Le Sénat, une alternance poil à gratter*

Voici deux mois aujourd’hui que le Sénat est passé à gauche. L’occasion de dresser un premier bilan, forcément rapide, sur les effets de l’alternance au sein de la Chambre Haute, en opposition avec l’exécutif.

Rappelons d’abord le rôle du Sénat. S’il dispose d’un rôle important dans les institutions, en constituant une assemblée permanente qui ne peut être dissoute, et dont l’accord est nécessaire pour toute révision constitutionnelle, le Sénat, dont le rôle de représentant des collectivités territoriales est désormais inscrit dans la Constitution, reste à relativiser. En effet, en cas de désaccord sur un texte, le gouvernement peut confier le soin aux députés de trancher. Et le Premier Ministre n’est pas responsable devant cette assemblée, qui se contente d’approuver, sur demande, une déclaration de politique générale. Voilà pour ce qu’en dit la Constitution.

Sur le rapport au pouvoir, en revanche, il serait faux de croire que le Sénat a toujours été, sous la Vème République, en bon terme avec l’Elysée et le Gouvernement. Nombreuses ont été les tensions, dès 1958, et de manière assez récurrente. Aussi rien n’est franchement nouveau dans cette alternance du Sénat par rapport à la couleur politique détenue par le pouvoir. Alors, concrètement, comment se passent les choses depuis deux mois ?

Jean-Pierre Bel, fraîchement élu président du Sénat en lieu et place de Gérard Larcher, à la suite des élections sénatoriales de septembre, qui ont donné la victoire à la gauche, a tenu hier une conférence de presse, pour faire le point. Au-delà de la traditionnelle langue de bois bien rabotée sur la mise en place d’une « gouvernance apaisée » de l’institution –on voit mal comment, d’un point de vue purement institutionnel, les sénateurs auraient pu jouer les rebelles-, on note une volonté très nette d’utiliser la Chambre Haute comme ballon d’essai d’un éventuelle arrivée au pouvoir de la gauche en mai 2012, en se positionnant sur le plan programmatique.

Coup de rabot sur les finances

Pour ce faire, le Sénat peut agir à plusieurs niveaux. D’abord, sur le plan administratif. Jean-Pierre Bel a annoncé la réduction du budget du Sénat de 3%. En ce sens, il suit le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer. Ca n’est pas une action de gauche, mais une action à portée nationale destinée à contribuer à l’effort national, en période de crise, par la réduction du budget des deux assemblées.

Plus courageuse en revanche, la décision d’entreprendre une réforme du régime de retraite des autorités du Sénat qui, elle, contribuera également à diminuer les coûts de fonctionnement de l’institution, mais devrait rencontrer quelques résistances, ou encore le souhait du président du Sénat de « lever l’opacité » sur le budget de la Chambre Haute, en affirmant souhaiter que celui-ci soit, à terme, débattu en séance publique.

Sans entrer dans la technocratie, ces annonces sont importantes. D’une part, parce que le Sénat a été au centre de plusieurs polémiques, dont plusieurs médias s’était fait l’écho, et auxquelles Médiapart avait consacré une large enquête -frais des questeurs, rémunérations des membres du cabinet du président, primes touchées par les sénateurs, montant de leurs retraites…- et même publié le si secret budget 2011 de la vénérable institution.

Si Gérard Larcher avait en son temps limité les dégâts en prenant quelques mesures, tant au sein de son cabinet qu’en matière de remboursement de frais, ainsi qu’en limitant les appartements de fonction, l’image de la Chambre Haute en avait pris un coup, et ces mesures d’urgence gagneraient à être pérennisées au gré d’une réforme plus globale.

Naturellement, si Jean-Pierre Bel parvient à mener ce dossier à son terme, il est évident que dans un avenir proche, l’Assemblée nationale devra procéder à des ajustements identiques, notamment sur les retraites des parlementaires. C’est dire si le sujet est loin d’être anodin.

Usage des prérogatives sénatoriales

Selon l’article 24 de la Constitution, le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Dans ce cadre, Jean-Pierre Bel a confirmé son intention, annoncée devant le Congrès des Maire de France cette semaine, d’organiser des Etats Généraux de la démocratie territoriale. Sur la base d’un questionnaire à destination des élus locaux, qui fera office de cahier de doléance, le Sénat réunira en février 2012 élus locaux et sénateurs, en vue d’interpeller les candidats à la présidentielle sur le malaise des élus locaux. Ou comment lancer la grenade de la réforme territoriale… que le Sénat a déjà dégoupillée.

En effet, le texte, voté en grandes pompes au terme de la navette parlementaire par l’Assemblée nationale, et instauré par la loi du 16 décembre 2010, a du plomb dans l’aile. Usant de leur prérogative en matière d’initiative des lois, certains sénateurs ont présenté une proposition de loi supprimant le conseiller territorial… qui a été adoptée, le 16 novembre dernier, contre l’avis du gouvernement. Sans être un arrêt de mort du conseiller territorial, c’est un sérieux coup d’arrêt qui y est porté. Certes, cette proposition n’a pas été votée par l’Assemblée nationale, mais elle lui a été transmise, et renvoyée en commission. Reste à inscrire le texte à l’ordre du jour… ou pas.

Si juridiquement, la réforme territoriale pourrait s’appliquer telle qu’elle a été votée, cela constituerait toutefois un passage en force vis-à-vis des élus locaux sur une réforme qui les concerne directement, sous la forme d’un affront à la chambre qui les représente de par la Constitution. Impensable à six mois de la présidentielle. Le dossier est donc enterré jusqu’en mai prochain. Si la droite remporte les élections présidentielles et législatives, cette proposition de loi sera enterrée, et la réforme s’appliquera. Mais si la gauche remporte les législatives, c’est la réforme territoriale qui sera enterrée. Suite au prochain épisode !

Enfin dans la même veine, et pour préempter une volonté de moderniser les institutions, les sénateurs ont adopté, le 15 novembre, une proposition de loi organique relative à la procédure de procédure de destitution du Président de la République  en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat, afin de prévoir les modalités d’application de l’article 68 de la Constitution, s’attaquant ainsi au statut juridique du président de la République, un chantier laissé en souffrance depuis la révision constitutionnelle de 2007. Là encore, le processus n’a aucune chance d’aboutir sous cette mandature de l’Assemblée Nationale.

Le Sénat use, par le vote de ces propositions de loi comme de ces Etats Généraux ou des efforts budgétaires, de tous les leviers qu’il peut actionner pour se positionner politiquement sur l’échiquier, en vue de la présidentielle à venir. Dans laquelle il entend bien jouer les poils à gratter !

*Papier publié sur Marianne à cette adresse

Eva Joly sous tutelle*

Rien ne va plus dans la galaxie verte. L’accord avec le PS a donné lieu à des tensions, qui se sont traduites par de sérieux couacs en matière de communication. Puis la candidate verte a tout bonnement disparu… avant de voir son porte-parole démissionner.

Tout ceci était pourtant prévisible. EELV est un parti jeune, né du courant écologiste et de la fusion entre le mouvement écologistes constitué pour les européennes de 2009 et les régionales de 2010, et élargi au-delà des seuls politiques écologistes à des personnalités issues de la société civile, et le parti des Verts.

Du rêve de la société civile…

Les bons scores enregistrés par le parti lors de ses élections laissent présager d’un poids mouvement écologiste dans l’opinion, ce qui donne des ailes à EELV. Mais attention, tout ceci restait très relatif : le score obtenu à une élection à la proportionnelle ne présage en rien de la réussite des candidats du même parti au scrutin uninominal et ça, les Verts le savent bien. D’où l’idée de conclure un accord avec le PS.

Et c’est là que les ennuis commencent. Comment conclure un accord programmatique alors même que l’on souhaite porter une voix singulière dans la campagne présidentielle, en présentant un candidat écologiste ? Daniel Cohn-Bendit avait bien anticipé le problème, et plaidait pour l’absence d’un candidat vert au premier tout, en échange d’un accord politique très fort.

Mais les Verts sont tenaces. Certains de leur force, ils n’ont pas voulu renoncer à la mère des batailles. Mais n’ont rien fait pour se retrouver dans de bonnes conditions pour la mener. Ainsi, Cécile Duflot, présidente du parti, n’a pas voulu y aller. Les politiques écologistes ont renoncé, laissant la place à la société civile, très heureuse de se frotter enfin à la politique qu’elle ne cessait de commenter, de Philippe Mérieux à Eva Joly.

Mais voilà, la société civile a ses limites, et la première d’entre elle reste sa méconnaissance des appareils politiques. Certes, il est beau de rêver à la manière dont on portera le plus haut possible l’étendard de ses convictions, mais les questions de boutiques sont toutes aussi importantes… Sinon, pas de parti, pas de candidature, pas de convictions à porter dans la bataille. Et cela, Eva Joly l’a sous-estimé.

… à la réalité de la vie politique

Aujourd’hui, les Verts traversent une très mauvaise passe. Non pas parce qu’il est fréquent que le candidat des Verts n’aille pas au bout du chemin. Mais pour d’autres raisons qui tiennent en réalité à l’incompatibilité flagrante entre le choix d’une candidate issue de la société civile, et les accords de boutique purement politiciens convenus entre les partis. Et ces intérêts sont incompatibles.

Oui, Eva Joly dispose d’une personnalité propre. Au-delà de la thématique classique du nucléaire, elle apporte à EELV un positionnement fort sur les institutions, l’éthique en politique et la nécessaire régulation du monde de la finance. En ce sens, elle donne une identité à son combat présidentiel, et entend bien porter sa voix au plus haut.

Mais est-ce l’intérêt du parti ? EELV doit avant tout penser à sa survie financière. Comme Marianne l’évoquait, le parti est au bord de la faillite. Parce que la vie politique coûte cher en matériel, meetings, conventions diverses et variés, salaires des permanents, frais de fonctionnement. Et ce qui assure les ressources d’un parti n’est lié aux adhésions et dons que dans une très faible proportion.

Ce qui permet à un parti de disposer de ressources, c’est son accès à l’aide publique d’Etat. Définie par l’article 9 de la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence de la vie financière, elle accorde aux partis politiques un financement par voix obtenue sous réserve d’avoir  présenté lors du plus récent renouvellement de l’Assemblée nationale des candidats ayant obtenu chacun au moins 1 % des suffrages exprimés dans au moins cinquante circonscriptions sur le territoire (hors cas particulier des Dom-Tom).

En clair, chaque parti qui obtient 1% des voix dans 50 circonscriptions différentes est assuré d’obtenir un financement. Pour mémoire, cette manne se chiffrait à 1,67 euros par voix sur la dernière mandature (moins l’amende pour non respect de la parité). Même si le gouvernement a annoncé son intention de réduire cette aide de 5% dans son plan de rigueur, la voix devrait rapporter aux alentours de 1,59 euros lors des prochaines législatives.

Face à un parti en faillite, on comprend mieux pourquoi la priorité des Verts portait sur un accord visant à obtenir des candidats dans 60 circonscriptions… La condition de 50 circos étant dépassée, et l’accord permettant de s’assurer d’y dépasser les 1%, il ne faut pas être grand mathématicien pour comprendre qu’EELV récupèrera beaucoup d’argent pour les cinq années à venir : de quoi assainir ses finances mal en point, et préparer l’avenir.

L’écologie à l’épreuve du pouvoir

Certes, cet accord se fait au prix de couacs idéologiques et programmatiques. De deux choses l’une : soit EELV dispose d’un poids suffisant dans la vie politique, et parvient à convaincre les citoyens en toute indépendance programmatique, ce qui lui assurera un grand nombre de voix que le parti obtiendra tout seul dans les circonscriptions. Au scrutin uninominal c’est aléatoire, même si EELV peut espérer dépasser les 1% partout… mais cela rapportera bien moins avec des candidats du PS en face, qui eux mangeront un grand nombre de voix dans ces circonscriptions.

Soit pour survivre, le parti cherche à garantir ses finances, et accepte de passer des accords qui heurtent l’idéologie des gens de la société civile et potentiellement des citoyens, qui ne connaissent pas les arrière-cuisines du financement de la vie politique –défini par la loi-, mais qui assurent, par la survie du parti, le maintien d’une offre politique différente, reculant ainsi un peu plus l’arrivée du bipartisme. C’est aussi un noble combat que le pluralisme.

Dans cette histoire, tout le monde a perdu en crédit, et le PS comme les Verts sont empêtrés dans la nasse de cet accord. Et nombreux sont les fautifs. Naturellement, il est malheureux qu’une candidate à la présidentielle soit à ce point obtuse sur son idéologie, et mette tout le monde dans une position délicate au motif qu’elle connaît mal un système que pourtant tout politique se doit de maîtriser. Comment peut-on sérieusement être candidat à la fonction suprême sans connaître le fonctionnement de la vie politique ?

Eva Joly ne comprend tellement rien à cette thématique pourtant vitale pour les formations politiques que son attitude autiste lui coûte aujourd’hui la démission de son porte-parole, Yannnick Jadot. Un abandon qui ne doit rien au hasard. Selon Le Point, 50% des adhérents des Verts dépendraient financièrement du parti. Pas question pour eux de laisser la candidate mener le parti à la morgue.

Mais les Verts ne sont pas exempts de reproches : si on en est là, c’est bien parce que les politiques écologistes se sont dérobés, et qu’il a fallu aller chercher un candidat au sein de la société civile, qui, en outre, n’a manifestement pas été formé à ces questions. Le parti, qui ne vient pas de découvrir sa situation financière, aurait au moins pu s’assurer d’une bonne information des candidats à ce sujet !

Enfin le PS n’a pas été bien malin. Si les bases d’un accord pouvait être négociées dès maintenant, sa finalisation n’aurait du intervenir qu’en toute fin de processus, c’est-à-dire juste après la présidentielle. Cela aurait évité de mettre tout le monde en porte-à-faux sur la thématique du nucléaire. D’autant que soyons sérieux : le calendrier de sortie ou de réduction de la dépendance au nucléaire sera soumis à des impératifs techniques qui n’ont aucune relation avec de simples effets d’annonce comptables… ce qui relève de la pure politique politicienne.

Alors, Eva Joly renoncera-t-elle -comme d’autres avant elle- en restant arc-boutée sur ses convictions idéologiques, qu’elle n’aurait de toutes façons pas été en mesure de porter jusqu’à l’Elysée ? Ou ira-t-elle au bout, ce qui l’obligera à se transcender en politique, et intégrer les règles du jeu, quitte à sacrifier un peu de son idéologie ?

Quoi qu’il arrive, EELV, qui s’inscrit dans une stratégie d’avenir, en choisissant de garantir ses finances et un groupe à l’Assemblée pour y défendre ses idées, sortira de la tempête, grâce à cet accord. Reste à savoir combien le parti y laissera de plumes, et donc de voix, dans la bataille : c’est encore Eva Joly qui, par son attitude, détient la clef de cette question.

Afin de limiter les dégâts, la candidate écologiste sera dès jeudi entourée d’une nouvelle équipe de campagne et d’un conseil politique, officiellement pour sauver le soldat Eva et ne pas la laisser seule : doux euphémisme ! Ou quand la politique reprend ses droits sur la campagne : pour les Verts, les velléités de la société civile n’ont que trop duré.

*Papier publié sur Marianne à cette adresse

La campagne par le vide*

En cette fin d’automne, la campagne présidentielle semble geler. Les commentateurs commentent, les politiques s’écharpent, mais sur quelle base ?

Jusqu’ici, peu de candidats ont présenté leur programme, et notamment pas les deux grands candidats que chacun voit –un peu trop tôt- s’affronter au second tour.

D’un côté, l’UMP n’a pas peaufiné le sien, et annonce déjà que le candidat sera libre de l’utiliser partiellement ou totalement. En effet, si le parti majoritaire se réunit régulièrement à l’occasion de conventions thématiques destinées à préparer le programme, il s’agit en réalité de propositions qui seront soumises à Nicolas Sarkozy… qui pourra s’en affranchir. Seule nécessité pour lui, voir sa candidature ratifiée par le Congrès de l’UMP, en vertu de l’article XX des statuts.

Etant entendu qu’il ne s’agit pas d’une investiture. Parce qu’à droite, on aime jouer sur les mots. C’est cet événement qui lancera la campagne, probablement en février… même si le président hésite encore sur la date. La rumeur court même qu’il pourrait se laisser tenter pour faire cette grande fiesta le jour de son anniversaire. Hum… peu crédible : ses conseillers devraient tout de même finir par lui faire remarquer que cela personnaliserait un peu trop la chose, et que son image en sortirait passablement écornée.

De l’autre, le PS a déjà voté un programme… que le candidat a annoncé qu’il modifierait pour tenir compte de la situation économique, qui ne cesse de varier. Le programme voté par en Congrès n’est déjà plus qu’un vieux souvenir, et il y a fort à parier qu’il sera fortement taillé à la serpe. Sans que l’on sache exactement sur quoi. François Hollande a déjà annoncé qu’il présenterait cette version upgradée de ses propositions en janvier. Sans préciser s’il pensait au début, au milieu ou à la fin du mois. Reste que pour l’instant, nada.

D’ici là… et bien tout le monde parle dans le vide. Tous les jours, les politiques s’envoient vannes sur vannes à la figure, que ce soient sur les plateaux télévisés ou dans les hémicycles, en critiquant le programme de leurs adversaires… un programme, qui, donc, n’existe pas encore. Et personne ne le note. D’abord, le petit monde médiatique s’alimente de ces piques de pure politique politicienne, à grands renforts d’émissions prétendument politiques, alors même qu’elles ne sont que politiciennes.

Mais encore pire, les politiques eux-mêmes en viennent à utiliser le temps de débat parlementaire pour se livrer à des attaques sur ces programmes fantômes, pendant les séances de Questions au Gouvernement, bien sûr, mais aussi, pendant les séances d’études des textes. Il n’est en effet plus rare de voir ministres et députés s’invectiver sur les échéances électorales et leurs prétendus aspect programmatiques, le PLF et le PLFSS en ont été le terrain. Dangereuse déviance, qui ne grandit pas le politique.

C’est le temps de la fausse campagne. Des parasites sur les plateaux, qui cherchent la sélection pour le Prix de l’Humour politique et/ou un poste dans un hypothétique futur gouvernement. Reste que tout ceci n’est fondé sur rien. Non, il n’y a pas de programme socialiste à l’heure où j’écris ces lignes, pas plus que de programme de Sarkozy.

Il y a des supputations, beaucoup de mauvaise foi, et des papillons de lumière chargés d’occuper le terrain médiatique par ce dans quoi il excelle : le vide. Et un système politico-médiatique qui s’autonourrit, sous prétexte que la présidentielle est le sujet majeur de 2012, oubliant trop souvent de s’interroger sur l’absence de contenu.

Jusqu’au milieu de l’hiver, et tant que les grands candidats ne seront pas déclarés, il en sera ainsi. Nos journées seront rythmées par les numéros que se livreront ces artistes de cirque : qui un funambule, qui un dresseur d’éléphants, qui un cracheur de feu. Ou comment les politiques et les médias ont ressuscité La Piste aux Etoiles.

*Papier publié sur Marianne à cette adresse

Les petites phrases, ou la politique de l’attaque*


Ce week-end, la classe politique, de droite comme de gauche, s’est livrée à une descente dans les tréfonds de la politique, usant des petites phrases comme d’une corde pour pendre sa crédibilité.

La petite phrase, un exercice limité

Franc-tireur de la gauche de la gauche, le si désagréable Jean-Luc Mélenchon, personnage imbu de sa personne et persuadé de présenter mieux que les autres, transfuge du Parti socialiste sur sa gauche et bernard-l’ermite squattant la coquille communiste. Selon Méluche le Grand, François Hollande serait un  » capitaine de pédalo dans la tempête « . Autrement dit, le candidat du Parti socialiste ne serait pas suffisamment armé pour affronter la situation de crise que nous traversons. Et serait donc, si l’on file la métaphore, voué à couler.

Mais les petits partis ne sont pas les seuls à se livrer aux petites phrases racoleuses pour se faire un peu de publicité. D’autres responsables politiques n’hésitent pas à se liguer vent debout contre Hollande, décidément l’homme à abattre, en raison de sondages flatteurs. Ainsi ce dimanche, c’est Luc Chatel, ministre de l’Éducation nationale, qui a comparé le candidat socialiste à l’éléphant Babar, et Nicolas Sarkozy à Astérix. Quelle référence pour un ministre de l’Éducation Nationale qu’un ouvrage pour enfants…

Finalement, dans le cas de Mélenchon comme dans celui de Chatel, on aura moins retenu le message que le procédé. Et c’est bien fait. Car si les petites phrases de la vie politique donnent lieu à sélection pour le Prix de l’humour politique, ça n’est jamais ce qui fait avancer le débat. Par définition, la petite phrase n’a d’autre fonction que de combler le vide intersidéral de la pensée politique de celui qui la crée. Elle sert juste à occuper le terrain, faute d’un argumentaire puissant.

Et si encore, nos politiques s’arrêtaient là. Mais non. Parce que lorsqu’on n’a pas d’arguments, la meilleure des défenses reste encore l’attaque de ses adversaires. Et naturellement, du plus menaçant. Les habitués des Questions au gouvernement le savent bien : depuis un moment déjà, le gouvernement dans ses réponses, et parfois même les députés de la majorité dans leurs questions, n’ont cesse de justifier les soucis de notre pays par la faute du PS en général, et des 35 heures en particulier. Peu importe que le PS n’ait plus gouverné depuis 10 ans…

L’attaque n’est pas toujours la meilleure des défenses

L’UMP a en effet érigé l’anti PS en ligne politique. Depuis plusieurs mois, le parti majoritaire s’est fait une charte graphique à base du panneau danger du code de la route, histoire d’alerter sur la politique dangereuse que prônerait, selon lui, le Parti socialiste.

Derniers exemples en date : la tenue d’une convention sur le programme du PS, fin octobre, proposant un chiffrage largement exagéré des propositions socialistes, et la sortie ce jour d’un tract de 4 pages axé sur les propositions socialistes, et édité à 3 millions d’exemplaires.

En positionnant sa communication uniquement en défense, comme un parti de contre, l’UMP se limite aux réactions, et atteint alors sa limite : apparaître comme un parti cherchant à marquer des points par hasard, au faveur d’un contre, et non comme un meneur du jeu politique. Sidérant pour un parti au pouvoir.

La mauvaise foi institutionnalisée

Plus étrange encore, la mauvaise foi institutionnalisée. S’il reste naturel qu’un parti délivre des argumentaires et édite un comparatif entre les propositions des autres et les siennes, encore faudrait il pour cela se livrer à quelques préalables, et notamment s’assurer que l’on délivre des éléments fiables.

Sur ce tract, c’est loin d’être le cas. D’une part, le programme socialiste présenté par l’UMP est celui qui avait été voté par le PS, certes. Mais il a depuis été récusé par François Hollande, au motif qu’il avait été réalisé sur des hypothèses de croissance trop optimistes. Le candidat socialiste a annoncé qu’il présenterait la nouvelle mouture en janvier. Les éléments relatifs au PS contenus dans ce tract sont donc forcément faux, car dépassés.

D’autre part, l’UMP n’est pas plus fiable sur ses propres propositions. Si à ce jour, si l’UMP a produit une réflexion sur certains sujets épars via la tenue de conventions programmatiques, Bruno Le Maire a encore précisé ce lundi dans l’émission Mots Croisés que le candidat de l’UMP serait libre au regard de ses éléments. En d’autres termes, ce ne sera pas le programme définitif du parti majoritaire. Au final, l’UMP choisit donc d’agresser le candidat qu’elle craint le plus, sur la base d’une propagande totalement invérifiable. Et d’enfoncer le clou par la voix du Premier ministre, tout aussi vindicatif à l’égard du candidat socialiste, hier en meeting à Vertou.

A six mois de l’échéance présidentielle, quelle triste image de la politique que de constater cet enfermement permanent d’une très large partie de la classe politique, y compris au plus haut niveau de responsabilité, dans la politique politicienne, bien éloignée des préoccupations du corps électoral. Responsables politiques aspirant à la magistrature suprême, et partis les représentant, ressaisissez vous, et élevez le débat !

*Article publié sur Le Plus du Nouvel Obs à cette adresse

Assemblée Nationale : les papys font de la résistance !

Mais quel mouche a donc piquée Jack Lang ?

Dans une tribune publiée dans le Journal du Dimanche, l’élu PS, âgé de 72 ans, s’est estimé « promis à la guillotine » par la proposition d’Arnaud Montebourg de limiter à 67 ans l’âge limite des candidats PS à la députation en juin 2012. Alors que l’Assemblée nationale élue en 2007 affiche le triste record d’être la plus vieille de la Vème République, la question mérite pourtant d’être posée…

Montebourg a raison, et le sujet n’est pas nouveau. Il y a 15 ans, Juppé avait déjà tenté de refuser l’investiture aux plus de 75 ans, et s’était lui aussi attiré les foudres de ses pairs. Et pourtant, même si la population est vieillissante, on ne peut plus, dans une démocratie moderne, être représentés par des politiques devenus professionnels, et siégeant depuis des décennies.

Et pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. L’assemblée de 1981 était rajeunie. Celle de 1993 avait vu l’arrivée des bébés Chirac, avec les Baroin, Gaymard, Bédier, Muselier, … Ils étaient alors une poignée, âgés de moins de 36 ans. Quelques années plus tôt, en 1985, Laurent Fabius devenait Premier ministre…. A seulement 37 ans. Dans les années 80 et 90, la valeur n’attendait pas le nombre des années. Que nous est-il arrivé ?

Comment se sentir alors concernés par la vie politique, si l’on ne se reconnaît plus dans ceux qui nous gouvernent ?  Les jeunes, comme les femmes, sont voués aux circonscriptions perdues d’avance, lorsqu’ils parviennent à être candidats. Et lorsque l’on parle de jeunes, en politique, il s’agit d’aspirants élus jusqu’à quarante ans. Plus vraiment jeunes, mais pas encore assez vieux pour prétendre siéger.

Plus que l’âge de l’élu, c’est en effet le nombre de mandats successifs détenus par un élu qui pose question. Truster ainsi un siège fait échouer notre société dans le renouvellement de sa classe politique, qui finit dans une oligarchie totalement déconnectée de la réalité, faute de sang neuf. Résultat, notre chambre basse n’est pas à l’image de la société : trop peu de femmes, certaines catégories sociales –les ouvriers, par exemple- sont sous représentés.

Elle manque alors de vitalité. Et se trouve parfois en décalage sur les sujets sur lesquels elle est amenée à s’exprimer, comme ce fut le cas pour les lois Création et Internet successives, et finit par voter des lois inapplicables, devenant la risée des plus jeunes qu’elle est aussi censée représenter. Fracture générationnelle…

Certes, cela pose la question du statut de l’élu. Si les parlementaires souhaitent conserver leur siège, c’est aussi, pour une partie d’entre eux, parce que le retour dans leur métier d’origine est impossible. Même s’il s’agit d’une minorité, les élus mis en disponibilité de la fonction publique ou les professions libérales n’étant pas concernés par ce problème, cela permettrait aussi de résoudre le cas des simples salariés.

Une mise à plat générale, s’interrogeant sur la représentativité des élus, permettrait certainement d’avancer tant sur leur statut que sur l’accès à la candidature des différentes composantes de notre société. Et d’inciter les partis à plus de diversité.

Mais non. La question restera en suspend. Les aînés ont gagné -la proposition étant discriminatoire au yeux de la loi, même si une simple recommandation aurait pu être élaborée en ce sens au sein du PS, puisque c’était une question interne- et pourront tranquillement se présenter, ad vitam eternam, sans que le débat sur la représentativité ainsi ouvert ne soit prolongé. Les jeunes devront attendre d’être vieux pour pouvoir siéger, quant aux femmes… Mais les vaches parlementaires seront bien gardées.