Cannes, mai 2001. Sur la Croisette, je reconnais mes semblables : tous portent autour du coup un bout de plastique de couleur, maintenu par une épaisse chaîne clairement distinctive des cordons de tissus qui enserrent les autres accréditations.
Certains arborent outrageusement leur pass, d’autres le cachent sous leurs T-shirts, rempart infaillible pour ne pas se le faire arracher. Ce mystérieux morceau de plastique fait de ces heureux VIP les premiers membres de la Communauté de l’anneau. LE ticket pour assister à ce promo-reel, l’une des trois séances lors desquelles seront projetées 26 minutes du film que tout le monde attend : Le Seigneur des Anneaux.
A l’intérieur même de cette Communauté il y a différentes tribus, aisément identifiable à la couleur du sésame qui pend autour de ces cous chanceux. Le pass rouge indique Press Screening. En d’autres termes, il ouvre l’accès à la projection. Dès l’entrée dans la salle, un cerbère arrache les pass : il convient d’éviter que les petits malins ne profitent de leur avantage pour revenir à la séance suivante, et se gaver insatiablement de ces premières images. Parano marketing, quand tu tiens les studios…
Dans la même salle, se trouvent les gens de la tribu jaune. Le pass de cette couleur porte la mention Junket. Ceux qui le possèdent auront la chance d’interviewer l’équipe du film. Et si nous n’en faisons pas partie, ce n’est pas en raison d’un quelconque manque de notoriété de notre média, mais bel et bien de la politique marketing : le studio tient fermement la presse internet à l’écart du film. En coulisses, Peter Jackson lui-même explique qu’il se serait volontiers prêté à l’exercice, mais que contractuellement, le studio l’en empêche : tout doit passer par le site officiel. Tiens, ça rappelle l’attitude de la Warner concernant Harry Potter… à l’exception près que New Line fait les choses plus en douceur.
Au menu, trois séries d’images : d’abord une scène de 6 minutes, présentant les personnages et le sujet du film. On apprendra par la suite qu’elle a été légèrement modifiée et c’est tant mieux. Bien que visuellement exceptionnelle, elle était un peu longue, et souffrait d’un manque de rythme évident. Le programme se poursuit par une séquence de 14 minutes, au cours de laquelle les héros, menés par Frodon Baggins (Elijah Wood), n’ont d’autres choix que de passer à travers la montagne pour poursuivre leur progression pour parvenir à détruire l’anneau magique. Evidemment, le chemin est semé d’embûches… Montée très serrée, cette séquence recèle de plans parfois tournés à l’épaule.
Accentuée par le travail des costumes et des décors, l’impression de merveilleux mêlées à l’action constante donne une impression de vertige dans lequel le spectateur s’oublie avec ravissement. D’autant que tout, jusqu’au moindre choix de lumière, de tons et de couleurs, vient renforcer la traditionnelle opposition de la lutte entre le bien et le mal, le thème central du film. Détail amusant : la séquence est introduite par la musique de Gladiator. Un présage de succès ? Enfin la présentation s’achève par une bande-annonce extrêmement alléchante de 3 minutes, destiné à montrer le plus d’images possibles du film. Naturellement, c’est un tonnerre d’applaudissements qui clos ce promo-reel : le public est conquis.
Décembre 2001. New Line a décidé de sortir le film en quasi-simultané dans le monde entier à la veille de Noël. La fièvre monte autour du film, à tel point qu’aucune nouvelle image ne sera montrée à la presse avant l’avant-première officielle, qui aura lieu aux Etats-Unis le 10 décembre. Résultat, la projection presse française est extrêmement tardive, le 11 décembre. Mais Le Seigneur des Anneaux a-t-il vraiment besoin de la presse ? Et la presse a-t-elle vraiment besoin de voir le film pour en parler ? N’est-ce pas ça finalement, l’efficacité d’une campagne marketing ?
Depuis la diffusion des premières images à Cannes, le film n’a cessé d’être encensé. Certes 26 minutes ne sont pas représentatives d’un film, mais tout de même, on voit mal comment ce long-métrage pourrait être d’une qualité médiocre, quand on a vu le travail technique et précis de Peter Jackson. A en juger par la qualité des extraits du film, nul doute que le public suivra… Et permettra de rentabiliser les quelques 270 millions de dollars investis dans le film.
Reste donc à évaluer l’histoire ou plutôt la qualité d’adaptation de la trilogie de John Ronald Reuel Tolkien, puisque le roman, vendu à plus de 100 millions d’exemplaires à travers le monde, a largement fait ces preuves, grâce à une mythologie extrêmement efficace, basée sur l’idée que le Mal est au plus profond de chacun de nous. Un thème qui inspira entre autres George Lucas lors de la création de Star Wars. Et c’est bien là que se situe le véritable enjeu du Seigneur des Anneaux. Si les trilogies ne sont pas en concurrence dans les salles, elles le seront bel et bien en ce qui concerne leur impact sur les foules.
Et dans ce domaine, deux données feront la différence : le scénario – La Menace fantôme a beaucoup déçu – mais surtout, la technique. Et si jusque là ILM, la société d’effets spéciaux de Lucas, était LA référence en la matière, il se pourrait bien que Weta, la compagnie néo-zélandaise qui s’est occupé du Seigneur des anneaux, lui pique quelques marchés… Car à voir les premières images, les courses de pods de La Menace fantôme font pâle figure… Sans non plus signer la fin de l’empire Lucas, il est certain qu’il va falloir compter avec un sérieux concurrent, tant sur le plan technique, que cinématographique : il y a désormais une autre Trilogie dans l’histoire du cinéma…
19 décembre 2001. Sur les Champs-Elysées, je reconnais mes semblables : tous portent à la main un morceau de papier, aux couleurs du Seigneur des Anneaux. Ce mystérieux bandeau de papier glacé fait de ces spectateurs les premiers membres de la Communauté de l’anneau. LE ticket Premier Jour, diplôme officiel attestant que vous avez vu dès sa sortie le film que tout le monde attend : Le Seigneur des Anneaux. Dans la salle, au milieu des gobelets et autres packs de pop-corn géants, l’ambiance est bon enfant. La lumière s’éteint, et un silence religieux laisse enfin la place au film.
3 heures plus tard, un seul constat s’impose : l’audience est conquise par une adaptation fidèle, quasi didactique, mais surtout dynamique de l’œuvre de Tolkien. Comme annoncé, les effets spéciaux sont au delà de toute attente. Le film est complet : bon scénario, effets spéciaux au delà de toute attente, casting surprenant (mention spéciale à Liv Tyler), le tout mixé avec l’incontournable pointe d’humour qui sied à tout film de masse qui se respecte. Seul bémol : la dernière séquence laisse la porte grande ouverte pour le second volet de cette trilogie…
Allant au delà du concept de trilogie, Peter Jackson vient donc d’inventer celui de série cinématographique. Comme toute série, il se heurte a un inconvénient de taille : le film ne vivre par lui-même. Cependant cet écueil est largement minimisé par l’impact qu’a le film sur les foules, les spectateurs étant prêt à payer le prix fort de l’attente. Rendez-vous donc à Noël prochain pour le second épisode !
*Article rédigé pour Objectif Cinéma et publié à cette adresse