« Liberté, égalité, laïcité », pouvait on lire dans Le Monde [1], en titre d’une tribune d’Alain Juppé en faveur d’une loi contre le port de signes ostentatoires à l’école… le 29 octobre 2003. Il y a 8 ans, celui qui était alors président de l’UMP prenait la parole dans la presse, pour donner une suite au débat engagé par Dialogue et Initiatives, le club de réflexion de Jean-Pierre Raffarin, sous la houlette de François Baroin.
Ca n’était pas tout à fait un hasard si Alain Juppé avait alors choisi de parodier la devise nationale. L’objet était alors, il y a 8 ans, de réaffirmer l’attachement du gouvernement –et de l’UMP de l’époque- au principe de laïcité à la française. Et de rappeler qu’aussi loin que l’on remonte dans l’histoire de la République française, la laïcité est inscrite dans ses gênes.
Genèse du principe de laïcité
1789 a vu à la fois la disparition des ordres, dont l’emblématique clergé, la laïcisation de la royauté avec la perte de la notion de « charge divine », l’apparition du contrat civil de mariage, ect… La Révolution a voulu effacer les jougs de l’Ancien Régime et parmi eux, le poids oppressant de l’Eglise. Le principe de laïcité se veut alors le garant de la notion d’égalité : égalité entre les religions, égalité entre les opinions, …
Tout au long du XIXème et du XXème siècles, la France, fille aînée de l’Eglise, oeuvre à résoudre son complexe d’Oedipe, tournant chaque jour un peu plus le dos à sa mère l’Eglise. En matérialisant le principe de laïcité dans la société, notamment à l’école par le biais des lois Ferry, puis au coeur même de l’appareil d’Etat par la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905, la République, a finalement réussi à s’affirmer dans le principe de laïcité voulu par ses pères révolutionnaires.
Cet équilibre, fragile, n’a pourtant jamais cessé d’être remis en question. On a vu la résistance de la chrétienté au XIXème siècle marquée par le retour de l’Empire et son florilège de faits religieux, dont le retour du sacre, tout comme au XXème siècle, l’exemple le plus significatif étant le vote des lois dites « anti-laïques ». Que l’Islam, le judaïsme ou d’autres religions questionnent aujourd’hui ce principe n’a rien de surprenant, et n’est pas critiquable en soi.
Une valeur républicaine juridiquement réaffirmée
Aujourd’hui, la laïcité est toujours une des valeurs fondamentales de notre République, et est réaffirmé comme une valeur républicaine dans son inscription à l’article premier de notre Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. »
Cette définition pose clairement sa vocation : protéger les citoyens en réaffirmant leur liberté de conscience, en leur offrant la garantie de pouvoir croire et de pouvoir ne pas croire. C’est pour chacun la garantie que ses convictions seront respectées, mais aussi que celles des autres ne lui seront jamais imposées. C’est donc un double gage de liberté et d’égalité.
Evolution des mentalités
Avoir des principes ne dispense pas de reconnaître la réalité du terrain. Les nouveaux questionnements sur la laïcité sont apparus ces dernières années avec la résurgence de certains communautarismes. Le principe républicain d’universalisme s’est peu à peu dilué dans l’échec des politiques d’intégration, faute de se transmettre à l’ensemble des citoyens. La République ne tenant pas les promesses faites aux populations immigrées, certaines se sont enfermées peu à peu sur leur communautés, dont la religion est une des composantes de ce lien social, trouvant là le ciment que n’offrait plus la République.
Or, faute d’une définition suffisamment lisible par l’ensemble de la population, le terme de laïcité a été galvaudé, chacun faisant dire à cette notion ce qu’il voulait y trouver. Ainsi on observe aujourd’hui un glissement sémantique qui revient à considérer la laïcité comme le garant de la libre expression des religions. Les partisans de cette nouvelle définition trouvent leur bonheur dans le modèle anglo-saxon, axé sur la liberté communautaire : chaque communauté peut s’exprimer librement et exprimer ses coutumes, au nom de la liberté d’expression. C’est une conception parfaitement concevable et qui n’a rien d’intégriste.
Juridiquement, adopter cette conception n’est pas possible actuellement, car la laïcité dispose d’un très fort degré de constitutionnalité dans la République française. Cette notion est le fruit d’un choix juridique, qui s’est mué au fil des siècles en un mode de vie dans notre société. Or cette définition n’est pas à géométrie variable ; c’était le sens du propos de Jacques Chirac lorsqu’il disait que « la laïcité n’est pas négociable ».
Comment repenser la laïcité ?
Ayons le courage d’avouer que cette redéfinition correspond à une évolution des mentalités, et pose en réalité une seule question : la laïcité est-elle encore une valeur de notre République, et est-elle encore un principe prévalent sur l’appartenance religieuse ?
Le projet de laïcité de notre République, né il y a deux siècles, portait en lui une volonté d’ouverture vers tous les citoyens, dans un esprit de tolérance. C’était un pas de géant vers le pluralisme et le vivre ensemble, chacun étant respecté dans sa différence. Pour mieux s’en souvenir, il pourrait être bon aujourd’hui de repréciser ce concept, pour en faire apprécier toute la portée. C’est le rôle des groupes du travail qui n’ont eu cesse, depuis des années, de faire des propositions réglementaires en la matière, sans pour autant remettre en cause la loi de 1905.
L’une des pistes évoquée pourrait être la proposition faite en 2003 par François Baroin [2], et reprise par les autorités religieuses, de créer un Code de la laïcité. Mais au delà, pour toucher le citoyen, l’école doit transmettre cette valeur mais aussi l’ensemble des valeurs républicaines, et retrouver enfin son principe premier : former des citoyens respectueux de notre pacte républicain.
Ca n’est pas le projet de débat proposé par l’UMP de 2011. En axant non pas sur le principe de laïcité (comme en 2003) mais sur la validité de certaines pratiques au regard de notre principe de laïcité, principe lui-même remis en question par ce même débat, le parti majoritaire surfe sur un terrain glissant, et réunit toutes les conditions pour un dérapage.
Résultat, la majorité se fissure sur ce thème. Il est d’ailleurs très intéressant de noter que ce sont les chantres du débat de 2003, ce débat qui a réaffirmé notre attachement au principe de laïcité tel qu’il existe dans nos textes, qui refusent de participer à ce débat… et à sa remise en cause. En ce sens, Fillon et Baroin sont parfaitement cohérents avec leurs valeurs, et non dans une opposition interne à Sarkozy ou Copé.
La voix de la sagesse sera venue des six grandes religions, qui ont rédigé conjointement une tribune très inattendue le 30 mars 2011 [3] :« La laïcité est un des piliers de notre pacte républicain, un des supports de notre démocratie, un des fondements de notre vouloir vivre ensemble. Veillons à ne pas dilapider ce précieux acquis. Il nous parait capital, pendant cette période pré-électorale, de bien garder sereinement le cap en évitant amalgames et risques de stigmatisation. »
Si même les grandes religions appellent à respecter notre principe de laïcité, c’est bien la preuve qu’il fonctionne. Ecoutons les, et n’entrons pas dans des débats risqués qui finiraient par dresser les uns contre les autres, ce qui serait très exactement l’opposé de notre pacte républicain. A bon entendeur…
[1] Liberté, égalité, laïcité, tribune d’Alain Juppé dans Le Monde, 29 octobre 2003
[2] Pour une nouvelle laïcité, rapport rédigé pour Dialogue & Initiatives, remis au Premier ministre
[3] Débat sur la laïcité ? Sérénité, attention et réflexion appliquées, recommandent les responsables de culte !, dans Le Parisien, 30 mars 2011
*Cet article a été écrit pour Politiko et publié à cette adresse.