Paragraphe 175*

Près de soixante ans ont passé depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Depuis toutes ces années, de nombreux hommes n’ont toujours pas été reconnus comme victimes du régime nazi.

Ces hommes ont tous en commun d’avoir été persécutés au nom de leur différence sexuelle : l’homosexualité. Paragraphe 175 mène pour la première fois en images l’enquête sur ces oubliés de l’Histoire.

L’étrange amnésie hétérosexuelle

A travers des images d’archives, mêlées aux témoignages d’homosexuels ayant survécu à la guerre, le film évoque la manière de vivre son homosexualité, des années 20 à l’après-guerre. Des années folles berlinoises, au cours desquelles l’homosexualité s’affichait dans les bars gay et lesbiens, sous la tolérance de la République de Weimar, on découvre les mouvements de jeunes allemands et le rapprochement entre corps et nature, bientôt transformé en corps à corps sensuels et sexuels.

L’œil des survivants brillent lorsqu’ils évoquent leurs premiers émois, leurs premières relations homosexuelles. Malheureusement, le régime d’Hitler n’en retiendra plus tard que le terme « homo » là où elles étaient avant tout « sexuelles ».

Mais au début des années 30, les homosexuels ne se sentent pas en danger. Ils sont allemands avant tout, et pensent que leur nationalité ou leur blondeur peut encore les sauver. D’autant que l’un des plus proches conseilles d’Hitler, Röhm, fondateur de la milice des SA, est lui-même homosexuel. Lorsqu’il est massacré, en 1934, lors de la nuit des longs couteaux, la donne change : Hitler justifie son acte par le crime d’homosexualité commis par son lieutenant, et proclame ce qui deviendra une chasse aux sorcières.

Les homos deviennent les ennemis du régime et en 1935, le régime renforce le paragraphe 175 de la Loi fondamentale, qui punissait depuis 1871 les relations homosexuelles. Au fil des années, l’étau se resserrera autour de la communauté gay. Les lesbiennes en revanche auront plus de chances : le régime nazi les considérant comme guérissables, elles ne seront quasiment pas inquiétées.

Sans vouloir minimiser l’importance des exactions commises par le régime nazi, Rob Epstein et Jeffrey Friedman ont l’intelligence de respecter le contexte socio-historique de chasse aux homosexuels. Si environ 100 000 homosexuels ont été arrêtés, seulement 10 à 15000 ont été envoyés en camps, d’autres emprisonnés. Mais peu ont été envoyés dans les chambres de la mort. Esclaves du camp, victimes de tortures physiques, castrés ou cobayes pour des expérimentations médicales, ils devaient tous arborer le triangle rose.

Mais qui s’en souvient ? Si les juifs ont été reconnus victimes du régime, les homosexuels ne l’ont jamais été. Pire, le Paragraphe 175 n’a été aboli en Allemagne de l’Ouest qu’en 1969, et nombre d’homosexuels emprisonnés pendant la guerre sont restés en détention après la libération. Si ce documentaire a été réalisé par un chercheur allemand pour le compte du musée de l’Holocauste de Washington, le gouvernement allemand n’a lui toujours pas reconnu ses victimes. Près de soixante ans après, il ne reste plus qu’une dizaine de survivants.

Cette poignée d’hommes a encore du mal, aujourd’hui, à témoigner de ce passé encore très présent : deux ont refusé de participer au documentaire, d’autres ont livré des témoignages poignants et emprunts de toute la douleur qu’ils ont subi. Il serait temps de leur octroyer enfin la reconnaissance à la fois de leur statut de victimes, et de la normalité de leur sexualité. Ces faits font tout autant partie du devoir de mémoire. Paragraphe 175 est un documentaire à voir et à penser, pour ne pas l’oublier.

*Article rédigé pour Objectif Cinéma et publié à cette adresse

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