Le #BenallaGate : une question de confiance

Depuis les révélations du journal Le Monde le 18 juillet, tout le monde ou presque a entendu parler du BenallaGate, du nom d’Alexandre Benalla, ce collaborateur du Président de la République qui aurait eu la main leste lors de la manifestation du 1er mai dernier, sur laquelle il était observateur. Mais ce feuilleton de l’été cache-t-il un scandale d’Etat ? Décryptage.

Un collaborateur qui jette le discrédit sur le Président

La faute de Benalla, basée sur son comportement dont il sera à démontrer s’il est délictueux ou non, est très fortement politique. Cette affirmation ne remet pas en cause la gravité des faits : si un observateur invité sur une manifestation a outrepassé son rôle, il devra en répondre devant la justice, qui est saisie. Je ne m’exprimerai donc pas sur les faits, afin de préserver sa présomption d’innocence.

Quand on gère un dossier aussi sensible que la sécurité, et que l’on est en charge de la réorganisation de sa sécurité, on sait que cela va créer des remous. Et donc, on se montre très prudent. Si l’on est un peu malin :

  • on ne va pas en observateur sur une manifestation dont on sait par le renseignement qu’elle va être chaude.
  • Si on y va quand même, on ne prend aucun risque. Donc surtout pas celui de « vouloir aider », selon les propres termes de l’intéressé, au risque de se mettre en tort.
  • Si on l’a fait quand même et qu’on a été repéré par une vidéo, on démissionne pour ne pas exposer la présidence. Même si on nous dit que ça n’est pas la peine.
  • Bien sûr, comme il y a un risque que ce départ pointe l’existence d’un problème, on dit tout de suite la vérité. Comme cela a été fait pour les ministres qui ont été démissionnés. Le tout au nom de la morale.
  • Et si on ne le fait pas, on ne récupère pas un CD-Rom dont on ignore le contenu et la provenance. C’est comme pour les bagages, on ne prend jamais ceux des autres car ils peuvent contenir des objets interdits (drogue, armes, etc…). Un CD-Rom aussi. Donc, on est malin et on ne prend pas.
  • Et si malgré tout on le prend, on ne le passe à personne. Surtout pas sans savoir ce qu’il contient.

En résumé, Alexandre Benalla a commis une série d’imprudences -à la justice de dire s’il a commis des faits répréhensibles-, qui sont autant de fautes professionnelles au titre de son rôle de collaborateur du Président de la République, parce qu’il a exposé le Président à un épisode médiatico-politique. N’importe quel collaborateur politique le sait.

En toile de fond, un désaccord sur les questions de la sécurité du Président

Alexandre Benalla a-t-il été victime d’un complot ? Déjà, peu importe. Le rôle d’un collaborateur, en particulier à ce niveau, est de savoir parer les coups, d’où qu’ils viennent et quelle que soit leur forme. Donc si on a cherché à l’atteindre, il n’a pas été en mesure de l’éviter ni de se sacrifier. C’est aussi une faute.

Ensuite, sur la qualification de cet épisode : de la même manière qu’il ne s’agit pas d’un scandale d’Etat, le terme « complot » est totalement exagéré. S’il reste possible que cette affaire ait pu servir à délivrer un message au Chef de l’Etat, concernant son projet de réforme des services de sécurité, il ne s’agissait en aucun cas d’atteindre ou de faire tomber le Président.

Le sujet de la sécurité du locataire de l’Elysée est sensible, et ne peut être pris par-dessus la jambe. Le GSPR, qui assure cette mission, est composé d’hommes et de femmes triés sur le volet, titulaire d’une formation complète et de très haut niveau. De tous temps, il y a eu des frictions entre les différentes composantes des services de sécurité, et ils ont souvent été réorganisés. De Gaulle avait ses gorilles, Mitterrand a créé le GSPR sur la base des gendarmes, Sarkozy a préféré les policiers, Hollande a fait un mix… Ces questions ne sont pas nouvelles.

S’il est possible de modifier l’institution, comme cela a été le cas à plusieurs reprises par le passé, cela demande du doigté dans la réflexion et dans le choix des hommes qui la portent. Leur crédibilité est nécessairement la garantie d’une réforme réussie. Mais la simple idée qui circule -et qui demande à être démontrée- selon laquelle un jeune collaborateur de 26 ans aurait pu donner des ordres au GSPR peut expliquer qu’il y ait eu une volonté de le faire tomber. Si c’est le cas -et pour le moment on n’en sait rien-, ça n’est en aucun cas un complot : simplement un message… Rien de très étonnant là-dedans, prétendre le contraire serait d’une naïveté qui ne convient pas à une analyse sérieuse de la situation.

Une séquence médiatique désastreuse sur le plan politique

Ces fautes sont telles qu’elles ont engendrées une séquence désastreuse pour toute la classe politique.

A quelques exceptions près -dont le Premier Ministre et quelques rares députés- la majorité s’est enlisée dans une gestion de la crise absolument catastrophique, tant sur le plan de la communication que sur le plan politique, faute d’avoir compris le risque de feuilleton que recelait cet épisode :

  • Diffusion d’éléments de langage à géométrie très variable, témoignant d’une vraie panique à bord : Diffusion d’une première salve d’éléments de langage indiquant que le Président de la République n’avait rien à voir avec cette affaire et qu’Alexandre Benalla voulait voir comment se gérait une manifestation. Puis sur une deuxième faute (la récupération d’un CD-Rom contenant les images de la Préfecture de Police de Paris), qui justifierait son licenciement. Après avoir dit pendant deux jours que tout cela ne concernait pas le PR, ils ont relayé sa grandeur de se déclarer responsable, changeant de pied à 180°. Enfin, ils se sont rués sur le premier sondage un poil favorable au Président, sans la prudence requise en la matière, avant d’être contredits par le suivant qui place le Président au plus bas de sa popularité.
  • Refus de créer une commission d’enquête parlementaire: face aux multiples rappels au règlement en pleine étude du #PJLConstit à l’Assemblée Nationale, qui bloquent de fait les débats, la majorité finit par céder et constitue sous la pression la commission des lois en une commission d’enquête, qu’elle avait d’abord refusée.
  • Refus d’auditionner certains protagonistes de l’affaire (dont Alexis Kohler, Secrétaire Général de l’Elysée ou encore Christophe Castaner, Délégué Général de la République en Marche) au motif que cela n’aurait pas été nécessaire. Dans le même temps, on apprend qu’ils seront auditionnés par le Sénat. Ce qui de fait, affaiblit la chambre basse au moment même où était discuté le #PJLConstit, tuant le texte dans sa rédaction initiale.
  • Erreur de #compol de Christophe Castaner : à la fois Ministre des Relations avec le Parlement et Délégué Général d’En Marche, Castaner était bien au Parlement au plus fort de la crise, mais a soigneusement évité l’hémicycle, pour éviter les questions gênantes sur Vincent Crase, salarié d’En Marche qui accompagnait Benalla. En revanche, il n’a pas eu l’idée d’éviter un clash de 10 minutes avec Marine Le Pen en salle des Quatre Colonnes, le tout devant les caméras de télévision.
  • Prise de parole du PR totalement à côté de la plaque: faute d’avoir pris la mesure de l’ampleur de la crise, celle-ci a eu lieu dans un cadre privé, devant les seuls députés LREM, avec en organisant la fuite du contenu en vidéo : on y voit le PR se moquer des rumeurs, se déclarer fier de son collaborateur et être responsable, avant de déclarer un mythique « Qu’ils viennent me chercher », dont on peut parier, au vu de son immunité le temps de son mandat, qu’il restera dans les annales. Il a depuis ajouté qu’il s’agissait d’une « tempête dans un verre d’eau », choisissant une stratégie de gestion de crise par le déni, alors que 80% des sondés se sont déclarés choqués et 73% ont jugé l’affaire « grave ».
  • Auditions troubles de la chaîne de commandement : entre le Ministre de l’Intérieur qui a prétendu lors de sa première audition ne pas savoir grand-chose, et le Secrétaire Général de l’Elysée qui s’est pris une leçon de droit constitutionnel par le président de la commission des Lois du Sénat (lui-même ancien Secrétaire Général de l’Elysée), on ne peut pas dire que les proches du Président aient brillé.
  • Plan de communication d’Alexandre Benalla, manifestement piloté par Le Château : une interview dans Le Monde, le 20h de TF1 totalement relooké pour la circonstance, et une interview dans le JDD. Le tout pour dédouaner le Président et assumer l’aspect politique de la crise.
  • Bonus Track : la diffusion d’images illégalement obtenues ?  il semblerait que des militants LREM aient diffusé sur les réseaux sociaux des images issues de la vidéosurveillance de la Préfecture de Police. Ce qui en ferait les receleurs d’images obtenues illégalement et pose la question de qui leur aurait fournies. Ce point reste à vérifier par la justice, qui a étendu son enquête à ce point. Si c’est le cas, l’erreur politique est abyssale.

Les oppositions, si elles avaient plutôt bien démarré leur gestion politique :

  • Utilisation des rappels au règlement à l’Assemblée nationale pour demander la venue du Premier Ministre, pour s’expliquer sur ce qu’il s’est passé le 1er mai au regard des révélations du Monde sur l’affaire Benalla et contraindre la majorité à constituer une commission d’enquête parlementaire et contraindre le gouvernement à s’expliquer.
    C’est en partie réussi grâce à Boris Vallaud, qui déterre le point technique qui permet de faire constituer la commission des lois en commission d’enquête. Le gouvernement, lui, ne viendra pas s’expliquer. Mais l’examen du #PJLConstit sera suspendu.
  • Participation à la commission d’enquête parlementaire : les oppositions ont su, au début de la commission d’enquête, se montrer au travail dans la recherche de la vérité. Guillaume Larrivé, co-rapporteur, s’était même révélé dans ce rôle. Sans toutefois obtenir l’audition des témoins souhaitées par les oppositions.

Hélas, elles ne se sont finalement pas montrées à la hauteur de la situation, tant elles ont péché par excès :

  • Demandes d’auditions fantaisistes : La France Insoumise a exagéré dans ses demandes, en réclamant l’audition d’Alexandre Benalla, qui semble malvenue au regard de l’instruction judiciaire en cours vu que la commission d’enquête de l’Assemblée nationale porte sur le même périmètre (contrairement à celle du Sénat qui lui, peut donc l’auditionner), et du Président de la République, qui n’est pas possible en vertu de notre Constitution.
  • Clash en commission d’enquête: faute d’obtenir les auditions souhaitées et en raison de l’obstruction de la présidente de la commission des lois, les oppositions ont quitté la commission. Pour des raisons tactiques, il aurait été préférable d’aller au bout de la vie de la commission, quitte à gérer ces différents au moment de la rédaction du rapport.
  • Motions de censure : deux motions de censure, de droite et de gauche, ont été déposées sur la base de l’art. 49-2 de la Constitution. C’est une erreur politique que d’obliger le Premier Ministre à répondre sur un dossier qui concerne manifestement le Président de la République, puisqu’il s’est lui-même déclaré responsable. Ce n’est pas parce que l’on a une arme qu’elle est appropriée.

Un effet difficile à quantifier aujourd’hui

Aujourd’hui, personne ne peut présumer de l’impact qu’aura cette affaire dans l’esprit des Français. Les sondages sortis depuis l’affaire sont contradictoires, et ne représentent qu’un instantané. C’est dans la durée que l’on verra si cet épisode a imprimé dans la population ou non.

Bien sûr, les corps intermédiaires, tels que les syndicats, tenteront dès la rentrée de souffler sur les braises de cet épisode pour tenter de mettre à mal les prochains textes qui seront étudiés, comme la réforme des retraites. C’est de bonne guerre. Et le Sénat pèsera de tout son poids, notamment lors des commissions mixtes paritaires, pour amoindrir les textes présentés par le gouvernement. C’est aussi un jeu politique.

L’autre bataille attendue sera celle des institutions. A ce jour, le #PJLConstit est suspendu et non retiré. Cependant, ce texte a du plomb dans l’aile, au moins dans sa rédaction actuelle. François de Rugy, président de l’Assemblée nationale, a déjà annoncé au perchoir être prêt à travailler avec tous ceux qui le voulaient pour amender ce texte. C’est donc une indication formelle quant aux modifications qu’il devra porter. Et pour cause : ce texte devra être ratifié soit par le Congrès à la majorité des 3/5ème, dont ne dispose pas le Président -et on sait déjà que le Sénat n’est pas acquis- ou par référendum… une voie pas plus acquise, d’autant plus à la suite de cet épisode.

Mais surtout, le calendrier électoral est chargé et assez défavorable à la majorité :

  • Juin 2019: élections européennes. Ce scrutin est traditionnellement marqué par un fort désintérêt des électeurs, une forte abstention, et un poids élevé des extrêmes. Pour l’emporter ou limiter les dégâts, la majorité devra donc constituer une alliance avec les pro-européens compatibles. Un exercice rendu difficile par cet épisode : la majorité devra faire des concessions.
  • Mars 2020: municipales. Lors de ce scrutin, les Français votent au plus près, pour une personnalité plus que pour un parti. La majorité, qui ne dispose ni d’élus locaux, ni de troupes militantes, devra là encore passer par des alliances dans la plupart des cas. Si déjà, la suppression de la taxe d’habitation, qui a fragilisé les ressources des collectivités territoriales, avait rafraîchi l’envie de certains élus susceptibles de s’allier à En Marche, cet épisode ne va certainement pas leur donner envie de s’attacher des boulets aux pieds.
  • Septembre 2020: sénatoriale. Ce scrutin dépendra des municipales. Et donc, de la possibilité pour le Président de disposer d’une majorité à la chambre haute.
  • Décembre 2021: départementales et régionales. Ces scrutins auront lieu pendant la pré-campagne des présidentielles. Ce sera chaud.
  • Avril / Mai 2022: présidentielles.

Un épisode qui questionne à nouveau le rapport de confiance entre la classe politique et les Français

Fatalement, il en découle la question de la confiance en la classe politique, à tous les échelons :

  • Au niveau du Président, il subsiste des questions sur la raison qui aurait pu le pousser à conserver auprès de lui un collaborateur l’ayant exposé. Cette simple interrogation l’affaiblit, parce qu’elle donne le sentiment, supposé ou réel, d’une dissimulation
  • Au niveau de la majorité, parce qu’elle a clairement cherché à minimiser les répercutions de cet épisode -ce que l’on peut comprendre-, en usant de son pouvoir d’obstruction de la commission d’enquête au sein de l’Assemblée nationale.
  • Au niveau de l’opposition enfin, parce qu’elle est allée trop loin dans ses requêtes, est retombée dans le jeu politicien habituel et a donc manqué de hauteur.

Au vu de ce que l’on sait à ce stade, et étrange que cela puisse paraître aux néophytes, le #BenallaGate n’est pas un scandale d’Etat. Mais c’est assurément plus qu’une tempête dans un verre d’eau. Parce que cette affaire met en lumière plusieurs points saillants de la relation entre les hommes et femmes politiques et les Français. Et en particulier celle de la relation de l’homme au pouvoir. De tous temps, ce sujet a été au centre de la vie politique. Que se passe-t-il dans la tête de ceux qui détiennent un quelconque pouvoir sur autrui ? Comment s’en servent-ils ? A quel moment l’outrepassent-ils ?

Si le Président a pour le moment échoué dans sa promesse de rétablir la confiance entre les politiques et les Français, il faut également noter que les oppositions n’ont pas fait mieux. Or le dégagisme politique de 2017, qui a permis l’élection d’Emmanuel Macron, se basait bien sur un souhait réel des Français d’avoir à la tête de l’Etat un Président capable de mener les réformes, mais aussi de moderniser le monde politique.

Force est de constater que le nouveau monde n’est pas exempt des faiblesses de l’ancien. Or cette question de la confiance sera assurément, faute d’avoir été réglée et indépendamment des programmes de chaque parti, au cœur des prochains scrutins.  A suivre…

Le Sénat, une alternance poil à gratter*

Voici deux mois aujourd’hui que le Sénat est passé à gauche. L’occasion de dresser un premier bilan, forcément rapide, sur les effets de l’alternance au sein de la Chambre Haute, en opposition avec l’exécutif.

Rappelons d’abord le rôle du Sénat. S’il dispose d’un rôle important dans les institutions, en constituant une assemblée permanente qui ne peut être dissoute, et dont l’accord est nécessaire pour toute révision constitutionnelle, le Sénat, dont le rôle de représentant des collectivités territoriales est désormais inscrit dans la Constitution, reste à relativiser. En effet, en cas de désaccord sur un texte, le gouvernement peut confier le soin aux députés de trancher. Et le Premier Ministre n’est pas responsable devant cette assemblée, qui se contente d’approuver, sur demande, une déclaration de politique générale. Voilà pour ce qu’en dit la Constitution.

Sur le rapport au pouvoir, en revanche, il serait faux de croire que le Sénat a toujours été, sous la Vème République, en bon terme avec l’Elysée et le Gouvernement. Nombreuses ont été les tensions, dès 1958, et de manière assez récurrente. Aussi rien n’est franchement nouveau dans cette alternance du Sénat par rapport à la couleur politique détenue par le pouvoir. Alors, concrètement, comment se passent les choses depuis deux mois ?

Jean-Pierre Bel, fraîchement élu président du Sénat en lieu et place de Gérard Larcher, à la suite des élections sénatoriales de septembre, qui ont donné la victoire à la gauche, a tenu hier une conférence de presse, pour faire le point. Au-delà de la traditionnelle langue de bois bien rabotée sur la mise en place d’une « gouvernance apaisée » de l’institution –on voit mal comment, d’un point de vue purement institutionnel, les sénateurs auraient pu jouer les rebelles-, on note une volonté très nette d’utiliser la Chambre Haute comme ballon d’essai d’un éventuelle arrivée au pouvoir de la gauche en mai 2012, en se positionnant sur le plan programmatique.

Coup de rabot sur les finances

Pour ce faire, le Sénat peut agir à plusieurs niveaux. D’abord, sur le plan administratif. Jean-Pierre Bel a annoncé la réduction du budget du Sénat de 3%. En ce sens, il suit le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer. Ca n’est pas une action de gauche, mais une action à portée nationale destinée à contribuer à l’effort national, en période de crise, par la réduction du budget des deux assemblées.

Plus courageuse en revanche, la décision d’entreprendre une réforme du régime de retraite des autorités du Sénat qui, elle, contribuera également à diminuer les coûts de fonctionnement de l’institution, mais devrait rencontrer quelques résistances, ou encore le souhait du président du Sénat de « lever l’opacité » sur le budget de la Chambre Haute, en affirmant souhaiter que celui-ci soit, à terme, débattu en séance publique.

Sans entrer dans la technocratie, ces annonces sont importantes. D’une part, parce que le Sénat a été au centre de plusieurs polémiques, dont plusieurs médias s’était fait l’écho, et auxquelles Médiapart avait consacré une large enquête -frais des questeurs, rémunérations des membres du cabinet du président, primes touchées par les sénateurs, montant de leurs retraites…- et même publié le si secret budget 2011 de la vénérable institution.

Si Gérard Larcher avait en son temps limité les dégâts en prenant quelques mesures, tant au sein de son cabinet qu’en matière de remboursement de frais, ainsi qu’en limitant les appartements de fonction, l’image de la Chambre Haute en avait pris un coup, et ces mesures d’urgence gagneraient à être pérennisées au gré d’une réforme plus globale.

Naturellement, si Jean-Pierre Bel parvient à mener ce dossier à son terme, il est évident que dans un avenir proche, l’Assemblée nationale devra procéder à des ajustements identiques, notamment sur les retraites des parlementaires. C’est dire si le sujet est loin d’être anodin.

Usage des prérogatives sénatoriales

Selon l’article 24 de la Constitution, le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Dans ce cadre, Jean-Pierre Bel a confirmé son intention, annoncée devant le Congrès des Maire de France cette semaine, d’organiser des Etats Généraux de la démocratie territoriale. Sur la base d’un questionnaire à destination des élus locaux, qui fera office de cahier de doléance, le Sénat réunira en février 2012 élus locaux et sénateurs, en vue d’interpeller les candidats à la présidentielle sur le malaise des élus locaux. Ou comment lancer la grenade de la réforme territoriale… que le Sénat a déjà dégoupillée.

En effet, le texte, voté en grandes pompes au terme de la navette parlementaire par l’Assemblée nationale, et instauré par la loi du 16 décembre 2010, a du plomb dans l’aile. Usant de leur prérogative en matière d’initiative des lois, certains sénateurs ont présenté une proposition de loi supprimant le conseiller territorial… qui a été adoptée, le 16 novembre dernier, contre l’avis du gouvernement. Sans être un arrêt de mort du conseiller territorial, c’est un sérieux coup d’arrêt qui y est porté. Certes, cette proposition n’a pas été votée par l’Assemblée nationale, mais elle lui a été transmise, et renvoyée en commission. Reste à inscrire le texte à l’ordre du jour… ou pas.

Si juridiquement, la réforme territoriale pourrait s’appliquer telle qu’elle a été votée, cela constituerait toutefois un passage en force vis-à-vis des élus locaux sur une réforme qui les concerne directement, sous la forme d’un affront à la chambre qui les représente de par la Constitution. Impensable à six mois de la présidentielle. Le dossier est donc enterré jusqu’en mai prochain. Si la droite remporte les élections présidentielles et législatives, cette proposition de loi sera enterrée, et la réforme s’appliquera. Mais si la gauche remporte les législatives, c’est la réforme territoriale qui sera enterrée. Suite au prochain épisode !

Enfin dans la même veine, et pour préempter une volonté de moderniser les institutions, les sénateurs ont adopté, le 15 novembre, une proposition de loi organique relative à la procédure de procédure de destitution du Président de la République  en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat, afin de prévoir les modalités d’application de l’article 68 de la Constitution, s’attaquant ainsi au statut juridique du président de la République, un chantier laissé en souffrance depuis la révision constitutionnelle de 2007. Là encore, le processus n’a aucune chance d’aboutir sous cette mandature de l’Assemblée Nationale.

Le Sénat use, par le vote de ces propositions de loi comme de ces Etats Généraux ou des efforts budgétaires, de tous les leviers qu’il peut actionner pour se positionner politiquement sur l’échiquier, en vue de la présidentielle à venir. Dans laquelle il entend bien jouer les poils à gratter !

*Papier publié sur Marianne à cette adresse

Alain Lambert, libre dans sa tête

J’aime bien Alain Lambert. Comme beaucoup de Twitter’s, je l’ai découvert sur la branche (ndlr : Twitter), à force de gazouiller sur ce réseau social. Tout en sachant pertinemment qui il était.

Ancien sénateur –il a laissé son mandat pour rejoindre la Cour des comptes et laisser libre cours à sa passion pour les Finances publiques-, il est toujours président du Conseil général de l’Orne, et ancien ministre du Budget.

Fervent défenseur de son territoire sur tous les réseaux sociaux –qui n’a pas entendu parler de l’Orne ?- il est également très au fait des nouvelles technologies. Présent depuis longtemps sur Twitter, il nous a fait peur l’an dernier, en quittant le réseau social après une polémique ridicule, déclenchée par un de ses tweets envoyé depuis le perron d’une église. La presse locale s’est enflammée, l’accusant bêtement de ne pas respecter le culte… alors qu’il n’avait point twitté pendant la messe. La branche s’en est émue, réclamant son retour. Et un jour, il est revenu. Pour notre plus grand plaisir.

Agréable et accessible, il est en effet très apprécié des blogueurs et internautes, quelle que soit leur couleur politique, avec lesquels il aime échanger, dans le respect de la charte qu’il s’est fixée. Et ce n’est pas un vain mot. L’an dernier, c’est par un message privé que j’ai eu l’occasion de le découvrir. Habitué à lire mes politweets, il m’a proposé une rencontre, que j’ai acceptée avec joie.

Une semaine plus tard, par un vendredi de juillet, j’ai rejoint son bureau du Conseil général de l’Orne pour un apéro –sans alcool, je précise- fort chaleureux. Pendant plus d’une heure, nous avons discuté de politique, d’internet, de l’Orne que je connais un peu, de la Sarthe voisine où j’étais en congés, de nos connaissances communes, de notre vision de l’avenir… en toute simplicité.

Ancien ministre et homme politique, j’ai été frappé de constater son ouverture d’esprit, et son envie de dialoguer. Il ne suffit pas de la clamer sur les réseaux sociaux ou sur son blog –qu’il tient depuis 6 ans- pour en faire une réalité et pourtant, c’est le cas d’Alain Lambert. Car ce qui l’intéressait dans notre rencontre, c’était l’échange. Sur nos convictions de droite, sur les blogs, sur Twitter, sur la société, sur notre vision de l’avenir, sur sa passion pour la LOLF… Sur tout ce dont nous pouvons parler en ligne, mais IRL. In real life. En vrai.

Doté d’un bon sens de l’humour, ce sarko-juppéiste n’hésite pas aujourd’hui à mettre des limites, et à adresser un signal fort via Twitter au président de la République lorsqu’il dépasse les bornes… tout en ayant expliqué sa position sur son blog en avril dernier, après avoir déjà mis les warnings. Car si cette homme de droite a toujours soutenu la majorité présidentielle, il n’a rien d’un godillot et n’hésite pas à commettre quelque sacrilège… et se prend parfois à rêver de voir Alain Juppé se présenter. Encore un point commun entre nous !

Vous ai-je dit qu’il a 65 ans ? Cher Alain, pardonnez-moi de révéler votre âge –disponible partout sur le web- mais il me semble nécessaire de rappeler que les nouvelles technologies ne sont pas réservées à une tranche d’âge en particulier, et qu’il est bon de voir un ancien ministre –et non ses collaborateurs !-, fusse-t-il légèrement plus âgé que NKM ou Député Tardy, user de ce moyen avec une réelle maîtrise des outils pour partager sa pensée comme son travail d’élu local. Et d’aller plus loin, en route vers la démocratie ouverte.

Alain Lambert, libre dans sa tête, spécialiste des Finances publiques qu’il parvient à nous rendre sympathiques, passionné par l’Orne que nous avons l’an dernier portée en TT juste pour lui dire notre amitié : un vent de fraîcheur dans le petit monde politique de Twitter, que je vous incite vivement à follower.

Sénat : Le plateau passe à gauche

Depuis le basculement en siège du Sénat à gauche dimanche dernier, rendez-vous avait été pris pour l’élection au Plateau, à la présidence du Sénat. Un temps, Gérard Larcher et l’UMP avaient imaginé pouvoir encore l’emporter au finish, grâce à quelques voix des radicaux.

Très vite, de nombreuses voix s’étaient élevées pour noter combien il serait étonnant qu’une majorité de sièges à gauche ne saisisse pas l’opportunité de faire basculer le Plateau… Dommage toutefois que certains se soient laissés aller à contester le droit à Gérard Larcher de présenter sa candidature, un tel extrémisme n’honore pas la Haute assemblée.

En milieu de semaine, tout le monde était d’accord : la présidence était acquise à Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste, qui d’ailleurs était le seul candidat de gauche à se présenter. Tellement que les centristes ont saisi l’opportunité de se faire remarquer, en présentant la candidature de Valérie Létard à la présidence… histoire d’enfoncer le clou : la perte du Plateau était ainsi actée pour la droite. Le centre peut en profiter pour briller, et tenter de bénéficier de l’espace ainsi laissé.

Et puis il y eu un énième rebondissement. Enfin, faux rebondissement. Les Verts ont cru, en la personne de Jean-Vincent Placé, malin de laisser penser qu’ils présenteraient un candidat à la présidence. Hum… Je vous rappelle qu’ils ont seulement dix sièges. Ce qui en dit longs sur nos amis les Verts : peser par le chantage. Et après ça donne des leçons de vertu politique ??? Quand je pense qu’Eva Joly ose affirmer qu’avec elle « Je pense que nous sommes gouvernés par un clan qui se sert et qui instrumentalise les institutions françaises », j’ai la nausée.

Parce qu’instrumentaliser l’élection de Jean-Pierre Bel, c’est exactement ce qu’a tenté de faire Jean-Vincent Placé. Naturellement l’élu de l’Essonne a retiré sa candidature au matin même de l’élection. Le maître chanteur s’est dégonflé. Espérons pour la vie politique qu’il n’aura pas été satisfait ou que les promesses ne seront pas tenus : ces méthodes de voyous ne doivent pas être encouragées, il ne faut pas confondre négociation et chantage. Ni perdre de vus que la priorité d’un élu n’est pas nécessairement de se trouver un poste… Et dire qu’Eva Joly ose dire que « l’homme politique doit être exemplaire »… C’est ça, selon elle, l’exemplarité ? Quid de l’intérêt général contre ces intérêts particuliers ?

Les Verts, ou l’incarnation du Faites ce que je dis mais pas ce que je fais. Et champion du monde pour critiquer les autres sans être capables de faire le ménage chez eux. Et ce même si tout le monde n’était pas d’accord avec cette stratégie de type Jean Vincent veut se Placé. Un membre de la direction avait en effet lâché dans le Parisien : « Jean-Vincent avait peut-être envie de faire parler de lui… ». Réussi, mais en mal. Grosse perte de crédibilité pour EELV : des sales gosses, pour le sérieux des convictions on repassera.

Sous la présidence du doyen d’âge du Sénat Paul Vergès – 86 ans-, en compagnie du Bureau d’âge, composé des six plus jeunes sénateurs, l’ensemble de l’assemblée a procédé à l’élection de son président. Après le vote de chacun des sénateurs à la tribune, au scrutin secret, c’est sans surprise que le socialiste Jean-Pierre Bel a été élu avec 179 voix. Gérard Larcher, candidat de droite, a réuni sur son nom 134 voix et Valérie Létard, candidate centriste, 29.

Mardi, la composition des groupes politiques achèvera ce processus de renouvellement du Sénat. C’est à cette date que le rapport politique sera définitivement connu. La vie démocratique se poursuivra alors, au gré des alliances… parfois de circonstances, seul le budget étant le réel marqueur du rapport à la majorité. Les présidents de commission, eux, seront désignés mercredi.

Un remaniement tout riquiqui maousse costaud

Qui dit Sénat passé à gauche avec seulement quelques voix d’avance, dit grandes manœuvres pour tenter de rallier quelques radicaux à la candidature de Gérard Larcher, actuel président du Sénat, et qui se verrait bien conserver le Plateau.

D’autant que le vote à bulletin secret pourrait aider à quelques erreurs ou petits arrangements… du moins c’est ce que l’on aimerait nous faire croire.

S’il serait étonnant –voire malsain- que la gauche n’obtienne pas la présidence, notamment parce que tous les élus de gauche, fussent-ils radicaux, auront très certainement envie de participer à l’installation de leur camp à la Chambre Haute, il n’en reste pas moins que Gérard Larcher entend se battre jusqu’au bout. Et pour cela, il aura besoin de toutes les voix de droite.

Y compris celles des ministres élus, à savoir Chantal Jouanno, ministre des Sports, et Gérard Longuet, ministre de la Défense, leurs suppléants ne pouvant siéger avant un mois, ce qui les exclut du scrutin. Ce détail commun aux deux assemblées impose donc un remaniement, qui doit impérativement avoir lieu avant vendredi minuit, le vote ayant lieu samedi. Le plus tôt étant le mieux –inutile de paralyser la vie politique, très observée en ce temps de pré-campagne présidentielle- c’est aujourd’hui que le chef du Gouvernement a modifié son équipe, avec l’aval de l’Elysée.

Gérard Longuet, ministre de la Défense, a conservé son poste de ministre de la Défense… ce qui signifie qu’il n’apportera pas sa voix à Gérard Larcher. Une décision qui sonne déjà comme un aveu d’échec : si le président du Sénat avait été en mesure de conserver son poste, l’actuel locataire de l’Elysée aurait probablement démissionné le ministre de la Défense. Ou comment préparer en douceur la perte du Sénat. Il faut bien reconnaître que c’est ce que la droite a de mieux à faire : conserver le Plateau en étant minoritaire en siège serait extrêmement mal perçu par la population, qui y verrait une manipulation bien loin de la République irréprochable dont se targue le président, et qui est déjà bien mise à mal par les affaires qui se rapprochent de lui.

Autre avantage pour Sarko, ne pas perdre son ministre de la Défense au moment où la France est engagé dans plusieurs conflits. Quant à Longuet, ne pas démissionner lui ouvre le parachute. En effet, il pourra toujours revenir au Sénat quand bon lui semblera… Autrement dit, c’est un bon calcul pour tout le monde. Alors pourquoi Jouanno ? Et bien sa sortie du gouvernement facilite les choses. D’une part, elle est recasée au Sénat, et n’a pas à s’en faire pour ses six prochaines années ce qui pour elle, est tout de même inespéré. Soit jusqu’en 2017. Elle passera donc à travers les gouttes de la refondation de la droite, qui aura lieu que Sarko soit réélu ou pas, après juin 2012. Mais pourquoi ne pas attendre au chaud au gouvernement, comme Longuet ?

Et bien parce que cette sortie du gouvernement arrange quelqu’un d’autre, qui pourrissait au purgatoire du Secrétariat d’Etat aux Français de l’Etranger en attendant que le poste se libère enfin… depuis le 30 juin dernier ! C’est dire si David Douillet avait fait son temps. Passé sa période d’essai ministérielle, le voilà enfin nommé au ministère de ses rêves : l’ancien champion de judo devient ministre des Sports. Une carrière en accéléré pour celui qui n’est devenu député que le 18 octobre 2009, à l’occasion d’une partielle organisée à la suite de l’inéligibilité de Jacques Masdeu-Arus, puis secrétaire d’Etat aux Français de l’Etranger le 30 juin, et enfin ministre des Sports aujourd’hui.

Mais si la Douille devient ministre des Sports, qui le remplace au Secrétariat d’Etat aux Français de l’Etranger ? Personne, ces attributions seront réintégrées plus tard. Mouais, elles reviennent donc de fait à Alain Juppé, Ministre des Affaires Etrangères. Ou comment Sarko confirme après coup n’avoir créé ce poste que pour donner un titre à son pote. Ah elle est belle, la République irréprochable ! Bref, Douillet obtient ce qu’il voulait.

Au final, avec cet ajustement ministériel, Sarko nous offre comme le disait la pub, un remaniement tout riquiqui… maousse costaud. Histoire que tout le monde se souvienne bien que David Douillet avait fêté son premier jour en tant que Secrétaire d’Etat avec cette jolie boulette, je résumerai cela d’un seul mot : i-ni-ma-gi-naux ! De là à dire qu’aux Sports il a atteint son seuil de compétence et qu’en 2012 il risque de prendre Laporte… Z’êtes vraiment mauvaises langues !!!