Le Sénat, une alternance poil à gratter*

Voici deux mois aujourd’hui que le Sénat est passé à gauche. L’occasion de dresser un premier bilan, forcément rapide, sur les effets de l’alternance au sein de la Chambre Haute, en opposition avec l’exécutif.

Rappelons d’abord le rôle du Sénat. S’il dispose d’un rôle important dans les institutions, en constituant une assemblée permanente qui ne peut être dissoute, et dont l’accord est nécessaire pour toute révision constitutionnelle, le Sénat, dont le rôle de représentant des collectivités territoriales est désormais inscrit dans la Constitution, reste à relativiser. En effet, en cas de désaccord sur un texte, le gouvernement peut confier le soin aux députés de trancher. Et le Premier Ministre n’est pas responsable devant cette assemblée, qui se contente d’approuver, sur demande, une déclaration de politique générale. Voilà pour ce qu’en dit la Constitution.

Sur le rapport au pouvoir, en revanche, il serait faux de croire que le Sénat a toujours été, sous la Vème République, en bon terme avec l’Elysée et le Gouvernement. Nombreuses ont été les tensions, dès 1958, et de manière assez récurrente. Aussi rien n’est franchement nouveau dans cette alternance du Sénat par rapport à la couleur politique détenue par le pouvoir. Alors, concrètement, comment se passent les choses depuis deux mois ?

Jean-Pierre Bel, fraîchement élu président du Sénat en lieu et place de Gérard Larcher, à la suite des élections sénatoriales de septembre, qui ont donné la victoire à la gauche, a tenu hier une conférence de presse, pour faire le point. Au-delà de la traditionnelle langue de bois bien rabotée sur la mise en place d’une « gouvernance apaisée » de l’institution –on voit mal comment, d’un point de vue purement institutionnel, les sénateurs auraient pu jouer les rebelles-, on note une volonté très nette d’utiliser la Chambre Haute comme ballon d’essai d’un éventuelle arrivée au pouvoir de la gauche en mai 2012, en se positionnant sur le plan programmatique.

Coup de rabot sur les finances

Pour ce faire, le Sénat peut agir à plusieurs niveaux. D’abord, sur le plan administratif. Jean-Pierre Bel a annoncé la réduction du budget du Sénat de 3%. En ce sens, il suit le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer. Ca n’est pas une action de gauche, mais une action à portée nationale destinée à contribuer à l’effort national, en période de crise, par la réduction du budget des deux assemblées.

Plus courageuse en revanche, la décision d’entreprendre une réforme du régime de retraite des autorités du Sénat qui, elle, contribuera également à diminuer les coûts de fonctionnement de l’institution, mais devrait rencontrer quelques résistances, ou encore le souhait du président du Sénat de « lever l’opacité » sur le budget de la Chambre Haute, en affirmant souhaiter que celui-ci soit, à terme, débattu en séance publique.

Sans entrer dans la technocratie, ces annonces sont importantes. D’une part, parce que le Sénat a été au centre de plusieurs polémiques, dont plusieurs médias s’était fait l’écho, et auxquelles Médiapart avait consacré une large enquête -frais des questeurs, rémunérations des membres du cabinet du président, primes touchées par les sénateurs, montant de leurs retraites…- et même publié le si secret budget 2011 de la vénérable institution.

Si Gérard Larcher avait en son temps limité les dégâts en prenant quelques mesures, tant au sein de son cabinet qu’en matière de remboursement de frais, ainsi qu’en limitant les appartements de fonction, l’image de la Chambre Haute en avait pris un coup, et ces mesures d’urgence gagneraient à être pérennisées au gré d’une réforme plus globale.

Naturellement, si Jean-Pierre Bel parvient à mener ce dossier à son terme, il est évident que dans un avenir proche, l’Assemblée nationale devra procéder à des ajustements identiques, notamment sur les retraites des parlementaires. C’est dire si le sujet est loin d’être anodin.

Usage des prérogatives sénatoriales

Selon l’article 24 de la Constitution, le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Dans ce cadre, Jean-Pierre Bel a confirmé son intention, annoncée devant le Congrès des Maire de France cette semaine, d’organiser des Etats Généraux de la démocratie territoriale. Sur la base d’un questionnaire à destination des élus locaux, qui fera office de cahier de doléance, le Sénat réunira en février 2012 élus locaux et sénateurs, en vue d’interpeller les candidats à la présidentielle sur le malaise des élus locaux. Ou comment lancer la grenade de la réforme territoriale… que le Sénat a déjà dégoupillée.

En effet, le texte, voté en grandes pompes au terme de la navette parlementaire par l’Assemblée nationale, et instauré par la loi du 16 décembre 2010, a du plomb dans l’aile. Usant de leur prérogative en matière d’initiative des lois, certains sénateurs ont présenté une proposition de loi supprimant le conseiller territorial… qui a été adoptée, le 16 novembre dernier, contre l’avis du gouvernement. Sans être un arrêt de mort du conseiller territorial, c’est un sérieux coup d’arrêt qui y est porté. Certes, cette proposition n’a pas été votée par l’Assemblée nationale, mais elle lui a été transmise, et renvoyée en commission. Reste à inscrire le texte à l’ordre du jour… ou pas.

Si juridiquement, la réforme territoriale pourrait s’appliquer telle qu’elle a été votée, cela constituerait toutefois un passage en force vis-à-vis des élus locaux sur une réforme qui les concerne directement, sous la forme d’un affront à la chambre qui les représente de par la Constitution. Impensable à six mois de la présidentielle. Le dossier est donc enterré jusqu’en mai prochain. Si la droite remporte les élections présidentielles et législatives, cette proposition de loi sera enterrée, et la réforme s’appliquera. Mais si la gauche remporte les législatives, c’est la réforme territoriale qui sera enterrée. Suite au prochain épisode !

Enfin dans la même veine, et pour préempter une volonté de moderniser les institutions, les sénateurs ont adopté, le 15 novembre, une proposition de loi organique relative à la procédure de procédure de destitution du Président de la République  en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat, afin de prévoir les modalités d’application de l’article 68 de la Constitution, s’attaquant ainsi au statut juridique du président de la République, un chantier laissé en souffrance depuis la révision constitutionnelle de 2007. Là encore, le processus n’a aucune chance d’aboutir sous cette mandature de l’Assemblée Nationale.

Le Sénat use, par le vote de ces propositions de loi comme de ces Etats Généraux ou des efforts budgétaires, de tous les leviers qu’il peut actionner pour se positionner politiquement sur l’échiquier, en vue de la présidentielle à venir. Dans laquelle il entend bien jouer les poils à gratter !

*Papier publié sur Marianne à cette adresse

#UEMedef11 : de la parité en politique

© Sophie Le Roux

La plénière Le féminisme est-il un humanisme ? fut l’occasion pour Jean-François Copé de revenir sur le sujet ô combien délicat de la parité en politique… certains partis -dont le sien- préférant payer des amendes pour non respect de la loi sur la parité plutôt que de présenter le quota requis de candidates.

Alors que je m’attendais à une énième version du discours sur le manque de femmes formées en politique –ce qui n’est pas toujours faux, mais il faut bien admettre qu’on ne fait pas grand-chose pour repérer les bonnes-, Jean-François Copé a dressé un constat un peu plus réaliste que d’habitude au sujet de l’absence de parité à l’UMP, et étalé de manière relativement juste les difficultés qu’il rencontre à concilier parité et investitures.

Selon le secrétaire général du parti majoritaire, les hommes élus refusent de lâcher leur circonscription d’élection, et chaque fois que le parti tente d’imposer une femme, ils menacent de se présenter sans étiquette. Ce qui fait prendre un risque d’échec au parti… et pose un rapport de force entre la tête nouvelle, plus difficile à installer, et le vieux loup qui risque de remporter tout de même l’élection, mais sans ne plus rien devoir au parti. Ou le risque de l’indépendance, pour un résultat qui ne verrait pas émerger de femmes…

Face à ce dilemme, Jean-François Copé annonce vouloir présenter 50% de femmes dans les circonscriptions non détenues actuellement par la majorité. Et d’enfoncer le clou : « sur ce sujet, il vaut mieux être minoritaire ». Avant de préciser sur quel type de scrutin : « Quand c’est uninominal, là c’est horrible. ». En effet, pour les scrutins de listes, la question est plus simple, l’UMP appliquant automatiquement la parité. Et de nous sortir une bien jolie phrase pour plaire aux dames : « J’assimile le machisme à une certaine forme de racisme. Derrière le machisme, il y a en réalité une certaine forme de rejet et d’exclusion. » Paroles, paroles, paroles…

Si je trouve intéressante la prise de position de Copé, qui va un peu plus loin dans les coulisses de la vie politique, et évoque donc –à mots couverts- la difficulté pour un grand parti de gérer les candidatures dissidentes –ce qui le porte à sacrifier les femmes et c’est un premier pas que de le reconnaître-, je note cependant un trou béant dans sa démonstration : quid des alliances ? Car si la parité se heurte aux sortants, elle se heurte également aux étiquettes, lorsque les petits partis viennent à négocier quelques circos en échange de leur soutien.

Les femmes en nombre au Palais Bourbon, ça n’est pas pour demain. Et la réforme des collectivités territoriales faisant sauter l’élection régionale –qui elle, était sur scrutin de liste- le progrès en la matière n’est pas pour demain : la parité va reculer, plutôt que progresser. Et ça, personne n’en parle…

Vous avez dit République ???

Revenons un instant sur les déclarations du Président de la République sur la réforme territoriale, et l’instauration de conseillers territoriaux : « Les conseillers territoriaux seront élus dans un canton, au scrutin majoritaire uninominal à un tour, a précisé le président, avec 20% des sièges répartis à la proportionnelle. »

Déjà, un scrutin uninominal à un tour signifie la perte de la notion de représentativité. Sauf en cas d’entrée en course de peu de candidats, l’élu arrivé en tête au premier tour l’emportera… avec une très faible représentativité, entre 15 et 20% des suffrages exprimés, soit bien moins si l’on tient compte de l’abstention. La dose de proportionnelle sur un tel scrutin consacre quant à elle l’invention de l’élection-nomination ! La proportionnelle permettra de répartir 20% des sièges en fonction des résultats exprimés… soit d’élire des personnes qui n’auront pas remporté l’élection : c’est l’émergence de l’élection-nomination !

« C’est un scrutin profondément démocratique, inspiré d’ailleurs d’une proposition de Léon Blum en 1926, reprise en 1972 dans le programme du Parti socialiste: toutes les voix comptent », a affirmé le chef de l’Etat.

Ce scrutin voit au contraire la prime aux deux grands partis, et vise manifestement à la disparition du pluralisme des partis, principe de la Vème République. Quant au saupoudrage par la proportionnelle, il vise à nommer -et non élire- sur liste des candidats qui ne se seront pas présentés au 1er tour, ou qui ne l’auront pas remporté. Comment oser dire que toutes les voix comptent, alors que les élus ne représenteront qu’un maximum de 15% des voix ??? Cette réforme vise à instaurer un bipartisme à l’américaine, en aucun cas à représenter le peuple dans la tradition française qui est le pluralisme des partis.

Quant à nous expliquer que c’est inspiré d’une proposition de 1926… Vive la modernité !!! C’est oublier que la constitution de la IIIème n’était pas tout à fait rédigée dans le même esprit que la Vème… C’est tout de même extraordinaire qu’un président qui se dit de droite aille chercher une justification de sa politique auprès des fantômes de Blum et de Mitterrand… D’ailleurs, ce dernier ayant plus tard, en 1982 et 1983, été à l’origine des premières lois de décentralisation, peut on se demander pourquoi à l’époque cela n’avait pas été retenu ? Et oser émettre l’idée que peut être, ce n’était pas opportun ?

Après le saucissonnage des circonscriptions dans un découpage le plus favorable possible à Nicolas Sarkozy – n’est-ce pas Marie-Anne Montchamp, sacrifiée sur l’autel du villepinisme !- voilà la réforme territoriale destinée à reprendre la main sur les régions et les départements en même temps. Elle est belle la démocratie à la sauce Sarkozy… qui ressemble de plus en plus au sénateur Palpatine. Encore un fantasme de jeunesse ? Star Wars, c’était censé rester de la fiction…