Ce mardi 15 novembre, le locataire de l’Elysée est parti en croisade contre la fraude sociale.
Au menu, les dépenses de maladie qui pourraient être évitées si certains ne fraudaient pas, en abusant d’arrêts maladie non justifiés.
Une quatrième journée de carence a donc été mise en place dans le privée, et une première dans le public.
Certes, ces abus existent. Mais ils représentent 1% des dépenses… Comment peut-on punir 100% des assurés pour 1% de fraudeurs ? C’est un terrible signal envoyé à la population : chacun devra désormais payer les erreurs de quelques uns. Comme l’a dit le député Alain Vidalies lors des Questions au Gouvernement, cela revient à vouloir limiter les excès de vitesse en retirant un point sur le permis de tous les conducteurs. Quelle injustice !
Ou comment dresser les uns contre les autres. Déjà, parce qu’au hasard de la médiatisation de ce sujet, nombreux sont ceux à avoir découvert que les fonctionnaires n’avaient pas de période de carence. Ensuite, parce qu’on le dit moins, mais certaines entreprises prennent en charge la période de carence, selon les dispositions de la convention collective nationale dont elles dépendent.
Si jusque là nous avions un système à deux vitesses –ceux qui n’avaient pas de carence (qu’elle soit prise en charge par leur entreprise, ou qu’elle n’existe pas) et ceux qui avaient 3 jours de carence (les autres), on passe maintenant à un un système à trois vitesses :
- Ceux du privé dont la carence sera prise en charge : pas de carence
- Les fonctionnaires : 1 jour de carence
- Les autres, agent de service public non titulaire, salariés ne dépendant pas d’une CCN couvrant la carance, ou chômeurs : 4 jours de carence
Qui sera lésé ? Ceux qui ne pourront pas se permettre de perdre leur rémunération pendant la durée de la carence. Donc pas les salariés dont elle est prise en charge. Certes, une partie des fonctionnaires trouvera hyper dur de perdre une journée de salaire, soit 5% de leur traitement. Mais ceux qui seront vraiment dans la difficulté sont ceux qui perdront non plus 3 mais 4 jours de salaire, soit 20% de leur traitement. Un système totalement inéquitable, même si Valérie Pécresse a annoncé ce mercredi à l’Assemblée qu’il l’était. Mensonges…
SI le gouvernement se targue d’être courageux, force est de constater qu’une fois de plus, il n’a fait qu’une réformette, au lieu de réformer. Sans comprendre l’importance de la justice sociale, pour permettre de recueillir l’adhésion de la population.
Ainsi, pourquoi n’avoir pas aligné la situation du public sur le privé ? Pourquoi ne pas avoir passé la carence de tout le monde à 4 jours ? On pourra m’opposer que dans le privé, les entreprises prennent en charge la carence. Non, pas toutes. Et celles qui le font passent par des accords sociaux, lors des négociations des conventions collectives. Il s’agit d’un avantage qui existe au sein d’une entreprise, et non d’un acquis social que le salarié conserverait tout au long de son parcours professionnel. Exactement comme l’intéressement, la participation, le 13ème mois… Autant d’avantages qui n’existent pas pour tous les salariés.
A noter que si les fonctionnaires ne seront soumis qu’à une journée de carence, ça n’est pas le cas de leurs collègues non titularisés. En effet, les agents du secteurs public contractuels sont, en dessous d’une certaine ancienneté, également soumis à la carence, et eux aussi vont passer à quatre jours… Ou quand ces inégalités criantes peuvent exister au sein même du secteur public. Cruelle réalité.
Il aurait donc été juste que le gouvernement ne soit pas source d’inéquité, et imposent aux fonctionnaires les mêmes règles qu’aux autres. Réalisant ainsi une forte économie sur les dépenses de l’Etat, or c’est soit disant le but recherché. Dans la même veine, il aurait été judicieux aussi d’aligner le système de santé en vigueur en Alsace Moselle sur le régime général. Là encore, il y a une belle niche fiscale qu’aujourd’hui, plus rien ne justifie.
Juste un détail : les chômeurs sont aussi concernés. A l’heure actuelle, je suis en arrêt maladie. L’indemnité journalière étant plafonnée, je perds 18,6% de revenus par rapport aux Assedics avant même de tenir compte de la période de carence. Imaginez un peu ce que cela représente en cas de maladie. Or le chômeur, lorsqu’il n’est plus en mesure pour des raisons de santé de rechercher un emploi, de se rendre aux entretiens, ou de reprendre un travail, est obligé d’accepter un arrêt de travail : ne pas le faire constituerait une fraude aux Assedics…
Les entreprises, elles aussi, devront toutefois passer à la caisse. Celles qui couvrent déjà la période de carence de 3 jours devront certainement payer ce 4ème jour de carence. Et elles n’auront pas directement leur mot à dire, si ce n’est par la voix de leurs représentants dans les instances de négociations. En effet, le paiement des jours de carence dépend de l’affiliation à une convention collective nationale (CCN) qui la prévoit, ou pas. Les CCN devront être renégociées pour inclure ou non ce 4ème jour. Il est fortement probable qu’elles choisissent d’en accorder le paiement.
Enfin les malades qui abusent seront soumis à des sanctions financières en cas d’arrêt abusif : il leur faudra rembourser les prestations indues. Les contrôles seront plus fréquents. C’est plutôt une bonne intention. Reste que dans certains cas, il est compliqué de déterminer avec exactitude le bon timing pour un arrêt, ou la notion d’abus.
Il serait illusoire de nier la mise à l’abri de salariés qui sont en souffrance au travail, et pour lesquels l’impact est difficile à évaluer. Faut-il alors les renvoyer de force sur leur lieu de travail, et attendre qu’ils s’y suicident ? Ce problème ne peut être déconnecté du fonctionnement même du travail. Et par exemple, de la difficulté à faire reconnaître un harcèlement moral quand aucun collègue ne veut témoigner, par craintes de représailles, et que les preuves sont difficiles à recueillir. Ou les effets de la pression constante dans certains emplois, qui nécessitent parfois un court arrêt pour mieux repartir… Pour mémoire, le burn-out, c’est 3 à 4 mois d’arrêt. Faut il en arriver là, ce qui coûtera bien plus cher ?
Reste qu’il aurait fallu aller plus loin. Lorsque l’on demande un effort aux citoyens, il faut aussi demander un effort aux autres acteurs économiques. En l’occurrence, il aurait été alors nécessaire de proposer un véritable plan de lutte contre la fraude sociale au sein des entreprises, notamment aux cotisations sociales, et l’assortir de très fortes contraintes, suffisamment dissuasives pour que les entreprises concernées cessent de frauder.
Mais non. Le gouvernement a choisi de s’en prendre uniquement aux citoyens, et pas n’importe lesquels : les malades. Au final, ce 4ème jour de carence, et 1er dans le secteur public, renforcera les inégalités entre citoyens, aggravera la situation des malades les plus démunis, et augmentera les charges des entreprises.
A noter que ces mesures interviennent à peine deux mois après l’augmentation des taxes sur les mutuelles, qui elles aussi auront de lourdes conséquences sur la santé de nos concitoyens : une augmentation des charges pour ceux qui pourront encore se payer une mutuelle, et une baisse de la prise en charge pour ceux qui ne pourront plus.
Désormais, il y aura donc les citoyens avec avantages en fonction de leur entreprise, et ceux sans. Mais aussi les citoyens avec mutuelle, et ceux qui ne peuvent se l’offrir. En d’autres termes, le système social ne cesse de régresser, et l’esprit dans lequel il a été instauré en 1945 est bel et bien mort.