre a annoncé jeudi qu’il faudrait compter sur une croissance de 1% plutôt que des 1,75% prévus, les socialistes commencent également à faire leurs comptes. Le projet socialiste a en effet été estimé à partir d’une hypothèse de croissance pour 2013 de 2,5%.

Or plus personne n’y croit, et François Hollande lui-même a estimé hier sur France 2 la prévision de croissance de 1% pour 2012 encore optimiste. Avant d’ajouter : «Pour 2012, si je suis élu, je vais hériter du fardeau que va nous laisser Nicolas Sarkozy (…) Ce que nous allons faire en 2012 sera hypothéqué par son héritage». En d’autres termes, le PS devra revoir les ambitions de son programme à la baisse.

Parce que le programme du PS coûte cher. L’UMP, lors de sa convention sur le projet du PS, l’avait chiffré à 255 milliards d’euros sur 5 ans, un chiffre allègrement gonflé. Hollande, lui, a annoncé un coût de 500 millions d’euros par ans soit un total de 2,5 milliards d’euros sur 5 ans. Soit cent fois moins que l’UMP. Selon le think tank L’Institut de l’entreprise, proche du patronat, le véritable coût oscillera entre 25,86 et 29,07 milliards d’euros par an soit entre 129, 25 et 145,35 milliards d’euros sur 5 ans*. Soit beaucoup plus que l’estimation du PS mais deux fois moins que celle de l’UMP. Des mérites de la e-démocratie et du fact-checking dans cette présidentielle…

Alors, pour réduire la facture, quels seront les ajustements ? Il est trop tôt pour le dire. Selon Pierre Moscovici, coordinateur de la campagne d’Hollande pendant la primaire, « Il y aura des marqueurs du changement comme le contrat de génération, des efforts sur l’éducation et des propositions sur la transition énergétique ». Seule certitude, la priorité affichée pour l’éducation devrait rester au menu. Reste à savoir comment ces 60 000 postes supplémentaires de personnels dans l’Education seront redéployés. Quant au contrat de génération, il dépendra évidemment de la concertation avec les partenaires sociaux.

Sur le reste, il faudra attendre janvier. Dans un entretien au Monde, François Hollande a en effet annoncé ne pas souhaiter s’exprimer sur son programme tant qu’il ne serait pas en campagne : « Je lancerai ma campagne début janvier. Tout doit être prêt d’ici là. Je travaille avec le PS pour que le meilleur dispositif soit arrêté avant la fin de l’année : les équipes, les thèmes, les chiffrages »Une position prudente qui permet d’affiner au fur et à mesure de l’évolution de la situation économique en France, mais aussi en Europe et dans le monde. Car quelle que soit l’issue du scrutin le 6 mai prochain, personne ne peut prévoir aujourd’hui la situation que trouvera le prochain président en prenant ses fonctions.

Reste que l’intention de maîtriser les dépenses publiques est là et clairement affichée, et ça n’est pas nouveau pour François Hollande. Si pendant la campagne de la primaire socialiste il a été conspué pour son manque de propositions, en comparaison avec Martine Aubry qui faisait office de révolutionnaire avec son catalogue des 3 Suisses inapplicable dans sa totalité, j’avais déjà signalé qu’il avait justement anticipé de devoir répondre à la crise. Ce qui constituait à mes yeux un gage de sérieux.

Aujourd’hui, annoncer aussi vite après sa désignation qu’il devra raboter sur le programme du PS me paraît encore plus responsable, et annonciateur d’un discours de vérité. Un axe de campagne qui dénote avec celui du chef de l’Etat, lequel persiste à prétendre qu’il n’augmente pas les impôts… après avoir créé près de quarante taxes nouvelles en quatre ans ! Et sur lequel devra forcément s’aligner le futur candidat, tout président qu’il soit.

Un discours emprunt d’une tonalité nettement plus moderne, par son optique de vérité, que l’intervention présidentielle de la veille, trop cachotière sur les hausses d’impôts. Pour l’instant, sur cette épineuse question de la maîtrise des dépenses publiques, qu’un sondage Ifop place désormais comme la priorité des Français : avantage Hollande.

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