Eva Joly sous tutelle*

Rien ne va plus dans la galaxie verte. L’accord avec le PS a donné lieu à des tensions, qui se sont traduites par de sérieux couacs en matière de communication. Puis la candidate verte a tout bonnement disparu… avant de voir son porte-parole démissionner.

Tout ceci était pourtant prévisible. EELV est un parti jeune, né du courant écologiste et de la fusion entre le mouvement écologistes constitué pour les européennes de 2009 et les régionales de 2010, et élargi au-delà des seuls politiques écologistes à des personnalités issues de la société civile, et le parti des Verts.

Du rêve de la société civile…

Les bons scores enregistrés par le parti lors de ses élections laissent présager d’un poids mouvement écologiste dans l’opinion, ce qui donne des ailes à EELV. Mais attention, tout ceci restait très relatif : le score obtenu à une élection à la proportionnelle ne présage en rien de la réussite des candidats du même parti au scrutin uninominal et ça, les Verts le savent bien. D’où l’idée de conclure un accord avec le PS.

Et c’est là que les ennuis commencent. Comment conclure un accord programmatique alors même que l’on souhaite porter une voix singulière dans la campagne présidentielle, en présentant un candidat écologiste ? Daniel Cohn-Bendit avait bien anticipé le problème, et plaidait pour l’absence d’un candidat vert au premier tout, en échange d’un accord politique très fort.

Mais les Verts sont tenaces. Certains de leur force, ils n’ont pas voulu renoncer à la mère des batailles. Mais n’ont rien fait pour se retrouver dans de bonnes conditions pour la mener. Ainsi, Cécile Duflot, présidente du parti, n’a pas voulu y aller. Les politiques écologistes ont renoncé, laissant la place à la société civile, très heureuse de se frotter enfin à la politique qu’elle ne cessait de commenter, de Philippe Mérieux à Eva Joly.

Mais voilà, la société civile a ses limites, et la première d’entre elle reste sa méconnaissance des appareils politiques. Certes, il est beau de rêver à la manière dont on portera le plus haut possible l’étendard de ses convictions, mais les questions de boutiques sont toutes aussi importantes… Sinon, pas de parti, pas de candidature, pas de convictions à porter dans la bataille. Et cela, Eva Joly l’a sous-estimé.

… à la réalité de la vie politique

Aujourd’hui, les Verts traversent une très mauvaise passe. Non pas parce qu’il est fréquent que le candidat des Verts n’aille pas au bout du chemin. Mais pour d’autres raisons qui tiennent en réalité à l’incompatibilité flagrante entre le choix d’une candidate issue de la société civile, et les accords de boutique purement politiciens convenus entre les partis. Et ces intérêts sont incompatibles.

Oui, Eva Joly dispose d’une personnalité propre. Au-delà de la thématique classique du nucléaire, elle apporte à EELV un positionnement fort sur les institutions, l’éthique en politique et la nécessaire régulation du monde de la finance. En ce sens, elle donne une identité à son combat présidentiel, et entend bien porter sa voix au plus haut.

Mais est-ce l’intérêt du parti ? EELV doit avant tout penser à sa survie financière. Comme Marianne l’évoquait, le parti est au bord de la faillite. Parce que la vie politique coûte cher en matériel, meetings, conventions diverses et variés, salaires des permanents, frais de fonctionnement. Et ce qui assure les ressources d’un parti n’est lié aux adhésions et dons que dans une très faible proportion.

Ce qui permet à un parti de disposer de ressources, c’est son accès à l’aide publique d’Etat. Définie par l’article 9 de la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence de la vie financière, elle accorde aux partis politiques un financement par voix obtenue sous réserve d’avoir  présenté lors du plus récent renouvellement de l’Assemblée nationale des candidats ayant obtenu chacun au moins 1 % des suffrages exprimés dans au moins cinquante circonscriptions sur le territoire (hors cas particulier des Dom-Tom).

En clair, chaque parti qui obtient 1% des voix dans 50 circonscriptions différentes est assuré d’obtenir un financement. Pour mémoire, cette manne se chiffrait à 1,67 euros par voix sur la dernière mandature (moins l’amende pour non respect de la parité). Même si le gouvernement a annoncé son intention de réduire cette aide de 5% dans son plan de rigueur, la voix devrait rapporter aux alentours de 1,59 euros lors des prochaines législatives.

Face à un parti en faillite, on comprend mieux pourquoi la priorité des Verts portait sur un accord visant à obtenir des candidats dans 60 circonscriptions… La condition de 50 circos étant dépassée, et l’accord permettant de s’assurer d’y dépasser les 1%, il ne faut pas être grand mathématicien pour comprendre qu’EELV récupèrera beaucoup d’argent pour les cinq années à venir : de quoi assainir ses finances mal en point, et préparer l’avenir.

L’écologie à l’épreuve du pouvoir

Certes, cet accord se fait au prix de couacs idéologiques et programmatiques. De deux choses l’une : soit EELV dispose d’un poids suffisant dans la vie politique, et parvient à convaincre les citoyens en toute indépendance programmatique, ce qui lui assurera un grand nombre de voix que le parti obtiendra tout seul dans les circonscriptions. Au scrutin uninominal c’est aléatoire, même si EELV peut espérer dépasser les 1% partout… mais cela rapportera bien moins avec des candidats du PS en face, qui eux mangeront un grand nombre de voix dans ces circonscriptions.

Soit pour survivre, le parti cherche à garantir ses finances, et accepte de passer des accords qui heurtent l’idéologie des gens de la société civile et potentiellement des citoyens, qui ne connaissent pas les arrière-cuisines du financement de la vie politique –défini par la loi-, mais qui assurent, par la survie du parti, le maintien d’une offre politique différente, reculant ainsi un peu plus l’arrivée du bipartisme. C’est aussi un noble combat que le pluralisme.

Dans cette histoire, tout le monde a perdu en crédit, et le PS comme les Verts sont empêtrés dans la nasse de cet accord. Et nombreux sont les fautifs. Naturellement, il est malheureux qu’une candidate à la présidentielle soit à ce point obtuse sur son idéologie, et mette tout le monde dans une position délicate au motif qu’elle connaît mal un système que pourtant tout politique se doit de maîtriser. Comment peut-on sérieusement être candidat à la fonction suprême sans connaître le fonctionnement de la vie politique ?

Eva Joly ne comprend tellement rien à cette thématique pourtant vitale pour les formations politiques que son attitude autiste lui coûte aujourd’hui la démission de son porte-parole, Yannnick Jadot. Un abandon qui ne doit rien au hasard. Selon Le Point, 50% des adhérents des Verts dépendraient financièrement du parti. Pas question pour eux de laisser la candidate mener le parti à la morgue.

Mais les Verts ne sont pas exempts de reproches : si on en est là, c’est bien parce que les politiques écologistes se sont dérobés, et qu’il a fallu aller chercher un candidat au sein de la société civile, qui, en outre, n’a manifestement pas été formé à ces questions. Le parti, qui ne vient pas de découvrir sa situation financière, aurait au moins pu s’assurer d’une bonne information des candidats à ce sujet !

Enfin le PS n’a pas été bien malin. Si les bases d’un accord pouvait être négociées dès maintenant, sa finalisation n’aurait du intervenir qu’en toute fin de processus, c’est-à-dire juste après la présidentielle. Cela aurait évité de mettre tout le monde en porte-à-faux sur la thématique du nucléaire. D’autant que soyons sérieux : le calendrier de sortie ou de réduction de la dépendance au nucléaire sera soumis à des impératifs techniques qui n’ont aucune relation avec de simples effets d’annonce comptables… ce qui relève de la pure politique politicienne.

Alors, Eva Joly renoncera-t-elle -comme d’autres avant elle- en restant arc-boutée sur ses convictions idéologiques, qu’elle n’aurait de toutes façons pas été en mesure de porter jusqu’à l’Elysée ? Ou ira-t-elle au bout, ce qui l’obligera à se transcender en politique, et intégrer les règles du jeu, quitte à sacrifier un peu de son idéologie ?

Quoi qu’il arrive, EELV, qui s’inscrit dans une stratégie d’avenir, en choisissant de garantir ses finances et un groupe à l’Assemblée pour y défendre ses idées, sortira de la tempête, grâce à cet accord. Reste à savoir combien le parti y laissera de plumes, et donc de voix, dans la bataille : c’est encore Eva Joly qui, par son attitude, détient la clef de cette question.

Afin de limiter les dégâts, la candidate écologiste sera dès jeudi entourée d’une nouvelle équipe de campagne et d’un conseil politique, officiellement pour sauver le soldat Eva et ne pas la laisser seule : doux euphémisme ! Ou quand la politique reprend ses droits sur la campagne : pour les Verts, les velléités de la société civile n’ont que trop duré.

*Papier publié sur Marianne à cette adresse

6 réflexions au sujet de « Eva Joly sous tutelle* »

  1. Le bon score des Européennes 2009 n’était qu’un accident de parcours, lié à la sortie mondiale, et à la large diffusion (ciné, télé, web, projections publiques), 3 jours avant le scrutin, de « Home »
    Pour les Régionales le soufflé s’était déja dégonflé…aujourd’hui le parti est revenu au niveau des Verts d’avant le buzz de YAB

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  3. Bonjour,
    Personnellement, Eva Joly me convient parfaitement. Si son parti a des difficultés de trésorerie, c’est qu’il ne reçoit pas de « mallettes » malodorantes, cela semble vous avoir échappé…
    Elle dit ce qu’elle pense des magouilles en tout genre, et figurez vous que chez les militants et les électeurs, çà plaît.
    On en a soupé de la langue de bois et des « éléments de langage » des communicants !

    C’est Cohn Bendit qui est allée la chercher, espérant lui faire jouer le rôle de « plante verte » qu’on retirerait du circuit pour laisser place à Hollande pour le 1er tour.
    Mais les militants en ont décidé autrement.

    La grosse erreur des dirigeants et de Cohn Bendit, c’est qu’ils se sont trompés sur la personnalité d’ Eva Joly. Lisez ses livres et vous comprendrez. Ce n’est pas la femme fragile qu’elle paraît être.
    Comme beaucoup de Magistrats qui ont fait partie du Pôle Financier, c’est une personnalité en acier trempé.
    Quand on mené une instruction comme celle d’Elf, avec des menaces de mort et en évitant de passer devant les fenêtres pour ne pas se faire descendre, c’est qu’on n’est pas fait du même bois que les politiques, qu’on ne supporte plus et que vous encensez.
    Ce qu’elle a à apprendre, c’est à passer devant les caméras.
    Parmi ceux qui la critiquent, à Droite, comme à Gôche, un certain nombre devrait être mis en examen ou en prison, au lieu de se pavaner dans la lucarne….
    Dans un Etat où les Parquets sont inféodés au pouvoir, (malgré les remarques peu obligeantes de Bruxelles), l’arrivée d’une telle candidate leur file les jetons.
    Vos conceptions de la politique, vous pouvez les ranger dans un tiroir, ils n’intéressent plus les électeurs d ‘Eva Joly et sans doute, bien au delà.
    Bien à vous.

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    • Oh mais voilà un commentaire tout en finesse, avec du « tous pourris » à tous les étages, et naturellement, l’incompréhension de l’odieux auteur qui serait vendu à un système même si vous avez un peu du mal à préciser lequel. Bouuuuhhhh !

      Je vous invite à mieux lire ce texte, et vous verrez qu’il ne tape pas sur Eva Joly. Mais encore faut-il peut être savoir dépasser l’émotion du militant…
      J’attends, en revanche, votre brillante analyse sur ce que je dis réellement, loin des éléments de langage, et notamment sur les nécessités financières d’EELV, ce qui oblige à en tenir compte.

      Enfin pour terminer, je ne rangerai pas ma (et non mes) conception de la politique, car j’ai ma place dans le débat comme vous avez la vôtre, c’est le principe du pluralisme, mais je note votre totale fermeture d’esprit aux idées autres que les vôtres, ce qui s’appelle du sectarisme.

      J’ajoute d’ailleurs que ce blog n’est pas fait pour les électeurs d’Eva Joly, mais pour tout citoyen intéressé par les sujets évoqués, qu’il soit ou non d’accord avec ce qui, vous en conviendrez, est un public nettement plus large.

      Bien à vous.

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  4. Je ne suis pas militante , mais simple citoyenne lassée comme beaucoup de Français de notre classe politique, PS et UMP.
    Vous devriez regarder du côté de l’Espagne, 53% des électeurs ne se sont pas déplacés.
    Si c’était le cas en France, c’est le FN qui remporterait le jack pot, vous préférez cela?
    Alors, il vaut mieux soutenir ceux qui proposent une autre manière de faire de la politique, Eva Joly n’est pas la seule. Chevènement en a ras le bol du PS, Mélenchon s’est tiré pour proposer autre chose, Asselineau aussi.
    Ras la casquette de la soumission aux banques, de la corruption et des paradis fiscaux.
    Si vous considérez que le plan B de Chevènement et Sapir ( emprunter provisoirement à la BCE , sinon à la Banque de France à taux 0), c’est être sectaire, je suis sectaire.
    Si vous voulez en savoir plus sur le nucléaire, le Canard Enchaîné vient de sortir un Dossier Spécial:  » Le nucléaire, c’est par où la sortie », c’est très, très sectaire, méfiez-vous, c’est irradiant.
    Allez bonne journée, et lisez les livres d’Eva Joly, çà évite de se tromper d’adversaire.

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    • Madame, aucun électeur n’a à recevoir des ordres d’un autres, ni pour ce qu’il « vaudrait mieux » qu’il vote, ni ce qu’il doit « lire » pour « éviter de se tromper »
      Vous avez votre avis, votre chapelle, et chacun la respecte. Faites donc de même avec ceux qui ne pensent pas comme vous, au lieu de prendre les autres pour des idiots qui se tromperaient.
      Au passage, cet article ne traitait pas du nucléaire, aussi je ne vois pas bien pourquoi vous vous permettez d’en tirer des conclusions. Encore une fois lisez le papier, que manifestement vous n’avez pas compris.
      Ce sont vos propos que je trouve sectaire, et non votre tendance politique.
      C’est dommage, mais cela reste votre liberté… tout comme la mienne de le noter.

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